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Critique de Bentham* par Herbert Spencer : Pétition de principe de l'Utilitarisme*. - M. Herbert Spencer* a fait autrefois la critique la plus forte et la plus judicieuse de la doctrine de Bentham*. Dans un dialogue serré, il met aux prises un « moraliste » et un « Benthamiste ».、 Voici en substance ce dialogue:

Le Moraliste.

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Votre maxime est bien « Le plus

grand bonheur pour le plus grand nombre? >>

Le Benthamiste.

Le Moraliste.

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C'est-à-dire que si quatre-vingt-dix

neuf personnes trouvaient leur bonheur ou leur intérêt à une certaine action, et que cent autres y trouvassent leur malheur, l'action ne devrait pas être faite?

Le Benthamiste.

Le Moraliste.

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Et cela pour cette seule raison, qu'il

y a une personne de plus d'un côté que de l'autre? Le Benthamiste. Précisément.

Le Moraliste.

Vous supposez donc l'égalité des personnes? Vous prenez pour accordé que les unités humaines se valent, comme les unités abstraites en arithmétique, puisque vous vous contentez d'en faire la somme de part et d'autre et de comparer.

Le Benthamiste. Je l'avoue.

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Le Moraliste. Mais comment savez-vous que les personnes sont des unités d'égale valeur? Rien au monde n'est plus contraire aux faits : l'inégalité est partout, inégalité de fortune, de puissance, d'intelligence, de courage... Où donc prenez-vous cet axiome, que l'intérêt d'un homme est aussi respectable que celui d'un autre? Qui vous dit, par exemple, que vous soyez mon égal, que vous ayez un droit égal au mien?

Le Benthamiste.

Mais j'en suis sûr! Je le sens ! Le Moraliste. Je n'en demande pas davantage. Vous posez en principe l'égale dignité des personnes : vous parlez en cela comme un pur disciple de Kant* et je ne m'étonne plus de ce qu'il y a de spécieux et d'élevé dans vos préceptes. Quant à vous croire utilitaire* et disciple de Hobbes*, renoncez à cette illusion,

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Bentham jugé par un disciple. Un disciple de Bentham, Sir Henry Sumner Maine*, auteur de plusieurs ouvrages très estimés: L'Ancien droit, Histoire des Institutions primitives, résume ainsi sa pensée sur son maître, et cette pensée nous paraît si juste, qu'elle nous servira de conclusion. «< Comme juriste, dit-il, Bentham* a raison : l'intérêt général est le souci dominant du législateur et le plus solide fondement de la pénalité. Comme historien du droit, il aurait encore raison, car à l'origine, dans les petites communautés primitives, les rapports sociaux ne s'inspiraient, il faut l'avouer, d'aucune règle abstraite ou délibérément convenue; ils procédaient de cette conscience nullement raisonnée, mais en quelque sorte intuitive, des nécessités et des intérêts sociaux, qui est la grande génératrice des coutumes.... Mais le grand tort de Bentham* a été de transporter cette vue, juste en elle-même, du domaine de la législation et de l'histoire dans celui de la morale. >>

VII LEÇON

L'utilitarisme* contemporain. — Littré*
Stuart Mill. Herbert Spencer*.

Dernier mot sur la doctrine de Bentham*.

Nouvelle forme de l'utilitarisme* contemporain.

I. Origine de l'idée de justice selon M. Littré*: L'idée de justice n'aurait été d'abord que l'idée de compensation ou de dédommagement.

Réponse: 1° ce qu'il y a de vrai dans cette vue historique; 2° comment M. Littré s'élève lui-même au-dessus de sa propre thèse : le juste déclaré par lui distinct de l'utile et identique au vrai.

*

II. Genèse du sens moral selon Stuart Mill*: Le sentiment du juste est un vif mouvement de défense personnelle généralisé. - L'autorité

du mot justice tient à ce qu'il résume toute l'expérience humaine relativement à l'utilité des actions.

III. Herbert Spencer* se déclare pour la morale utilitaire: Comment il rajeunit la doctrine en faisant intervenir l'hérédité", et la rend plus spécieuse encore qu'elle n'est chez Mill.

Qu'il est particulièrement nécessaire de dissiper ici tout malentendu : 1° caractère hypothétique de cette construction pseudo-historique*: 2o elle n'explique pas le caractère sacré du devoir; 3° quand cette théorie serait vraie et rendrait compte de tous les faits, elle ne résout pas la question de l'idéal* moral (mot de Kant *). Conclusion générale touchant les doctrines utilitaires*: L'utile, objet du devoir, mais distinct de lui. «Fais ce que dois. »

Dernier mot sur la doctrine de Bentham*. La

-

formule « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre » présuppose l'égalité des personnes, laquelle est une notion irréductible à la notion d'intérêt telle est la conclusion de la précédente leçon. Bentham* a raison, comme juriste; il a tort comme moraliste. L'intérêt, en effet, pas plus l'intérêt général que l'intérêt particulier, n'a rien en lui-même qui le rende respectable et sacré; il ne devient tel que par des considérations d'un autre ordre, c'est-à-dire en se reniant lui-même. C'est pour avoir transporté cette règle de l'intérêt général du domaine de la législation dans celui de la morale que Bentham* a mérité toutes les critiques élevées contre son système.

