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cisément ce qui constitue l'originalité de la loi morale, de réunir, en une synthèse vivante, ces deux caractères, d'obligation impérieuse et d'attrait désintéressé. Le bien dont il s'agit est quelque chose à la fois au-dessus de nous et en nous c'est notre propre perfection. Ce n'est pas nous-mêmes dans notre état actuel, c'est nousmêmes conçus dans notre plein développement, dans notre pleine dignité; c'est la personne idéale* que chacun porte en lui et se sent tenu de dégager de plus en plus par son libre effort. N'est-il pas vrai de dire que cet idéal de perfection est à la fois au-dessus de nous et en nous-mêmes, puisque c'est nous-mêmes dans tout ce que nous avons de meilleur, dans toute l'excellence que comporte notre nature?

A la fois et tour à tour cet idéal nous apparaît comme impérieux et comme attrayant; les deux choses ne sont nullement contradictoires. La loi morale apparaît plutôt comme un commandement quand on s'écarte d'elle, quand il y a chute; alors elle nous fait sentir l'humiliation de la déchéance, nous parle ce langage dur et plein de reproches, si triste à entendre: c'est alors qu'on connaît le mécontentement de soi, l'amertume du remords. Mais, quand on a fait quelque chose pour accomplir la loi, quand on est en règle avec le devoir, plus on s'est rapproché de l'idéal* entrevu, plus son caractère impérieux disparaît, pour laisser paraître son caractère aimable et attrayant. On est alors élevé, attiré vers lui par un mouvement naturel; il nous parle, pour ainsi dire, d'une voix engageante, exerce sur la volonté et sur le cœur una véritable séduction. Comme il y a encore des rechutes, il y a place encore pour le remords; mais le remords alors est moins aigu: c'est une tristesse noble, où dominent le désir et l'espoir de se relever, où subsiste l'attrait dominant du mieux.

Autre reproche qu'on pourrait faire à cette conception de l'autonomie* morale.- Mais peut-être fera-t-on encore un autre reproche à cette conception de l'autonomie* morale. Se donner la loi à soi-même, dira-t-on, cela

n'est-il pas bien commode? Car enfin, la loi qu'on s'impose volontairement ne gêne guère, on peut s'en relever soi-même. Ne serait-ce pas pure duperie à l'homme, de lier par une vraie règle, inflexible et austère, sa propre activité? La duperie ne peut manquer d'apparaître dès que le devoir sera un peu pénible à accomplir: comme on s'était librement donné la loi, librement aussi on se dispensera de la suivre; rien ne sera plus aisé que de s'y soustraire, puisqu'il tient à chacun de s'y soumettre si bon lui semble. Singulière loi, en vérité, qui n'est pas pour gêner les gens, ni pour entraver le développement désordonné des passions!

Réponse. L'autonomie* n'est pas l'isolement de la personne, mais, au contraire, le sentiment qu'elle prend de son rôle dans le tout. Il n'est pas vrai, répondrons-nous, que l'autonomie* soit, comme on le dit, la fantaisie, le caprice de la personne, s'avisant, dans son isolement, de se poser des règles à elle-même. La personne n'est pas isolée; elle a des liens et des attaches avec d'autres personnes, avec le monde entier, avec tout l'ordre des choses. Cette idée singulière qu'elle a, d'une loi qu'elle peut violer, mais à laquelle elle doit se soumettre, n'est pas autre chose, en somme, que le sentiment qu'elle prend de son rôle dans le tout. L'idéal moral n'est donc pas la conception généreuse, mais éphémère, d'une volonté isolée; c'est la conception de l'ordre total et parfait, dans lequel chaque volonté joue son rôle, et est appelée à le jouer librement. C'est pourquoi il y a un mélange ineffable d'autorité et de charme dans la façon dont la loi morale s'adresse à nous. Nous sommes à la fois libres et liés à son égard, pareils à des musiciens tenus de faire leur partie dans une symphonie ou dans un chœur.

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L'idéal meut les volontés bonnes comme le dieu d'Aristote meut le monde. Selon Aristote*, Dieu meut l'univers à la manière d'un aimant: comme il est le suprême intelligible et le suprême désirable, il attire. toutes choses vers lui-même, c'est-à-dire vers la perfec

tion. Eh bien! c'est de cette manière que l'idéal* meut les volontés bonnes; par son attrait même, par sa propre perfection. Elles se tournent vers lui spontanément, elles veulent s'approcher de lui librement; quand elles le font, leur action est bonne et belle, et plus il leur en coûte de le faire, plus elles méritent le nom d'âmes ver

tueuses.

IV LEÇON

La loi morale est-elle la recherche du plaisir? Doctrine Cyrénaïque*.- Doctrine de Fourier*. Critique de la volupté comme règle de conduite.

Où il faut chercher la loi morale.

