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pour un malheureux paysan, comment il étoit connu de lui, et qui il étoit. Menzikoff lui répondit : « J'étois «< il n'y a pas long-temps le prince Menzikoff : je suis à << présent Alexandre. » En partant pour ses voyages, l'officier avoit laissé cet infortuné exilé dans un état si brillant, qu'il ne lui paroissoit pas vraisemblable que ce fût lui-même qu'il trouvoit dans une position si humiliante. Il s'imagina qu'il avoit affaire à un paysan dont l'esprit étoit égaré. Il lui fit des réponses conformes à cette idée. Menzikoff s'en aperçut, et pour le désabuser, le prenant par le bras, il le conduisit auprès d'une fenêtre, et lui dit : « Regarde-moi bien. » L'officier l'ayant considéré avec attention; s'écria : « Ah! mon « prince, par quelle suite de malheurs votre altesse est<<< elle dans un état si déplorable?-Supprimons, mon <«< ami, ces titres fastueux : je vous ai déjà dit que je << m'appelle Alexandre, et le Ciel m'a remis dans mon << premier état. » L'officier ne pouvant encore croire ce qu'il voyoit et ce qu'il entendoit, s'approcha d'un jeune paysan qui étoit retiré dans un coin de la cabane, et qui attachoit avec une corde la semelle de ses souliers: il lui demanda à voix basse qui étoit l'homme auquel il venoit de parler. Le jeune paysan étoit le fils de Menzikoff. Il répondit en élevant la voix: « C'est mon père : « notre malheur vous porte-t-il à nous méconnoître, « vous qui nous avez tant d'obligations ? » Le prince blama son fils d'avoir fait cette réponse; il appela l'officier, et hri dit : « Pardonnez à ce jeune infortuné: <«<le malheur a aigri son caractère. C'est lui que vous << faisiez jouer dans son enfance. Voilà mes filles.» Elles étoient couchées par terre, tenant une jatte remplie de lait, dans laquelle elles trempoient des croûtes de pain noir. « Celle-ci, continua-t-il, a eu l'honneur d'être <<< fiancée avec l'empereur Pierre II, et elle touchoit au « moment d'être unie à sa majesté par des liens indisso« lubles. » Ce récit jeta l'officier dans la plus grande surprise. Il y avoit près de quatre ans qu'il étoit séparé de la cour de Russie par des espaces immenses: il ignoroit ce qui s'étoit passé. Menzikoff lui fit un tableau des révolutions qui avoient agité cette cour, et après avoir

gardé quelque temps le silence, comme pour laisser parler l'officier, dont l'étonnement paroissoit être à son comble, il reprit tout-à-coup : « Ami, que te dirai-je << de plus? Maître absolu et plus redouté que Pierrele-Grand, je me croyois au-dessus des revers; je me «flattois de jouir tranquillement du fruit de mes tra<< vaux, lorsque les Dolgorouskiet l'étranger Asterman « m'ont précipité dans l'état où tu me vois. La perte << des honneurs, des biens, de ma liberté même, ne « m'arracheroit pas un soupir; mais ( ajouta-t-il en << versant des larmes et en montrant ses enfans) voilà « mon supplice, et il durera autant que ma vie. Ces « victimes innocentes ont reçu le jour dans le sein des << grandeurs et de l'abondance: elles manquent aujour« d'hui de tout'; et sans être complices de ce qu'on me « reproche, elles partagent ma disgrace et mes mal<< heurs. Tu vas à la cour rendre compte de ta commis<<sion:tu trouveras les Dolgorouskiet Asterman à la tête << des affaires ; dis-leur que je souhaite qu'ils possèdent << tous les talens nécessaires pour rendre l'empire des << Russes heureux et florissant. Flatte leur vengeance <<< en leur disant que tu nous as trouvés sur ta route, que « les fatigues d'un long et pénible voyage, pendant le<< quel nous avons toujours été exposés aux injures de « l'air, n'ont point altéré notre santé ; qu'elles semblent « au contraire l'avoir fortifiée; enfin, que je jouis, dans « ma captivité, d'une liberté d'esprit et d'une tranquil<< lité que je n'avois jamais connues dans le cours de mes » prospérités. » L'officier versa des larmes; lorsqu'ille vit remonter dans son chariot, il lui fit les plus tendres adieux, et se souvint toujours d'avoir trouvé ce prince plus grand dans l'humiliation qu'il ne l'avoit été dans le cours de sa plus haute faveur. Arrivé au lieu de son exil, Menzikoff s'occupa du soin de pourvoir au besoin de ses enfans, et prit toutes les précautions nécessaires pour diminuer l'horreur de l'espèce de désert où ils devoient, ce semble, passer le reste de leurs jours. Il commenca par défricher un assez grand espace de terrain, se fit aider par huit domestiques qui l'avoient accompagné, sema des grains et des légumes. Il augmenta sa cabane,

