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BERGER GARDANT SES CHÈVRES. (D'après un bas-relief du Louvre.)

VIRGILE. CEUVRES COMPLÈTES

CHAPITRE PREMIER

La jeunesse de Virgile.

Date et lieu de naissance. Le poète que nous appelons Virgile s'appelait Publius Vergilius Maro (1). Il naquit le 15 octobre de l'an 70 av. J.-C., sous le consulat de M. Licinius Crassus et de Cn. Pompée, à Andes, petite ville du territoire de Mantoue dont l'emplacement n'est pas certain. On l'a identifiée avec le bourg de Pietola. Il est vrai que celui-ci est à 3 milles de Mantoue, et que, d'après une des biographies de Virgile, Andes en était distante de 30 milles; mais il y a dans cette biographie

1. La vie de Virgile nous est connue 1° par une assez longue notice placée en tête du commentaire de DONAT, provenant selon toute apparence de SUÉTONE; 2o par des notices plus courtes en

VIRGILE.

tête des commentaires de SERVIUS
et de PROBUS, et en tête des ma-
nuscrits de Berne 167 et 172
3° par une biographie versifiée et
inachevée, due au grammairien
PHOCAS.

1

une erreur probable : le territoire dépendant de Mantoue ne semble pas avoir été assez étendu pour qu'une localité située à 30 milles pût en faire partie. Quoi qu'il en soit, il est certain que Virgile, par sa naissance, appartenait à la Gaule Cisalpine. Il serait téméraire, à ce propos, de soulever la question des influences de race. On peut seulement noter que les écrivains originaires de ce pays, comme plus tard ceux de la Gaule Transalpine romanisée, se distinguent par des qualités d'aisance, d'élégance, de facilité, de mesure, où l'on peut reconnaître une lointaine esquisse de l'art français.

La famille. Il n'est pas sûr que le père de Virgile ait été ouvrier potier, ni qu'il ait été le serviteur, puis le gendre, d'un nommé Magius, lui-mème viator ou appariteur d'un magistrat rural il est sûr qu'il était de condition rustique et médiocre. L'aïeul du poète, Magius, et sa mère, Magia Polla, étaient peut-être originaires de Crémone; la ressemblance fortuite de leur nom avec le mot magia est peut-être pour quelque chose dans les légendes qui, au moyen-âge, feront de Virgile un sor-. cier. Magia eut, du père de Virgile, deux autres fils, Silon et Flaccus, qui moururent jeunes; d'un autre mariage, Valerius Proculus, à qui le poète légua la moitié de sa fortune. Les biographes disent que Magia ne put survivre au chagrin que lui causa la mort prématurée de son fils Flaccus: si cela est vrai, elle aurait eu à un haut degré cette sensibilité qui devait s'exprimer d'une manière si touchante dans les vers de son fils.

L'enfance.

Les premières années du poète s'écoulèrent dans la maison de ses parents. Un historien moderne décrit en termes assez heureux le paysage qu'il eut tout d'abord sous les yeux: « La ferme de Virgile était sur les bords du Mincio. Cette rivière, qui, par la couleur de ses eaux, est d'un vert de mer profond, a sa source dans le lac de Garde. Elle en sort et coule au pied de petites collines irrégulières qui sont couvertes de vignes; puis, après le château romantique de Valleggio, situé sur une éminence, elle descend à travers une longue vallée, et se répand dans la plaine en deux petits lacs, au-dessus et au-dessous de Mantoue. De là elle poursuit son cours pendant environ deux milles, dans un pays plat et fertile, jusqu'à son confluent avec le Pô..... Le domaine du poète s'étendait en plaine, entre quelques hauteurs au sud-ouest et le bord uni de la rivière, et comprenait un vignoble, un verger, un rucher, d'excellents pâturages qui permettaient au propriétaire de porter ses fromages à Mantoue et d'élever des victimes pour l'autel des dieux. Le courant, à l'endroit même où il bordait la ferme de Virgile, est large, lent et sinueux. Ses bords marécageux sont couverts

de roseaux, et des cygnes en grand nombre voguent sur ses eaux ou paissent l'herbe de ses rives humides et gazonnées. En tout, le paysage du domaine de Virgile était doux, d'une douceur un peu pâle et stagnante, de peu de caractère, peu propre à exciter de sublimes émotions ou à suggérer de vives images (1). » C'est également ce que remarque le voyageur et critique français Ampère : « On conçoit mieux ici la mélancolie de Virgile, dans cette atmosphère brumeuse et douce, dans cette campagne monotone, sous ce soleil fréquemment voilé. » Il ne faudrait pas outrer cette vue; il ne faut surtout pas oublier que, de bonne heure, le poète fut mis en contact avec d'autres spectacles, plus puissants et plus vigoureux mais il reste vrai que si le paysage mantouan est doux, calme, un peu triste, il est en parfait accord avec le fond même du caractère virgilien.