La formule antique: « Suivre la nature; » son défaut. Réduction de tous les principes d'action volontaire à trois, de toutes les doctrines morales à trois types. Premier principe d'action : la recherche du plaisir.-Exposé: L'agréable identifié à l'honnête, le plaisir sans choix proclamé le seul bien. Les Cyrénaïques *. Ch. Fourier et le phalanstère*. Discussion de ce principe.. En quoi il est spécieux au premier abord. Que le plaisir, en réalité, n'offre aucun des caractères requis. Qu'il n'est surtout pas obligatoire et ne peut, érigé en principe de conduite, rendre compte d'aucune des données de la conscience. Qu'il est même faux de proclamer le plaisir comme le but universel et dernier de la vie animale. A plus forte raison, il ne peut Critique de la vo

être le but unique de l'activité raisonnable. lupté; ses effets. Citations de Vinet *.

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Conclusion: Le plaisir objet du devoir (en quel sens), et lié à lui (de quelle manière).

Où il faut chercher la loi morale.

Nous connaissons

les caractères de la loi morale et les conditions auxquelles elle doit satisfaire; de plus, nous savons où il faut la chercher comme elle est essentiellement une loi des volontés libres, nous ne la trouverons pas en dehors de nous; nous ne pouvons la chercher qu'en nous-mêmes, dans les mobiles et les motifs qui déterminent nos résolutions,

La formule antique : « Suivre la nature » ; son défaut. Cette simple remarque nous permet de dissiper tout d'abord une équivoque. Une formule nous est venue de l'antiquité, spécieuse autant que célèbre, en apparence très claire, et qui semble exprimer en trois mots la loi que nous cherchons: Suivre la nature. Vivre conformément à la nature. En un sens, c'est bien là en effet toute la morale; et nous devrons nous-mêmes revenir à cette formule quand nous saurons l'interpréter; mais est-il possible de poser à notre point de départ une règle si vague et si confuse? Elle dit tout à la fois et ne dit rien nettement; en fait, les théories les plus différentes, se la sont appropriée. Les moralistes du plaisir à outrance, les moralistes du plaisir raffiné, Aristote*, les Stoïciens*, tous les philosophes de l'antiquité ont prétendu << suivre la nature »>.

Si par cette expression on entend: chercher dans l'ordre extérieur la règle de notre conduite, cela revient à dire qu'il faut demander aux choses ce que doit faire la personne; axiome que nous ne saurions accepter, car nous cherchons une loi de la volonté raisonnable, et non une loi d'ordre physique. Observons autour de nous les êtres de tout rang ce sont les plus infimes qui suivent le plus infailliblement la nature. Les corps inertes sont soumis à des lois nécessaires et immuables : les astres parcourent leur orbite, sans jamais s'écarter d'une ligne de la route qui leur est tracée. Les animaux aussi suivent la nature avec l'infaillibilité aveugle de l'instinct. Est-ce là que nous chercherons des modèles? Appellerons-nous vertu la conduite de l'être mené fatalement, et comme à son insu, au but que la nature lui assigne?

Prenons y garde : tout ce qui est et se fait est dans la nature. En elle-même, elle est indifférente au bien et au mal. Elle entraîne toutes choses, et ne demande qu'à nous entraîner nous aussi, dans un mouvement fatal. Oui, nous-mêmes, en tant que nous faisons partie de la nature, nous sommes soumis à des lois sourdes et aveugles, auxquelles il ne nous est pas donné de nous soustraire. Pro

clamer que nous devons obéir aux forces naturelles, et que telle est notre loi unique, c'est affirmer qu'il n'y a pas de loi des volontés, pas de loi morale. Car si la loi morale ne prescrit pas autre chose que de suivre la nature, à quoi donc sert-elle? Elle est trop claire, en vérité, et n'a pas besoin d'être enseignée! Nous évertuer à établir une doctrine des mœurs, pour arriver à donner comme le dernier mot de la sagesse ce précepte commode, de suivre notre pente à la façon des choses et des bêtes, c'est faire l'acte insensé d'un homme qui allumerait un flambeau en plein midi pour éclairer sa route.

Et pourtant la formule antique est pleine de grandeur et de sagesse, mais c'est à condition de la bien entendre. Il s'agit de savoir en quoi consiste notre nature, de passer en revue tous nos mobiles, tous nos motifs d'action, et de chercher parmi eux quels sont ceux qu'il faut prendre pour règle. Nous ne devons pas apparemment, les suivre tous indistinctement, puisque les passions les plus abjectes sont dans la nature au même titre que les plus nobles. Voyons donc, parmi les principes d'action que nous offre la nature si complexe de l'homme, quels sont ceux qu'il faut, à l'exclusion des autres, ériger en lois, et auxquels la raison nous commande d'obéir.

Réduction de tous les principes d'action volontaire à trois, de toutes les doctrines morales à trois types. -Tous les principes d'action volontaire peuvent, en somme, se réduire à trois. Si nombreux que soient nos motifs et nos mobiles (parce qu'ils se nuancent de mille manières et se diversifient à l'infini), au fond, un homme agit toujours :

Soit par égoïsme, égoïsme aveugle et passionné, ou au contraire, égoïsme prudent, savant et raffiné; Soit par sentiment, par exemple par sympathie; Soit par raison et par respect de l'ordre.

Tous les systèmes de morale que nous présente l'histoire de la philosophie ont posé comme principe un de ces mobiles, et il n'est aucune doctrine qui, en dernière analyse, ne se ramène à l'un de ces trois types. Exami

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