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C'est ainsi que le critique fupérieur laiffe au génie toute fa liberté; il ne lui demande que de grandes chofes, & il l'encourage à les produire. Le critique fubalterne l'accoutume au joug des regles; il n'en exige que l'exactitude, & il n'en tire qu'une obéiffance froide, & qu'une fervile imitation. C'est de cette espece de critique, qu'un auteur que nous ne faurions affez citer, en fait de goût, a dit : ils ont laborieufement écrit des volumes fur quelques lignes que l'imagination des poëtes à créées en fe jouant.

Qu'on ne foit donc plus furpris fi, à mefure que le goût devient plus difficile, l'ima gination devient plus timide & plus froide & fi prefque tous les grands génies, depuis Homere jufqu'à Lucrece, depuis Lucrece jusqu'à Milton & à Corneille, femblent avoir choifi, , pour s'élever, les temps où l'ignorance leur laiffoit une libre carriere. Nous ne citerons qu'un exemple des avantages de cette liberté, Corneille eût facrifié la plupart des beautés de fes pieces, & eût même abandonné quelques-uns de fes plus beaux fujets tels que celui des Horaces, s'il eût été aufsi févere dans fa compofition, qu'il l'a été dans fes examens; mais heureufement il compofoit d'après lui, & fe jugeoit d'après Ariftote. Le bon goût, nous dira-t-on, eft donc un obftacle au génie. Non, fans doute; car le bon goût eft un fentiment courageux & mâle, qui aime fur-tout les grandes chofes, & qui échauffe le génie en même-temps qu'il l'éclaire. Le goût qui le gêne & qui l'amollit, eft un goût craintif & puérile, qui veut qui veut tout polir, & qui affoiblit tout. L'un veut des ouvrages hardiment conçus; l'autre en veut de fcrupuleufement finis; l'un eft le goût du critique fu

périeur, l'autre eft le goût du critique fubal

terne.

Mais autant que le critique fupérieur eft au deffus du critique fubalterne, autant celui-ci l'emporte fur le critique ignorant. Ce que celui ci fait d'un genre, eft, à fon avis

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tout ce qu'on en peut favoir renfermé dans sa sphere fa vue eft pour lui la mesure des poffibles; dépourvu de modeles & d'objets de comparaifon, il rapporte tout à lui-même : par-là tout ce qui eft hardi, lui paroît hasardé; tout ce qui eft grand, lui paroît gigantefque. C'est un nain contrefait, qui juge, d'après fes proportions, une ftatue d'Atinous ou d'Hercule. Les derniers de cette derniere claffe font ceux qui attaquent tous les jours ce que nous avons de meilleur, qui louent ce que nous avons de plus mauvais, & qui font de la noble profeffion des lettres, un métier auffi lâche & auffi méprifable qu'eux-mêmes.

Cependant comme ce qu'on méprife le plus, n'eft pas toujours ce qu'on aime le moins on a vu le temps où ils ne manquoient ni de lecteurs, ni de Mecenes. Les magiftrats euxmêmes, cédant au goût d'un certain public avoient la foibleffe de laiffer à ces brigands de la littérature une pleine & entiere licence. I eft vrai qu'on accordoit aux auteurs pourfuivis, la liberté de fe défendre, c'est-à-dire, d'illuftrer leurs critiques, & de s'avilir; mais peu d'entre les hommes célebres ont donné dans ce piege. Le fage Racine difoit de ces petits auteurs infortunés; (car il y en avoit auf de fon temps); ils attendent toujours Poccafion de quelque ouvrage qui réuffiffe, pour P'attaquer, non point par jalousie ; car fur quel fondement feroient-ils jaloux ? mais dans Vefpérance qu'on fe donnera la peine de leur