Nouvelle forme de l'utilitarisme* chez nos contem

porains. Depuis Bentham*, cependant, la doctrine del l'utilité a revêtu encore une autre forme, et nous devons la suivre sur un nouveau terrain. Notre siècle est surtout un siècle d'histoire. Toutes les questions scientifiques ont été, de nos jours, rajeunies, renouvelées, par l'intervention des considérations historiques en tout ordre de recherches, on s'efforce de remonter aux ori · gines. En philosophie donc, et en morale, aussi bien qu'en histoire naturelle, le problème des origines est devenu le principal et s'est posé à tout propos. Sur le point particulier qui nous occupe, des doctrines ont paru qui, tout en reconnaissant la nature originale du sens moral, tel qu'il est aujourd'hui, de la notion de justice notamment, telle qu'elle est maintenant dans les

esprits, pensent pouvoir en retracer l'origine et la formation, et la réduire ainsi à des éléments distincts d'ellemême. A l'origine, les notions du bien et du mal, du juste et de l'injuste, auraient été identiques à celles de l'utile et du nuisible; elles ne s'en seraient distinguées qu'au cours des siècles, par une lente transformation.

I. Origine de l'idée de justice selon M. Littré* : L'idée de justice n'aurait été d'abord que l'idée de compensation ou de dédommagement. Le savant éminent qui fut le chef de l'école positiviste en France depuis Auguste Comte*, M. Littré*, a écrit un opuscule intitulé Origine de l'idée de justice. Selon lui, l'idée de justice n'aurait été d'abord dans l'histoire que l'idée de compensation ou de dédommagement. Chez toutes les populations barbares de l'antiquité, dans les premiers âges de la Grèce, chez les Germains*, dont Tacite* nous raconte l'histoire (comme d'ailleurs, aujourd'hui encore, chez la plupart des tribus sauvages rencontrées et décrites par les voyageurs), la notion pure du bien et du mal, les notions de culpabilité et de pénalité proprement dites, faisaient absolument défaut. Lorsqu'un crime avait été commis, personne n'y voyait rien de plus qu'un dommage causé; le crime appelait, non pas un châtiment ni une réprobation morale, mais un dédommagement, une indemnité.

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Les exemples que M. Littré* nous cite sont empruntés aux auteurs classiques eux-mêmes, et d'une authenticité incontestable. Un meurtre était-il commis, au temps d'Homère*, « on dédommageait les parents du mort et l'on allait ensuite partout, tête levée. » « On reçoit, dit Ajax, la compensation pour le meurtre d'un frère ou d'un fils; le meurtrier reste parmi les siens, ayant payé une large compensation; et l'offensé, ainsi dédommagé, s'apaise et renonce à son ressentiment. » Dans ce texte, le mot grec poïné, qui est le même que le latin pœna et le français peine, ne signifie pas autre chose que compensation, indemnité pour une offense. Chez les Germains, dit Tacite, « on expie un homicide par

un nombre déterminé de bœufs et de moutons, et toute la famille reçoit la satisfaction. » — Nous retrouvons ce même usage en Gaule; et, dans Grégoire de Tours*, c'està-dire aux origines mêmes de la France, un meurtrier peut dire à un homme qu'il a ainsi dédommagé largement « Tu me dois beaucoup de grâces de ce que j'ai tué tes parents; car, par le moyen de la compensation que tu as reçue, l'or et l'argent abondent dans ta maison. >> (Hist., vii, 19).

Locke *, voyageant en France vers la fin du dix-septième siècle, séjourne à Montpellier, alors ville d'hiver comme sont aujourd'hui Pau et Nice; il nous rapporte qu'un crime ayant été commis dans cette ville, le meurtrier, au vu et su de tout le monde, échappa à la justice en payant une somme d'argent 1.

Réponse : 1° Ce qu'il y a de vrai dans cette vue historique. De tous ces faits, M. Littré* propose luimême une interprétation qui va nous montrer combien il diffère, en réalité, des philosophes proprement utilitaires*. Mais, avant de poursuivre, demandons-nous ce qu'il y a de vrai dans cette vue historique. Il semble hors de doute, d'après ces textes, que la notion pure du bien et du mal s'est dégagée lentement, péniblement au cours de l'histoire, qu'elle était à l'origine assez confuse dans les esprits et prenait des formes fort grossières. Dans une Histoire des mœurs, dans une esquisse des progrès de la moralité, les passages cités par M. Littré* seraient d'une extrême importance. Accordons-le donc : si le mal, dans l'état de barbarie, est réprimé, c'est en

1. Dans quelques provinces du centre de la France une expression s'est conservée, qui semble porter la marque de ces usages barbares; on dit : « la grâce d'un homme » pour désigner une somme déterminée, 300 francs, si je ne me trompe; comme si, dans un temps relativement récent, la mort d'un homme avait coûté une somme à peu près fixe et convenue d'avance. On sait d'ailleurs qu'au moyen âge la vie humaine était estimée, et pour ainsi dire tarifée en raison de la situation et du rang des personnes. On payait plus pour le meurtre d'un orfèvre que pour celui d'un manoeuvre, plus pour un noble que pour un vilain.

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