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pour lui faire de sa part, les plus sincères remercimens. Mais à peine eut-il su ce qui m'amenoit chez lui, que, d'un ton courroucé, il me dit : « Me prenez<< vous pour le banquier de votre père? Il ne me doit «« rien : emportez sur l'heure cet argent hors de chez « moi, et Dieu vous conduise ! »

16. M. le B** de C**, après avoir été attaché longtemps à la cour, fut obligé de vendre sa charge pour arranger ses affaires qui se trouvèrent dans un mauvais état, quoiqu'il eût joui d'un très-gros revenu. Il fut obligé de se défaire d'un nombreux domestique, et il ne garda que son valet-de-chambre G**, dont la fidélité et l'attachement lui étoient connus. Il se retira dans le fond d'une province, où le peu de bien qui lui restoit lui fut encore disputé. G** avoit été valetde-chambre d'un ministre, qui lui avoit laissé en mourant six cents livres de rente viagère. Il vendit la moitié de sa rente pour tirer son maître d'embarras ; mais cette somme fut bientôt consommée, et M. le B** ne trouva point d'autre ressource que de se retirer chez un neveu qui jouissoit d'un bénéfice qu'il tenoit de son oncle. Cet ecclésiastique l'obligea bientôt, quoiqu'àgé de plus de quatre-vingts ans, de sortir de chez lui. Le généreux valet-de-chambre loua une chaumière pour loger son vénérable maître, où il le servit avec tout le respect qu'il avoit pour lui lorsqu'il étoit dans l'opulence. Il ne portoit que ses vieux habits, quoiqu'il en fournît de neufs à M. le B**, et tous les deux n'avoient pour vivre que les trois cents livres qui restoient de la pension du bienfaisant G**. Les parens de cet homme rare ayant appris son indigence, lui envoyèrent une douzaine de chemises neuves; il les serra dans l'armoire de son maître, et n'en voulut point porter d'autres que celles que M. le B** ne pouvoit plus mettre.

17. Scipion l'Africain ayant été accusé par ses ennemis, fut cité devant le tribunal des tribuns du peuple, qui cherchoient à le perdre. Mais une indisposition l'empêcha de comparoître. L. Scipion, son frère, se présenta pour lui, et demanda du temps, afin que Tome II.

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l'illustre accusé pût préparer ses défenses. On rejeta sa requête; et le sauveur de Rome alloit être condamné par défaut, lorsque Tibérius Sempronius Gracchus, l'un des tribuns, ennemi particulier de Scipion, se leva, et dit : « Puisque L. Scipion apporte la maladie « de son frère pour excuse de son absence, cela doit -«< suffire. Jene souffrirai pas que l'on procède contre lui << avant son retour; et alors même, s'il a recours à << moi, je le soutiendrai de mon autorité pour le dis<< penser de répondre. Scipion, par la grandeur de ses « exploits, et par les honneurs où vous l'avez tant de << fois élevé, est parvenu, de l'aveu des hommes et des « dieux, à un si haut degré de gloire, qu'il est plus << honteux pour le peuple romain que pour lui, qu'on « le voie au bas de la tribune aux harangues en butte << aux accusations et aux invectives d'une jeunesse << indiscrète. Quoi ! continua-t-il, en s'adressant aux << tribuns avec indignation; quoi! vous verrez sous vos < pieds ce Scipion vainqueur de l'Afrique? N'a-t-il donc << défait et mis en fuite en Espagne quatre des plus cé<< lèbres généraux carthaginois, et leurs quatre armées, << n'a-t-il fait Syphax prisonnier, n'a-t-il vaincu An« nibal, n'a-t-il rendu Carthage tributaire de Rome, « n'a-t-il enfin forcé Antiochus, par une victoire dont « L. Scipion, son frère, consent de partager la gloire <«< avec lui, à se retirer au delà du mont Taurus, que << pour succomber à l'animosité des Pétilius, et les voir << remporter sur lui un triomphe qui déshonoreroit << Rome? Helas! la vertu des grands hommes ne trou« vera-t-elle jamais ni dans son propre mérite, ni dans << les honneurs où vous l'élevez, un asile, et comme un << sanctuaire, où leur vieillesse, si elle ne recoit pas les « honneurs et les hommages qui lui sont dûs, soit du <<< moins à couvert de l'outrage et de l'injustice? » Ce discours fit impression sur la multitude; les accusa-teurs confondus par la générosité de Sempronius, se désistèrent de leurs poursuites, et respectèrent en silence le mérite d'un homme pour qui ses ennemis même avoient une vénération profonde..