répondre, & qu'on les tirera de l'obfcurité, où leurs propres ouvrages les auroient laifles toute leur vie. Sans doute ils feront obfcurs dans tous les fiecles éclairés; mais dans les temps où régnera l'ignorance orgueilleufe & jaloufe, ils auront pour eux le grand nombre & le parti le plus bruyant: ils auront furtout pour eux cette efpece de perfonnages ftupides & vains, qui regardent les gens de lettres comme des bêtes féroces destinées à l'amphithéatre pour l'amufement des hommes; image qui, pour être jufte, n'a befoin que d'une inverfion. Cependant, fi les auteurs outragés font trop au deffus des infultes pour y être fenfibles; s'ils confervent leur réputation dans l'opinion des vrais juges, au milieu des nuages dont la baffe envie s'efforce de l'obf. curcir, la multitude n'en recevra pas moins l'impreffion du mépris qu'on aura voulu répandre fur les talents, & l'on verra peu à peu s'affoiblir dans les efprits cette confidération univerfelle, la plus digne récompenfe des travaux littéraires, le germe & l'aliment de l'émalation.

Nous parlons ici de ce qui eft arrivé dans les différentes époques de littérature, & de ce qui arrivera, fur-tout lorfque le beau, le grand, le férieux en tout genre, n'ayant plus d'afyle que dans les bibliotheques, & auprès d'un petit nombre de vrais amateurs, laifferont le public en proie à la contagion des froids Romans, des farces infipides, & des fottifes polémiques.

Quant à ce qui fe paffe de nos jours, nous y tenons de trop près pour en parler en liberté; nos louanges & nos cenfures paroîtroient également fufpectes. Le filence nous convient d'autant mieux à ce fujet, qu'il eft fondé fur l'exem

ple des Fontenelle, des Montefquieu, des Buffon, & de tous ceux qui leur reffemblent. Mais fi quelque trait de cette barbarie que nous venons de peindre, peut s'appliquer a quelques-uns de nos contemporains, loin de nous rétracter, nous nous applaudirons d'avoir préfenté ce tableau à quiconque rougira ou ne rougira point de s'y reconnoître. Peut-être trouvera-t-on mauvais que, dans un ouvrage de la forme de celui-ci, nous foyons entrés dans ce détail; mais la vérité vient toujours à propos, dès qu'elle peut être utile. Nous avouerons, fi l'on veut, qu'elle eût pu mieux choifir fa place; par malheur elle n'a point à choisir.

Qu'il nous foit permis de terminer cet article par un fouhait que l'amour des lettres nous infpire, & que nous avons fait autrefois pour nous-mêmes. On voyoit à Sparte les vieillards affifter aux exercices de la jeuneffe, l'animer par l'exemple de leur vie paffee, la corriger par leurs reproches, & l'inftruite par leurs leçons. Quel avantage pour la république littéraire, fi les auteurs, blanchis dans de favantes veilles, après s'être mis par leurs travaux au deffus de la rivalité & des foibleffes de la jaloufie, daignoient préfider aux effais des jeunes gens, & les guider dans la carriere; fi ces maîtres de l'art en devenoient les critiques: fi par exemple, les auteurs de Rhadamiste, d'Alzire vouloient bien examiner les ouvrages de leurs éleves, qui annonceroient quelque talent, au lieu de ces extraits mutilés, de ces analyfes féches, de ces décifions ineptes, où l'on ne voit pas même les premieres notions de l'art, on auroit des jugements éclairés par l'expérience, & prononcés par la justice Le nom feul du critique infpireroit du refpect; l'encouragement feroit à côté de la correction; l'homme confommé verroit d'où le jeune homme eft parti, où il a voulu arriver, s'il s'est égaré dès le premier pas ou fur la route, dans le choix

ou dans la difpofition du tujet, dans le deffein ou dans l'exécution: il lui marqueroit le point où a commencé fon erreur, il le rameneroit fur fes pas, il'lui feroit appercevoir les écueils où il s'eft brité, & les détours qu'il avoit à prendre; enfin, il lui enfeigneroit non-feulement en quoi il a mal fait, mais comment il eût pu mieux faire, & le public profiteroit des leçons données au poëte. Cette efpece de critique, loin d'humilier les auteurs, feroit une diftinction flatteufe pour leurs talents & pour leurs ouvrages, on y verroit un pere qui corrigeroit fon enfant avec une tendre févérité, & qui pourroit écrire à la tête de fes conseils:

Difce, puer,

virtutem ex me, verumque laborem,

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