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lui payer un certain tribut, à lui fournir un certain nombre de troupes, et à ne conserver dans son pays aucune place forte. Il ne fut pas possible de ne pas convenir de tous ces faits, qui étaient de notoriété publique. Pourquoi donc, continua Cyrus, avez-vous violé le traité dans tous ses articles? C'est, reprit l'Arménien, parce que je trouvais qu'il était beau de secouer le joug, de vivre libre, et de laisser ses enfants dans le même état. Il est glorieux en effet, répliqua Cyrus, de combattre pour defendre sa liberté; mais si quelqu'un, après avoir été réduit en servitude, tâchait de se dérober à son maître, que lui feriez-vous? Je suis obligé d'avouer, dit le roi, que je le punirais. -Et si vous aviez donné un gouvernement à quelqu'un de vos sujets, et qu'il eût prévariqué, le laisseriezvous en place? - Non certes, et je lui en substituerais un autre. Et s'il avait amassé de grandes richesses par ses malversations? Je l'en dépouillerais. Mais, ce qui est bien plus, s'il avait eu quelque intelligence avec vos ennemis, comment le traiteriez-vous? Dussé-je me condamner moi-même, reprit le roi, je ne puis m'empêcher de dire la vérité : je le ferais mourir. A ces paroles son fils s'arracha la tiare de la tête, et déchira ses vêtements; les femmes, de leur côté, jetèrent des cris et des hurlements, comme s'il eût prononcé lui-même son arrêt.

Cyrus, ayant de nouveau fait faire silence, Tigrane alors prit la parole, et se tournant vers Cyrus : Grand prince, lui dit-il, croyez-vous qu'il soit de votre sagesse de faire mourir mon père, même contre vos propres intérêts? Et quels intérêts done? C'est que jamais il ne fut plus en état de vous rendre service. Comment

cela? dit Cyrus; est-ce que les fautes passées sont un titre qui puisse nous acquerir un nouveau merite, et nous attirer une nouvelle consideration? Oui certes, si elles servent à nous rendre sages. De quel prix en effet n'est point la sagesse, et peut-on lui comparer ni richesses, ni adresse, ni courage? Or il est bien clair que cette journée seule a rendu mon père très-prudent. Il sait ce qu'il en coûte pour manquer à sa parole. D'ailleurs il a senti votre supériorité au-dessus de lui en tout. Il n'a pu venir à bout d'aucun de ses projets, et vous avez exécuté tous les vôtres, mais avec tant de promptitude et de secret, qu'il s'est vu enveloppé avant que de savoir qu'on l'attaquât; et c'est le lieu même de sa retraite qui a servi à le prendre. Mais, reprit Cyrus, votre père n'a encore rien souffert qui ait pu le rendre plus sage. La crainte des maux, dit Tigrane, quand elle est aussi sérieuse que celle-ci l'est, a une pointe beaucoup plus aiguë et plus capable de déchirer le cœur que le mal même. Mais, j'ose le dire, la reconnaissance est encore un motif infiniment plus efficace et plus persuasif; et il n'en peut être au monde qui approche de celle que mon père vous devra. Biens, liberté, sceptre, vie, femmes, enfants, rendus avec une telle générosité, où trouverez-vous, grand prince, en une seule personne, tant et de si forts liens qui puissent l'attacher à votre service?

Hé bien! reprit Cyrus, en se tournant du côté du roi, si je me laisse fléchir aux prières de votre fils, quelle armée et quelle somme me fournirez-vous pour nous aider dans la guerre que nous avons contre les Babyloniens? Mes troupes et mes trésors ne sont plus à moi, dit l'Arménien, mais à vous seul. Je puis mettre

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I

sur pied quarante mille hommes d'infanterie, et huit mille de cavalerie. Pour l'argent, j'estime qu'en prenant les trésors que mon père m'a laissés, il se trouvera bien trois mille talents d'argent comptant. Voilà de quoi vous pouvez disposer. Cyrus accepta la moitié des troupes, et laissa l'autre au roi pour la défense du pays contre les Chaldéens avec qui il était en guerre. Il doubla le tribut qu'il devait payer chaque année aux Mèdes, et au lieu de cinquante talents il en exigea cent, et en demanda autant à emprunter en son nom. Mais, ajouta Cyrus, que me donneriez-vous pour la rançon de votre femme? Tout ce que je possède au monde, répondit le roi.—Et pour celle de vos enfants?-La même chose. Vous voilà donc redevable à mon égard de la moitié plus que vous ne possédez. Et vous, Tigrane, de combien rachèteriez-vous la liberté de votre femme? (Ill'avait épousée depuis peu, et l'aimait passionnément.) De mille vies, répliqua-t-il, si je les avais. Cyrus pour-lors les conduisit tous dans sa tente, et leur donna à souper. On comprend aisément quelle fut la joie de ce festin.

