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vique, et avoient prouvé la noblesse de leur ame par leurs bienfaits et leur désintéressement, Léopold voulut les ennoblir.

Les familles s'assemblèrent, et les chefs d'une voix unanime, remercièrent leur souverain de la grace qu'il vouloit leur faire, et se dispensèrent de l'accepter... Nos enfans, disent-ils, dans leur réponse, également sage et soumise, nos enfans ne penseront peut-être pas comme nous: enivrés de leur noblesse, ils se dispenseront de servir les pauvres ; ils dédaigneront de cultiver nos héritages; la bénédiction de Dieu de ne se répandra plus sur leurs travaux ; ils se désuniront, ils cesseront d'être heureux : ils refusèrent donc les lettres de noblesse qu'on leur offroit, et celle de leur ame n'a jamais dégénéré.

Les succès presque prodigieux des cures opérées par les Fleuriot ont souvent excité l'envie et la jalousie de leurs voisins.

La première fois que j'allai à Plombières je m'informai particulièrement de cette famille. Je commandois alors dans cette partie de la Lorraine : il me fut aisé d'approfondir les détails que je voulois connoître,

Les uns me parlèrent des Fleuriot avec autant d'amour que d'admiration; un très-petit nombre de gens que je croyois devoir être les plus éclairés, voulut jeter un vernis de superstition et d'ignorance sur la manière avec laquelle les Fleuriot en usoient dans leurs opérations. Je crus cependant les rapports qui leur étoient les plus favorables; je me fis un honneur et un devoir d'examiner les faits par moi-même, pour me mettre en droit de les dévoiler.

Une étude assez suivie que j'ai faite dès ma jeunesse de l'anatomie, me mettoit à portée de distinguer la science réelle d'avec le prestige.

Je fus au Valdajou, sans faire annoncer mon arrivée un habit uni, un seul domestique qui me suivoit, rien ne leur annonça que l'abord d'un étranger, arrivé par hasard au milieu de leurs habitations.

Tout m'édifia, tout m'attendrit en entrant dans

une de leurs premières maisons; je me refuse avec peine au plaisir de décrire la propreté et l'ordre qui y régnoient, l'honnêteté de ceux qui l'habitoient; j'y reconnus tous les traits les plus simples et les plus touchans de la véritable hospitalité. Mon but étoit de connoître le degré d'instruction où les plus habiles étoient parvenus dans un art fondé sur une science exacte et réelle. Après m'être rafraîchi, et avoir admiré tout ce qui étoit du ressort de l'économie rurale et du gouvernement intérieur de la famille, je demandai s'ils avoient quelques livres. Ils me dirent que leurs livres étoient assemblés dans une maison peu distante qu'occupoit un des anciens chefs de la famille. Ils m'y conduisirent; j'y fus reçu par un homme âgé, respectable, et qui, sous un air rustique, me montra des mœurs douces et polies. Il me fut facile d'entrer en matière avec lui; je lui demandai quels principes de son art il avoit étudiés. Il me répondit : les bons livres, la nature et l'expérience ont été les seufs maîtres de mes pères; je n'en ai pas eu d'autres, et cette tradition passera à mes enfans. Il m'ouvrit alors un grand cabinet simplement orné, mais riche par ce qu'il contenoit. J'y trouvai les meilleurs livres de chirurgie, anciens et modernes, qui soient connus, j'y trouvai des squelettes d'hommes et de femmes, de quatre ou cinq âges différens; des squelettes démontés, dont les pièces confondues ensemble, pouvoient être rejointes et remontées par une main experte; j'y trouvai des mannequins artistement faits, qui offroient une miologie complète.

C'est ici, me dit-il, que nous nous formons à la science nécessaire pour soulager nos frères; nous apprenons en même temps à nos enfans à lire et à connoître ce qu'ils disent. Ceux qui ont de la disposition connoissent ces os, ces muscles avant l'âge de dix ans ; ils savent les démonter et replacer chaque pièce. Voici une grande armoire où toutes les espèces de bandages et des ligatures propres aux différentes

parties, sont étiquetées, et où leur usage est défini. Nous leur apprenons de bonne heure à appliquer la pratique à la théorie : la plupart de ces chèvres que vous voyez, nos chiens mêmes en sont souvent les victimes: l'espèce de cruauté que nous exerçons sur ces animaux, en éteint le germe dans le cœur de nos enfans, que nous excitons à devenir sensibles à leurs plaintes, et à les soulager; bientôt ils apprennent à les guérir. Voilà toutes les leçons que j'ai reçues, celles que nous donnons à nos enfans, et la bénédiction de Dieu se répand sur nos soins.

Je ne puis exprimer le respect et l'attendrissement dont je me sentis saisi : j'embrassai ce vertueux vieillard; je me fis connoître, et je le priai de me dire si je pouvois lui être utile, à lui ou à quelqu'un de sa famille.