18. Emilie, aïeule de Scipion Emilien, constitua

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pour son héritier cet illustre Romain. Outre les dia mans, les pierreries et les autres bijoux qui compo soient la parure d'Emilie, cette dame avoit une grande quantité de vases d'or et d'argent, destinés pour les sacrifices; un train magnifique, des chars, des équipages, un nombre considérable d'esclaves de l'un et de l'autre sexe. Quand elle fut morte, Scipion abandonna tout ce riche appareil à sa mère Papiria, qui, répudiée depuis quelque temps par Paul-Emile, et n'ayant pas de quoi soutenir la splendeur de sa naissance, menoit une vie obscure, et ne se montroit plus dans les assemblées ni dans les cérémonies publiques. Quand on l'y vit reparoître avec cet éclat, une si magnifique libéralité fit beaucoup d'honneur à Scipion, dans une ville sur-tout où l'on ne se dépouilloit pas volontiers de son bien. Il ne se fit pas moins admirer dans un autre occasion. Il étoit obligé, en conséquence de la succession. qu'il venoit de recueillir, de payer, en trois termes différens, aux deux filles de Scipion, son grand-père adoptif, la moitié de leur dot, qui montoit à cinquante mille écus. A l'échéance du premier terme, Scipion fit remettre entre les mains du banquier la somme entière. Tibérius Gracchus et Scipion Nasica, qui avoient épousé ces deux soeurs, croyant que Scipion s'étoit trompé, allèrent le trouver, et lui représentèrent que les lois lui laissoient l'espace de trois ans pour fournir cette somme. << Je n'ignore pas la disposition des lois, « répondit-il on en peut suivre la rigueur avec des * étrangers; mais avec des amis, avec des proches, « on doit en agir avec plus de simplicité, plus de noblesse.» Ce fut par le même esprit que, deux ans après, Paul-Emile, son père, étant mort, il céda à son frère Fabius, moins riche que lui, la part qu'il avoit dans la succession de leur père, laquelle montoit à plus de soixante mille écus. Les présens que Scipion avoit faits à sa mère Papiria, lui revenoient de plein droit après sa mort; et ses sœurs, selon l'usage de ce temps, n'y pouvoient rien prétendre. Mais il auroit cru se déshonorer, et rétracter ses dons, s'il les avoit repris Il laissa donc à ses sœurs tout ce qu'il avoit donné à leur

mère, et s'attira de nouveaux applaudissemens par cette nouvelle preuve qu'il donna de sa grandeur d'ame, et de sa tendre amitié pour sa famille. Ce qui relève surtout cette rare générosité, c'est qu'il étoit jeune encore, et qu'il exerçoit cette vertu bienfaisante avec les manières les plus gracieuses et les plus polies.

19. Fabius-Maximus, surnommé le Temporiseur, avoit fait avec Annibal un traité pour le rachat des prisonniers, par lequel il étoit convenu qu'on rendroit homme pour homme; et que celui qui, après l'échange, se trouveroit encore avoir des prisonniers, les rendroit tous pour cent vingt-cinq livres chacun. L'échange fait, il se trouva qu'Annibal avoit encore deux cent quarante-sept Romains. Le sénat refusa d'envoyer leur rançon, et fit de grandes plaintes de Fabius, lui reprochant que, contre la dignité et la majesté de Rome, et au grand préjudice de la république, il rachetoit des hommes qui, ayant les armes à la main, avoient été assez lâches pour se laisser prendre par l'ennemi. Fabius, informé de tous ces emportemens du sénat, les souffrit sans se plaindre; mais, se trouvant sans argent, et ne pouvant se résoudre ni à manquer de parole, ni à abandonner ses concitoyens, il envoya son fils Quintus-Fabius à Rome, avec ordre de vendre ses terres, et de lui en apporter l'argent. Le jeune patricien exécuta promptement les ordres de son père, et revint à l'armée avec une somme considérable. Fabius envoya sur-le-champ au général carthaginois le prix dont il étoit convenu, et retira les prisonniers. La plupart offrirent de le rembourser dans la suite; mais jamais ce généreux Romain ne voulut rien recevoir pour toute reconnoissance, il les pria de bien aimer et de mieux servir la patrie.

20. Les soldats de Scipion l'Africain lui amenèrent une jeune personne d'une beauté si rare, qu'elle attiroit sur elle les regards de tout le monde. Le général romain voulut savoir à qui elle appartenoit, et quelle étoit sa naissance. Ayant appris, entre autres choses, qu'elle étoit sur le point d'être mariée à Allucius, prince des Celtibériens, il le manda avec les parens de la jeune

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prisonnière; et comme on lui dit qu'Allucius l'aimoit éperdument, ce seigneur espagnol ne parut pas plutôt en sa présence, qu'avant même de parler au père et à la mère, il le prit en particulier. Alors, pour calmer les inquiétudes qu'il pouvoit avoir au sujet de la jeune Espagnole, il lui parla en ces termes : « Nous sommes << jeunes vous et moi, ce qui fait que je puis m'expli« quer avec plus de liberté. Ceux des miens qui m'ont <«< amené votre épouse future, m'ont en même temps << assuré que vous l'aimiez avec une extrême tendresse; « et sa beanté ne m'a laissé aucun lieu d'en douter. Là«< dessus, faisant réflexion que si je songeois comme « vous à prendre un engagement, et que je ne fusse pas uniquement occupé des affaires de ma patrie, je souhaiterois qu'on favorisât une passion si honnête « et si légitime je me trouve heureux de pouvoir, dans << la conjoncture présente, vous rendre un pareil ser<< vice. Celle que vous devez épouser a été parmi nous, comme elle auroit été dans la maison de son père et «de sa mère. Je vous l'ai réservée pour vous en faire un présent digne de vous et de moi. La seule recon«noissance que j'exige de vous pour ce don, c'est que « vous soyez ami du peuple romain. Si vous me jugez << homme de bien; si j'ai paru tel aux peuples de cette «province, sachez qu'il y en a dans Rome beaucoup «quivalent mieux que moi ; et qu'il n'est point de peuple « dans l'univers que vous deviez plus craindre d'avoir « pour ennemi, ni souhaiter davantage d'avoir pour «ami. » Allucius, pénétré de joie et de reconnoissance, baisoit les mains de Scipion, et prioit les dieux de le récompenser d'un si grand bienfait, puisque luimême il n'étoit pas en état d'en faire autant qu'il l'auroit souhaité, et que le méritoit son bienfaiteur.

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Scipion fit venir ensuite le père, la mère et les autres parens de la jeune princesse. Ils avoient apporté une grande somme d'argent pour la racheter. Mais, quand ils vinrent qu'il la leur rendoit sans rançon, ils le conjurèrent, avec de grandes instances, de recevoir d'eux cette somme comme un présent, et témoignèrent que, par cette complaisance et cette nouvelle grace, il

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