Après le repas comme on s'entretenait de différentes choses, Cyrus demanda à Tigrane, qu'il avait tiré à part, ce qu'était devenu un gouverneur qu'il avait vu plusieurs fois avec lui à la chasse, et dont il faisait un cas tout particulier. Hélas! dit-il, il n'est plus : et

1 9 millions. 16,500,000 fr. - L.

2 Xénophon ne nomme jamais les peuples de la Babylonie Chaldéens. Mais Hérodote, lib. 7, cap. 63, et Strabon, lib. 16, p. 739, les placent dans ce pays. Les Chaldéens, dont il

s'agit ici, étaient des peuples voisins de l'Arménie.

= Il paraît en effet que ces Chaldéens sont une colonie des Chalybes du Pont, laquelle s'était établie dans la petite Arménie. — L.

je n'oserais vous avouer par quel accident je l'ai perdu. Cyrus le pressant de le lui apprendre : Mon père, continua Tigrane, voyant que j'aimais tendrement ce gouverneur, et que je lui étais fort attaché, en conçut quelque jalousie, et le fit mourir. Mais c'était un si honnête homme, qu'étant tout près d'expirer, il me fit venir, et me dit ces propres paroles : Que ma mort, Tigrane, ne vous indispose point contre le roi votre père. Il n'a point agi à mon égard par méchanceté, mais sur une fausse prévention qui l'a malheureusement aveuglé. Ah! l'excellent personnage, s'écria Cyrus : mais n'oubliez jamais le dernier avis qu'il vous a donné.

Quand la conversation fut finie, Cyrus, avant que de les renvoyer, les embrassa tous pour marque d'une parfaite réconciliation; après quoi ils montèrent dans leurs chariots avec leurs femmes, et se retirèrent pénétrés de reconnaissance et d'admiration. Pendant tout le chemin il ne fut mention que de Cyrus. Les uns vantaient sa sagesse, d'autres admiraient son courage, ceux-ci relevaient sur-tout sa douceur, quelques-uns faisaient valoir sa taille et son port majestueux. Et vous, dit Tigrane, en s'adressant à son épouse, que vous semble de la mine de Cyrus? Je n'y ai point fait d'attention, répondit-elle. Sur qui donc vos yeux étaient-ils attachés? Sur celui qui disait qu'il donnerait mille vies pour racheter ma liberté.

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Le lendemain le roi d'Arménie envoya des présents à Cyrus, et des rafraîchissements pour toute l'armée. Il apporta aussi le double de l'argent qu'il devait fournir; mais Cyrus, ayant pris simplement ce qu'il avait demandé, lui rendit le reste. Les troupes arméniennes

eurent ordre de se tenir prêtes pour le troisième jour, et Tigrane voulut les commander.

J'ai cru, pour plusieurs raisons, devoir insérer ici le récit détaillé de cet événement, quoique pourtant je l'aie abrégé de près de trois quarts de ce qu'il a dans Xénophon.

Premièrement il peut servir à faire connaître le style de cet excellent historien, sur-tout si on a la curiosité de consulter l'original, dont les beautés naturelles et sans art sont bien propres à justifier l'estime singulière que les gens de bon goût ont toujours fait de la noble simplicité de cet auteur. Pour ne citer qu'un exemple, quel trait de pudeur et de modestie, mais en même temps quelle merveilleuse naïveté, quelle délicatesse d'esprit dans l'ingénue réponse de la femme de Tigrane, qui n'a des yeux que pour son mari!

En second lieu, ces interrogations courtes et pressantes, qui demandent chacune une réponse précise de la part du roi d'Arménie, décèlent un disciple de Socrate qui avait bien retenu le goût de son maître.

D'ailleurs, ce récit peut donner quelque idée du jugement qu'on doit porter de la Cyropédie de Xénophon, dont le fond est vrai, mais qui est embellie par des circonstances que l'auteur a ménagées exprès, et a ajoutees à dessein pour donner d'utiles leçons et d'excellentes règles sur le gouvernement. Ainsi ce qu'il y a de reel dans l'événement dont il s'agit ici, c'est que, le roi d'Arménie ayant refusé de payer le tribut qu'il devait aux Mèdes, Cyrus l'attaqua fort à propos, et avant qu'il pût soupçonner qu'on songeait à lui; qu'il se rendit maître du seul fort qu'il eût, et en même temps de toute sa famille; qu'il l'obligea de payer le tribut ordi

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