صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

piter, et devenir l'assassin du seul objet qui puisse l'attacher à la vie?..... Voilà donc le prix qu'elle recevra de tant d'amour et de fidélité ?...... Mais tandis que le malheureux Sabinus s'abandonne ainsi à ses déchirantes réflexions, le Ciel lui prépare un moment de bonheur, fait pour dédommager d'une vie entière de souffrances avant la fin du jour, Eponine elle-même doit paroitre dans ce lugubre souterrain, qui retentit si tristement des gémissemens de Sabinus.... Ce lieu d'horreur et de ténèbres, désormais habité par la vertu la plus pure, va devenir le temple auguste de la sainte fidélité, et l'asile heureux du bonheur. Comment s'empêcher de regretter que les historiens ne nous aient pas transnis le détail touchant de la première entrevue d'Eponine et de son époux, lorsqu'elle parut tout-à-coup à ses yeux, pâle, tremblante, arrachée au trépas par le seul desir de vivre dans un cachot avec ce qu'elle aime; et l'instant où, se jetant dans les bras de Sabinus, elle lui dit sans doute: « Je viens « adoucir ton sort en le partageant; je viens reprendre les droits sacrés et d'épouse et d'amie; je « viens enan te consacrer la vie que tu m'as ren« due ». Quelle admiration! quelle reconnoissance dut éprouver Sabinus! comme dans un moment tout est changé autour de lui! quel charme répand Eponine sur chaque objet qui l'environne! cette vaste caverne n'offre plus rien de triste aux yeux de Sabinus; cependant en songeant que c'est désormais la demeure d'Eponine, il soupire..... hélas ! il ne peut offrir qu'une affreuse prison à celle qui seroit digne de régner dans un palais.

[ocr errors]

Eponine et Sabinus concertèrent ensemble les mesures qu'ils devoient prendre pour leur sûreté commune. Il étoit impossible qu'Eponine disparût entièrement du monde, sans s'exposer à des recherches dangereuses; d'ailleurs, en renonçant pour toujours à sa famille et à ses amis, elle s'êtoit les moyens de servir Sabinus, si l'occasion s'en présen

[ocr errors]

toit. Il fut donc décidé qu'elle ne viendroit dans le souterrain que la nuit; mais sa maison en étoit éloignée; il falloit faire cinq lieues à pied. Comment supporteroit-elle cette fatigue? comment une femme timide et délicate, élevée dans le luxe et la mollesse, oseroit-elle, si belle et si jeune, s'exposer, sous la garde d'un seul affranchi, à tous les dangers d'un voyage nocturne et pénible, qui devoit se renouve-` ler si souvent? comment enfin auroit-elle assez de discrétion et de prudence pour dérober à tous les yeux et ses démarches et son secret?... Comment! elle aimoit, elle pouvoit se passer d'expérience, de force et de courage; elle étoit guidée par les deux plus grands mobiles des actions extraordinaires l'amour et la vertu, si rarement réunis, mais si puissans lorsqu'ils se trouvent ensemble. Eponine, en effet, tint avec exactitude tous les engagemens que son cœur lui avoit fait prendre; elle venoit régulièrement chaque soir au souterrain, et souvent elle y passoit plusieurs jours de suite, ayant su prendre les précautions nécessaires pour que son absence ne donnât aucun soupçon. La vie sauvage et retirée qu'elle menoit dans le monde, la douleur qu'on lui supposoit, lui procuroient la facilité de dérober ses démarches au public, et d'échapper aux observations des gens curieux et désœuvrés. Pour aller voir son époux, elle triomphoit de tous les obstacles: ni les rigueurs de l'hiver, ni le froid, ni la pluie ne pouvoient l'arrêter ou la retarder. Quel spectacle pour Sabinus, lorsqu'il la voyoit arriver tremblante, hors d'haleine, pouvant à peine se soutenir sur ses pieds délicats et meurtris, et tâchant cependant, par un doux sourire, de dissimuler sa lassitude et sa souffrance; ou, pour mieux dire, les oubliant auprès de lui! Mais un nouvel événement doit rendre encore Eponine plus chère, s'il est possible, à Sabinus; elle va bientôt devenir mère, et donner le jour à deux jumeaux.... Quelle nouvelle source de bonheur pour elle, mais en même temps de crainte et d'in

* *

quiétude!... A quels embarras vont la livrer l'obligation de cacher son état à tout ce qui l'entoure, et l'impossibilité d'avoir les secours dont une femme, dans sa situation, peut difficilement se passer!... Mais avec un cœur si fidèle et si passionné, Eponine est-elle une femme ordinaire? est-il une épreuve au-dessus de ses forces, et qui puisse la décourager ou l'abattre ?... Non, elle saura dérober la connoissance de son important secret à ses domestiques, à sa famille, à ses amis. Pourroit-elle manquer d'expédiens et de prudence? il s'agit de conserver son honneur, sa réputation, ou la vie de Sabinus. Elle saura triompher de la douleur même, et la supporter sans se plaindre. Absente de Sabinus, et tout-àcoup atteinte d'un mal aussi nouveau pour elle que violent, elle s'enferme, invoque, au défaut des secours humains, l'assistance du ciel, répète mille fois le nom de Sabinus, et se résigne à son sort avec autant de patience que de courage. C'est ainsi qu'elle devint mère de deux enfans, dont l'existence si chère, la dédommage et la récompense de tout ce qu'elle a souffert. Aussitôt que la nuit est venue, Eponine prenant ses enfans dans ses bras, s'échappe de sa maison, et, chargée de ce précieux fardeau, elle arrive au souterrain. Qui pourroit peindre le profond attendrissement, les transports et la joie de Sabinus, en apprenant d'Eponine qu'il est père, et en recevant à la fois dans ses bras son épouse et ses enfans!... Ces enfans, gages touchans de la tendresse la plus parfaite et la plus pure, condamnés, dès leur naissance, à vivre et à croître dans une prison !... Cruelle pensée! faite pour empoisonner le bonheur de Sabinus, qui, sans doute, en les embrassant dut se dire : << Infortunés enfans, hélas! quand » pourrez-vous jouir de la lumière et de la liberté?...

