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tout ce qui est français - tournure d'esprit avec laquelle on compte, et qui ne nuit aucunement à l'excellence de son observation, quand il la dirige sur la patrie d'autrui l'exemple de Stendhal restera toujours une leçon fructueuse dans l'art de voyager. Il ne manque jamais l'occasion de décocher une épigramme contre l'Anglais globe-trotter, cet individu aussi vivant il y a cent ans qu'aujourd'hui, à visage morne, à démarche disgracieuse, qui, guide en main, promène son ennui dans les quatre coins du monde, encore plus anglais (entendez par là triste, prompt à se fâcher, hypocrite et puritain) au milieu de l'Afrique qu'il ne l'est à son propre foyer. C'est le contraire du voyageur stendhalien.

Beyle avait l'habitude de se formuler des maximes de conduite qui devaient l'aider à faire face aux diverses circonstances de la vie. Il faisait cela très sérieusement, il essayait même d'appliquer ses préceptes (1).

Le premier article de son code pour les voyageurs enseigne qu'il ne faut jamais perdre sa bonne humeur, ne jamais prendre au tragique les accidents de passeport, de quarantaine et de versades qui viennent souvent contrarier les plus belles courses. C'est là la valeur suprême des voyages qui enseignent aux animaux les plus débiles de la terre la vraie philosophie - celle de tourner tout au gai.

Second article: il faut en voyage faire des imprudences et ne pas se renfermer dans un quant-à-soi

1. Ne dit-il pas assez joliment « Mon caractère fait l'effort pénible de suivre les maximes de l'esprit auquel le hasard l'a attelé. »

sévère. Si l'on s'expose aux mille inconvénients d'un voyage, c'est apparemment pour se procurer des sensations nouvelles, et non pas pour vivre comme chez soi.

Troisième article se défendre de certains mouvements d'impatience qu'éprouve le voyageur le plus bienveillant à la vue du grand nombre de choses étranges et insolites qui vous assiègent de toutes parts. Il faut se faire aussi vite que possible du pays, en prendre la teinte du ciel, oublier même celle que l'on vient de perdre, car « une bouteille ne peut contenir à la fois du champagne et du bordeaux ».

Et en dernier lieu, quand on voyage, on doit faire son métier de voyageur, c'est-à-dire regarder et non pas lire. Evidemment cela n'est pas toujours amusant. La journée consacrée à la première visite des musées publics est une des pires corvées imposées au pauvre voyageur arrivant pour la première fois dans un pays. Mais il faut en passer par là, pour arriver au plaisir que l'on ressent à la dixième visite. Ce plaisir ne vaut rien, si, au lieu de jaillir spontanément, il est provoqué par une autre personne. Pour cela, visiter les monuments sans livre, n'admirer que ce qui fait réellement plaisir, en croyant toujours que le voisin qui admire est payé pour vous tromper. Alors, on ne tombera pas dans le ridicule de ces Anglais, dont Stendhal décrit assez plaisamment la visite à un musée de peinture : « Je les vois arriver au bout de la galerie avec des yeux rouges, une figure fatiguée, des lèvres inexpressives, livrés à leur propre poids. Heureusement il y a des

canapés, et ils s'écrient en bâillant à se démettre la mâchoire : Ceci est superbe! (1) »

Cet art de voyager que professe Stendhal est à l'usage de tout le monde. Mais ce qui distingue Stendhal comme voyageur, ce qui donne un certain prix à ses moindres remarques, c'est un penchant qui tient à un art tout différent, et qui n'est nullement à la portée du premier venu. C'est que lui possède le génie du psychologue. Au lieu des monuments, des paysages, c'est partout l'homme qui l'intéresse et qu'il sait le mieux regarder, observant tous ses mouvements, fouillant ses pensées les plus secrètes, mettant à nu ses passions les mieux cachées. Arrivé parmi des étrangers, il se donne la tâche de découvrir leur manière de rechercher le bonheur, car, tout compte fait, c'est là toute la vie de l'homme. Un critique a très bien dit que les Mémoires d'un Touriste écrits par Stendhal ne peuvent être que les mémoires d'un moraliste, et que le seul voyage qu'il sût faire était un voyage à travers les hommes (2). Tels ses voyages en Italie: tels aussi ses voyages en Angleterre.