abattit des bois propres à bâtir: son exemple encourageoit ses gens. En peu de temps il eut une maison assez commode. Elle étoit composée d'un oratoire et de quatre chambres. Il prit la première pour lui et pour son fils; ses filles occupèrent la seconde; il abandonna la troisième à ses domestiques, et la quatrième fut destinée pour les provisions. Sa fille aînée, qui avoit été fiancée avec l'empereur, se chargea du soin de la cuisine, l'autre du linge et de raccommoder les hardes. Elles se faisoient aider par les domestiques, et leur abandonnoient le plus pénible de l'ouvrage. Peu de temps après son arrivée, on lui amena un taureau et quatre vaches pleines, un bélier et plusieurs brebis; on lui apporta en même temps une assez grande quantité de volailles pour former une basse-cour. Menzikoff ne sut jamais à qui il étoit redevable de cette charité. Sa maison étoit réglée comme un cloître. Tous les matins on alloit à l'oratoire, où il faisoit la prière : on y alloit encore le soir et à minuit. C'étoit dans le sein de la religion que ces infortunés puisoient toutes les consolations, tous les encouragemens dont ils avoient besoin. Menzikoff se livra insensiblement à une tranquillité d'esprit qui auroit rendu sa situation parfaitement heureuse, si ce calme n'eût été quelquefois troublé par les remords, la douleur de voir ses enfans dans la misère, et d'en être la cause. Six mois après son établissement, sa fille aînée fut attaquée de la petite-vérole. Il fit auprès d'elle les fonctions de garde et de médecin, mais ses soins furent inutiles sa fille approchoit de 'jour en jour de sa fin. Alors il quitta l'office de médecin, pour prendre celui de prêtre. Dès qu'elle fut morte, il colła son visage sur le sien, l'arrosa de ses larmes; mais sentant qu'il devoit se conserver lui-même pour ses deux autres enfans, il fit un effort pour résister à la douleur, et dit à son fils et à sa fille : « Apprenez de votre sœur « à mourir. » Il chanta ensuite, avec ses enfans et ses domestiques, les prières que le rit grec a consacrées aux morts; les recommenca plusieurs fois pendant vingt-quatre heures; fit inhumer sa fille dans l'oratoire qu'il avoit construit, et marqua à ses deux enfans la