Il étendit la main vers les habitations, les champs et les jardins qui les entouroient: Ce que vous voyez, me dit-il, suffit à nos besoins; la providence a béni nos soins, et nous avons même de quoi soulager les malheureux; ce qu'on nous offriroit au-delà de nos petits frais nécessaires, nous seroit inutile; il nous deviendroit peut-être nuisible, en excitant la cupidité dans nos enfans. » Mais, Monsieur, ajouta-t-il, vous avez le bonheur d'être grand officier de Stanislas, notre cher et auguste souverain; daignez lui dire que toutes nos familles élèvent leurs vœux au ciel pour la conservation de ses jours précieux, et que les Fleuriot ne cesseront jamais de travailler à se rendre utiles aux malheureux, pour mériter d'être comptés dans le nombre des meilleurs sujets du plus bienfaisant de tous les souverains.

Oraison funèbre d'un Paysan.

Ce ne sont pas ces grands surchargés d'honneurs et de titres; ce ne sont pas ces riches qui, fiers de leur opulence, ont insolemment abusé de la situation des hommes honnêtes et pauvres, qu'ils ont lâchement fait servir au monstrueux accroissement de leur fortune; ce ne sont point ces ingrats heureux, qui, éblouis par leurs propres succès, ont impunément offensé, méconnu, violé les droits de l'amitié ; ce ne sont point ces êtres importuns, incommodes, tyrans, qui laissent à leur mort le plus grand vide dans la société, et les regrets les plus cuisans à effacer; ce sont ces ames paisibles, tendres, douces, honnêtes, qui savent obliger sans faire valoir leurs services; ces hommes officieux qui savent obliger sans avilir le plus noble des sentimens par la plus lâche des passions, l'intérêt; ce sont ces hommes utiles, par qui les autres existent, et qu'on dédaigne, qui méritent à leur mort les regrets des cœurs sensibles; et tel fut celui qui fixoit l'attention publique dans le village où je me trouvois par hasard il y a quelques jours. Je fus fort étonné de voir tous les habitans de ce village, les yeux baignés de larmes, l'air triste et consterné, entrer silencieusement dans l'église. Ce spectacle me frappa, je les suivis. Je vis au milieu d'un temple lugubre, le cadavre d'un vieillard habillé en paysan, dont les cheveux blancs et l'air encore respeciable annonçoient la candeur. Quand tous les assistans furent placés, le ministre du lieu monta en chaire, et prononça cette courte oraison funèbre, que je gravai dans ma mémoire.

« Mes chers concitoyens, l'homme que vous voyez n'étoit rien moins que riche, et cependant il a été pendant près de quatre-vingt-dix années le bienfai

teur de ses semblables: il étoit fils d'un laboureur; dans sa plus tendre jeunesse, ses foibles mains s'essayèrent à conduire la charrue : ses jambes n'eurent pas plutôt acquis la force nécessaire, qu'on le vit suivre son père dans les sillons qu'il traçoit. Aussitôt que son corps eut pris son développement, et qu'il put se flatter d'être assez instruit, il se chargea du travail de son père, afin que celui-ci se reposât. Depuis ce jour, le soleil l'a toujours trouvé dans lès champs ou dans les jardins, occupé à labourer, ou à semer, ou à planter, ou à voir recueillir aux autres la récompense de son industrie. Il a défriché pour les autres, plus de deux mille arpens d'un terrain ingrat, qui paroissoit voué à la stérilité, qui rapporte maintenant, et sans lui, continuera de rapporter dorénavant, parce qu'il l'a mis en valeur. C'est lui qui a planté la vigne qu'on voit avec tant de surprise dans ce canton; c'est lui qui a planté ces arbres fruitiers qui ornent et enrichissent ce village. Ce ne fut pas par avarice qu'il fut infatigable, je vous l'ai dit : ce n'étoit pas pour lui qu'il semoit et qu'il labouroit, c'étoit par amour pour le travail et pour obliger les hommes, même ceux qui le désobligeoient, qu'il ne cessa de travailler. Il avoit deux principes dont il ne se départit jamais le premier, que l'homme est fait pour travailler; le second, que Dieu bénit le travail de l'homme, ne fût ce que par l'intérieure satisfaction de l'homme voué au travail. Il se maria vers la fin du printemps de son âge : il eut une femme qu'il aima plus que lui-même, des enfans qu'il chérit autant que son épouse: son sort ni sa situation gênée ne l'inquiétoient point; c'étoit le sort de sa femme et de vingt enfans; il les éleva au travail et à la vertu, et eut soin, à mesure qu'ils sortoient de l'adolescence, de les marier à des femmes honnêtes et laborieuses; c'étoit lui qui, la joie peinte sur le front, les conduisoit aux pieds des autels. Tous ses petitsfils ont été élevés sur les genoux de leur grand-père, et vous savez, chers auditeurs, qu'il n'est aucun

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