Il est surtout insensible à la beauté de la nature. Avide de sensations imprévues, réclamant deux ou trois cubes par jour d'idées nouvelles, il trouve que rien ne conduit aussi vite au bâillement et à l'épuisement moral que la vue d'un fort beau paysage. Dans ce cas, la colonne antique la plus insignifiante lui

1. Histoire de la Peinture en Italie, p. 246.
2. Faguet. Revue des Deux-Mondes, 1er fév. 1892.

paraît d'un prix infini, comme empêchant l'âme de tomber dans une atrophie mortelle. Décidément, les monuments valent mieux que la nature comme stimulants. Ils peuvent même intéresser par eux-mêmes, mais les voyages ont des plaisirs bien autrement fascinants que les visites des musées. « A Londres, une journée employée à visiter les curiosités de la Tour et les tombeaux de Westminster ennuie à périr et n'apprend rien. Ces curiosités, ces tombeaux ressemblent à peu près à ce qu'on voit partout. Une journée employée à se promener sur les trottoirs des rues qui conduisent de la Bourse à Saint-James montre mille détails curieux sur les habitudes sociales ou plutôt anti-sociales des Anglais... Ce qui est curieux, c'est ce qui se passe dans la rue et qui ne semble curieux à aucun homme du pays (1) .»

C'est même une manière de se garantir contre la mauvaise humeur en voyage que d'étudier les personnes faites pour vous ennuyer. Il faut savoir adapter à son propre usage le conseil de Cuvier : « Voulez-vous vous guérir de cette horreur assez générale qu'inspirent les vers et les gros insectes, étudiez leurs amours; comprenez les actions auxquelles ils se livrent toute la journée sous vos yeux pour trouver leur subsistance. >> Apprenez donc à traiter tout le monde comme un insecte, et vous défendrez votre belle humeur, en même temps que vous augmenterez vos connaissances de la nature humaine. Personne n'a mieux suivi que Stendhal,

1. Mémoires d'un Touriste, II, 293.

et plus consciencieusement, le conseil du naturaliste. C'est ce qui le met à part comme voyageur, à un rang infiniment haut.

Tel est le portrait du voyageur qui va bientôt débuter en Angleterre.

Enthousiaste depuis sa jeunesse de la littérature anglaise, résolu de passer le détroit à la première occasion, Stendhal devait caresser ce rêve de longues années avant de pouvoir le réaliser. Déjà, en 1803, il écrivait à son ami Edouard Mounier: «Ne sauterezvous point avec le consul sur un bateau plat, to hear Shakespeare's divine language in his Country? A votre place, je ferais la folie, non par ambition, mais pour voir une des plus belles époques de l'histoire moderne (1). » Cinq ans plus tard, il n'a pas oublié son projet et il assure sa sœur de son intention d'aller en Angleterre «< fût-ce pour trois semaines comme Mme Roland », lui affirmant qu'il se sent le courage d'y passer dans un bateau de six pieds de long (3). Il en vient à envisager avec sang-froid la mort peut-être proche de son père, car elle lui fournira de quoi réaliser ce rêve chéri. Il le dit à Crozet avec la franchise et le mauvais anglais qu'on lui connaît: At the Jesuit's death, if I can, I will go in England pour 40.000 francs (3).

1. Correspondance, I. 74. 2. Correspondance, I. 323

3. Correspondance, 30 septembre 1816: Il est cependant permis de croire que cette intention n'était pas plus sérieuse que celle de se confier à un bateau de six pieds de long, car il s'interrompt pour parler du projet bien autrement curieux, d'épouser à l'âge de quarantecinq ans une veuve âgée de trente ans et possédant les deux tiers de

son revenu.

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