Mais Eponine est votre mère; vous serez chéris » par elle; ah! vous ne vous plaindrez point de » votre destinée ! »

Les deux enfans d'Eponine furent élevés dans le

[ocr errors]

que

souterrain, et n'en sortirent jamais durant l'espace de neuf ans que Sabinus y resta caché. Loin que le temps eût diminué l'assiduité d'Eponine, il ne fit rendre ses voyages plus fréquens au souterrain; elle y trouvoit son époux, ses enfans: devenue étrangère au monde et à la société, l'univers et le bonheur n'existoient plus pour elle qu'au fond de la caverne de Sabinus. Cependant ses absences devenant chaque jour plus multipliées et plus longues, donnèrent enfin des soupçons, et l'excès de la sécurité acheva de la perdre. Elle fut observée, suivie, et l'infortuné Sabinus découvert. Des soldats, envoyés par l'Empereur, viennent l'arracher de son souterrain, et ne conçoivent pas, en voyant cette affreuse demeure, qu'on puisse la regretter et verser des pleurs en la quittant. Dans cette extrémité, Eponine, ne démentant ni la vertu, ni le courage dont elle avoit donné tant de preuves, se rend au palaïs de l'Empereur, suivie de ses deux jeunes enfans: on se précipite en foule sur son passage: chacun veut la voir et l'applaudir; tout le palais retentit des acclamations qu'elle excite; et c'est ainsi qu'on vit du moins la vertu malheureuse obtenir le tribut d'éloges qu'elle mérite. Eponine, insensible à la gloire, ne comprenant pas même qu'on puisse admirer sa conduite, et plaignant ceux qu'elle étonne, s'avance tristement à travers la foule qui l'environne, et arrive enfin à l'appartement de l'Empereur. Tout le monde se retire; alors Eponine, se jetant avec ses enfans aux pieds de Vespasien, lui parla en ces

termes :

« Voyez, César, à vos genoux, la femme et les > enfans de l'infortuné Sabinus, ces enfans innocens, » élevés dans un lugubre cachot, et qui pour la pre» mière fois, jouissent aujourd'hui de la vue du » soleil. Eh quoi ! cet astre radieux qui ne luit pour >> eux que depuis si peu d'instans, doit-il éclairer >> le supplice de Sabinus, et ce jour, qui les arrache » des ténèbres et de la captivité, doit-il être enfis

[ocr errors]
[ocr errors]

>>

» le dernier des jours de leur père?... Mais quel fut » le crime de Sabinus? l'ambition. César, si cette passion n'eût pas dominé dans votre ame, feriez>> vous le bonheur de l'univers? seriez-vous l'arbitre » du sort de mon époux ?... Vous avez prouvé jusqu'ici que la fortune ne fut point avengle en vous » favorisant; achevez de la justifier par votre elé» mence..... Tout vous est soumis; vous régnez. Ah! » connoissez le plus doux charme de ce haut rang » où vous a placé le sort; plaignez les malheureux, » et sachez pardonner. Pourriez-vous être insensible >> aux pleurs d'une épouse, d'une mère, aux gémissemens de ses enfans? Vous êtes souverain, vous » êtes père, et l'innocence et la nature auroient en » vain versé des larmes à vos pieds! Hélas! le ciel » ne s'est-il pas chargé lui-même du châtiment de >> Sabinus? Ne vous a-t-il pas ôté le droit de le punir, en ne le livrant entre vos mains qu'après >> neuf ans de captivité ?.... Souffrirez-vous qu'on » puisse vous reprocher un jour un excès de rigueur » si peu nécessaire à votre sûreté? Ah! César, son» gez-y, votre inflexibilité ne peut ravir à Sabinus qu'une vie obscure et languissante, tandis qu'elle » terniroit aux yeux de la postérité, cette gloire si brillante et si pure, heureux et juste fruit de vos travaux et de vos exploits.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

On demandera sans doute, après la lecture de rette anecdote intéressante, si Vespasien se laissa toucher. Hélas! non; et ce prince, peu sensible à tant de vertus, condamna à la mort l'époux d'Eponine, qui, engagé dans un parti contraire au sien, avoit manifesté des prétentions à l'Empire. Au reste, l'héroïsme d'Eponine ne se démentit pas jusqu'au dernier instant, et elle accompagna son mari au supplice.

Si les dieux, dit un ancien philosophe, pleins de douceur et de bonté, ne lancent pas leur foudre vengeresse sur les têtes coupables des grands et des

« السابقةمتابعة »