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place où il vouloit qu'on l'enterrât : c'étoit à côté d'elle. Il lui survécut peu, et mourut le 2 Novembre 1729. Après sa mort, ses deux enfans eurent un peu plus de liberté. L'officier qui les surveilloit leur permit d'aller à l'office à la ville le dimanche, mais pas ensemble: l'un y alloit un dimanche, et l'autre le dimanche suivant. Un jour que la fille revenoit, elle s'entendit appeler par un paysan qui avoit la tête à la lucarne d'une cabane, et reconnut, avec le plus grand étonnement, que ce paysan étoit Dolgorouski, le persécuteur de sa famille. Ce favori momentané, qui s'étoit élevé aussi haut que Menzikoff, qui avoit aussi voulu fiancer sa fille au jeune czar, venoit d'éprouver précisément les mêmes revers: mais il étoit plus malheureux que son rival, parce qu'abbatu par le désespoir, il n'avoit pu trouver dans son cœur les mêmes ressources que le pâtissier-prince avoit puisées dans le sien. La fille de Menzikoff vint apprendre cette nouvelle à son frère avec une sorte de satisfaction, qu'il partagea d'abords mais bientôt la réflexion lui fit plaindre son ennemi, et regretter de ne pouvoir le secourir. Peu de temps après, il fut rappelé avec, sa sœur à Pétersbourg, par la czarine Anne. Ils laissèrent à Dolgorouski leur cabane et tout ce qu'ils possédoient, et se rendirent à la cour. Le jeune Menzikoff y fut capitaine des gardes, et recut le cinquième des biens de son père. Sa sœur devint dame d'honneur de l'impératrice, et fut avantageusement mariée, ayant pour dot les sommes que son père avoit placées sur les banques de Venise et d'Amsterdam. Les ennemis de Menzikoff avoient voulu s'emparer aussi de cette portion de sa fortune, mais les directeurs de ces. banques avoient déclaré qu'ils ne pouvoient les rendre que quand le propriétaire seroit libre.

8. C'étoit un des principes fundamentaux du gouvernement romain, de ne connoître d'autre terme de la guerre que la victoire, et, pour y parvenir, de surmonter avec une persévérance infatigable tous les obstacles et tous les dangers qui la pouvoient retarder. Les plus grands malheurs, les pertes les plus

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désespérantes, n'étoient point capables d'abattre leur courage, ni de leur faire admettre aucune condition de paix basse et déshonorante. Dans les conjonctures les plus tristes, les foibles conseils, loin de prévaloir, n'étoient pas même écoutés. Après la sanglante bataille de Cannes, où plus de cinquante mille Romains demeurèrent sur la place, il fut résolu qu'on ne prêteroit l'oreille à aucune proposition de paix. Le consul Varron, qui avoit été cause de la défaite, fut recu à Rome comme s'il eût été victorieux, parce que, dans un si grand malheur, il n'avoit point désespéré des affaires de la république. C'est ainsi qu'au lieu de décourager les citoyens par un exemple de sévérité placé mal-à-propos, le sénat leur apprenoit, par son exemple, à se roidir contre la mauvaise fortune, et à prendre dans les disgraces la fierté qu'inspire aux autres le succès le plus complet.

9. Denys le jeune ayant été chassé de Syractise, chercha une retraite à Corinthe, où il menoit une vie pauvre et précaire. Dans les momens où les in commodités de sa nouvelle condition se faisoient le plus vivement sentir: « Heureux, s'écrioit-il, ceux « qui, dès l'enfance, ont fait l'apprentissage du malheur ! » On lui demandoit à quoi lui avoient servi les leçons de Platon et l'étude de la philosophie. « A supporter avec courage le changement de ma « fortune,» répondit-il.

10. Le grand Pompée étant arrivé à Rhodes, alla rendre visite au fameux Possidonius, philosophe stoïcien, alors malade de la goutte. Il lui témoigna le chagrin qu'il avoit de ne pouvoir l'entendre parler sur la philosophie. « Vous le pouvez, dit Possidonius « et la douleur ne sera pas la cause qu'un si grand << homme soit venu me trouver en vain. » Il commença dans le moment à traiter un sujet intéressant; mais sentant, au milieu de son discours, les aiguillons de la douleur qui le perçoient vivement, il s'écrioit quelquefois; « Tu as beau faire, douleur « obstinée, tu ne me forceras jamais d'avouer que tu « es un màl. » Voyez EGALITÉ D'AMÉ, FERMETÉ,

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