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oubliée, & si le vice, honoré seul, avoit le droit de l'insulter. Il faut donc, pour rétablir l'ordre, attacher le bien au bien, le mal au mal, l'utile au juste & à l'honnête. Cet ordre rétabli, vous prévoyez sans peine comme les mœurs seconderoient les loix, & comme l'opinion soulageroit la force. Les espérances & les craintes, les récompenses & les peines, les jouissances & les privations, voilà les poids que la politique doit savoir mettre à propos dans la balance de la liberté ; avec cela elle est sûre de régir à son gré le monde.

Mais je m'en tiens à ce qui nous occupe. Les mœurs fastueuses des grands les rendent avides & injustes; des mœurs plus simples les rendroient modérés, humains, généreux; & le plus grand intérêt du vice ayant passé à la vertu, le même penchant qui les portoit vers l'un, les rameneroit tous vers l'autre.

Voilà un beau songe, dit Justinien ! Ce n'en est pas un, dit Bélisaire, que de prétendre mener les hommes par l'amour-propre & l'intérêt. Rappellez-vous comment s'étoit formé, dans la république naissante, ce sénat où tant de vertu, où tant d'héroïsme éclatoit. C'est qu'il n'y avoit alors dans Rome rien au-dessus d'une si grande ame (a);

(a) Dum nullum fastidiretur genus in quo eniteret virtus, crevit Imperium Romanum. Tit. Liv. L. IV.

c'est

c'est que l'estime publique étoit attachée aux mœurs honnêtes, la vénération aux mœurs vertueuses, la gloire aux mœurs héroïques. Tels ont été dans tous les tems les grands ressorts du cœur humain:

Je sais qu'une longue habitude, & sur-tout celle de la tyrannie, ne cede pas sans résistance aux motifs mêmes les plus forts. Mais pour un homme injuste & violent, qui se roidiroit contre la crainte du blâme, de la disgrace & du mépris, il y en a mille à qui ce frein, joint à l'aiguillon de la gloire, feroit suivre le droit sentier de l'honneur & de la vertu. Je poursuis donc, & je suppose d'honnêtes gens à la tête des peuples. Dès-lors je réponds sur ma vie de l'obéissance, de la fidélité, du zéle de cette multitude d'hommes qu'on n'opprimera plus, qu'on ne vexera plus, & dont les jours, la liberté, les biens, seront protégés par les loix. Dès-lors l'empire se releve, ses membres épars se réunissent; le plan de Constantin, élevé sur le sable, acquiert des fondements solides; & du sein de la félicité publique, je vois renaître le courage, l'émulation, la force, l'esprit patriotique, & avec lui cet ascendant que Rome avoit sur l'univers.

Tandis que Bélisaire parloit ainsi, Justinien admiroit en silence l'enthusiasme de ce vieillard, qui, oubliant son âge, sa misère & le cruel état

où il étoit réduit, triomphoit à la seule idée de rendre sa patrie heureuse & florissante. Il est beau, lui dit-il, de prendre un intérêt si vif à des ingrats. Mes amis, leur dit le héros, le plus heureux jour de ma vie seroit celui où l'on me diroit Bélisaire, on va t'ouvrir les veines; & pour prix de ton sang, tes souhaits seront accomplis.

A ces mots, son amiable fille, Eudoxe, vint l'avertir que son souper l'attendoit. Il rentra; il se mit à table; Eudoxe, avec une grace mêlée de modestie & de noblesse, lui servit un plat de légumes, & prit place à côté de lui. Quoi! c'est là votre soupé, dit l'empereur avec confusion? Vraiment, dit Bélisaire, c'étoit le soupé de Fabrice, & Fabrice me valoit bien.

Allons-nous-en, dit Justinien à Tibère. Cet homme-là me confond.

Sa cour espérant de le dissiper lui avoit préparé une fête. Il ne daigna pas y assister.

A table, il ne s'occupa que du soupé de Bélisaire; & en se retirant, il se dit à lui-même ; il est moins malheureux que moi, car il s'est couché sans rémords.

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JE ne vis plus qu'auprès de lui, dit l'empereur à

Tibère le lendemain, en allant revoir le héros : le calme & la sérénité de son ame se communiquent à la mienne. Mais si-tôt que je m'en éloigne, ces nuages qu'il a dissipés se rassemblent, & tout s'ob scurcit de nouveau. Hier je croyois voir dans son plan le tableau de la félicité publique; à présent ce n'est à mes yeux qu'un amas de difficultés. Le moyen, par exemple, qu'avec les fraix immenses dont cet empire est chargé, on puisse soulager les peuples? Le moyen de renouveller des armées que vingt ans de guerre ont anéanties, & de réduire les impôts à un tribut simple & léger? Il a tout prévu, dit Tibère, & il aura tout applani. Proposez-lui vos réflexions. Ce fut par-là qu'ils débuterent.

Je savois bien, dit le vieillard, après les avoir entendus, que je vous laisserois des doutes; mais j'espere les dissiper.

Les dépenses de la cour sont réduites; nous en avons banni le luxe & la faveur. Passons à la ville, & dites-moi pourquoi un peuple oisif & innombrable est à la charge de l'état? Le bled qu'on N

lui

lui distribue (a) nourriroit vingt légions. C'est pour peupler sa ville, & pour imiter Rome, que Constantin a pris sur lui cette dépense ruineuse. Mais à quel titre un peuple fainéant, qui n'est plus ni roi, ni soldat, est-il à la charge publique? Le peuple Romain, tout militaire, avoit le droit d'être nourri, méme au sein de la paix, du fruit de ses conquêtes; encore ne demandoit-il dans les plus beaux jours de sa gloire, que des terres à cultiver; & quand l'état lui en accordoit, vous savez avec quelle joie il se répandoit dans les champs. Ici que faisons-nous de cette multitude affamée qui assiege les portes du palais (b)? Estce avec elle que j'ai chassé les Huns qui ravageoient la Thrace? Qu'on n'en retienne que ce que l'industrie en peut occuper & nourrir, & que du reste on fasse d'heureuses colonies: elles repeupleront l'état, & vivront du fruit de leur peine. L'agriculture est la mere de la milice; & ce n'est

(a) 40000 boisseaux par jour. Le boisseau, modius, d'un pied quarré sur quatre pouces de hauteur. Le pied Romain de 10 de nos pouces. Le soldat n'ayant que 5 boisseaux par mois, ou le sixieme d'un boisseau par jour, 40000 boisseaux devoient nourrir 240000 hommes. (b) Et quem panis alit gradibus dispensus ab altis.

Prud. In Symm. L. I. v. 583.

Panes palatini bilibres. La livre des Romains faisoit dix onces de la nôtre. Buleng. De Trib, ac Vectig. Pop. R.

pas

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