La jeunesse. A l'âge de 12 ans, Virgile alla faire ses premières études à Crémone, où il resta trois ans, jusqu'à sa prise de toge virile. Une tradition assez douteuse veut que cette cérémonie ait eu lieu le jour même de la mort du poète Lucrèce. Il étudia ensuite à Milan, et enfin à Rome. C'était la marche habituellement suivie par les jeunes gens de cette époque d'abord la ville la plus importante de leur voisinage immédiat, puis la grande métropole de la région, enfin la capitale de l'empire. Un biographe raconte qu'il fut l'élève du rhéteur M. Epidius, le maître de Marc-Antoine et d'Octave; ce n'est pas prouvé; en tout cas, il ne fut nullement attiré par la carrière oratoire. Il est douteux également qu'il ait été le disciple du grammairien-poète Parthenius: mais il dut suivre les leçons de quelque professeur du même genre, et c'est là qu'il apprit à connaître les chefs-d'œuvre de la littérature grecque surtout ceux de l'école alexandrine, dont il devait tout d'abord s'inspirer. Beaucoup plus certains sont ses rapports avec le philosophe épicurien Siron. A l'époque des Bucoliques, il apparaît encore comme un fidèle disciple de ce maitre: la doctrine qu'il expose dans la VI églogue sur la formation du monde n'est autre que la théorie atomistique, empruntée par Epicure à Démocrite. Plus tard, il s'affranchira de cette école : il sera plutôt stoïcien dans les Géorgiques, stoïcien et platonicien dans l'Enéide. Toutefois l'influence de son premier maître ne s'effaça jamais tout à fait. D'ailleurs, si c'est par lui qu'il fut initié aux études philosophiques, il reçut de lui ce qu'il devait y avoir de plus profond et de plus substantiel dans sa poésie. Une épigramme, probablement authentique et à coup sûr fort jolie, nous le

1. DUNLOP, Hist. de la litt. romaine.

montre dans toute la ferveur de son zèle philosophique, avec, pourtant, quelques regrets de la littérature:

Ite hinc, inanes, ite, rhetorum ampullae,
Inflata rore non Achaico verba;

Et vos, Stiloque Tarquitique Varroque,
Scholasticorum natio madens pingui,
Ite hinc, inane cymbalon juventutis.

Nos ad beatos vela mittimus portus,
Magni petentes docta dicta Sironis,
Vitamque ab omni vindicamus cura.

Ite hinc, Camenae, vos quoque ite jam, sane
Dulces Camenae (nam fatebimur verum :
Dulces fuistis); et tamen meas chartas

Revisitote, sed pudenter et raro.

5

10

Les premiers essais poétiques. Il n'y a guère lieu de douter que Virgile, encore très jeune, n'ait commencé à faire des vers. Mais quels vers? il est impossible de le savoir avec certitude. Les biographes anciens lui attribuent sept ou huit ouvrages de jeunesse, que nous possédons encore, mais qui donnent lieu aux doutes les plus légitimes.

Les Catalecta. Ils mentionnent deux recueils, qui n'en font probablement qu'un, les Epigrammes (1) et les Catalecta (2). Dans

1. Ampullae est une métaphore qui désigne l'emphase grandiloquente. Le mètre de cette pièce est le trimètre iambique scazon ou choliambe (m.-à-m. iambe boiteux, c'est-à-dire terminé par un spondée). 2. Rore non Achaico: les rhéteurs que raille Virgile ne sont pas des Attiques, mais des Asiatiques, d'un goût moins fin et moins pur. Virgile mentionne dans ce vers (dont le texte n'est d'ailleurs pas très sûr) trois célèbres grammairiens de la génération antérieure : L. Aelius Stilo Praeconinus, l'historiographe Tarquitius, auteur d'un livre De rebus divinis, le plus fécond des érudits mains, M. Terentius Varro.

3.

et

ro

4. Les mots scholasticus et natio
se prennent souvent dans un sens
onique.
5. Cymbalon:

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les manuscrits actuels, nous trouvons sous ce dernier nom 14 petites pièces de vers, en distiques élégiaques ou en vers iambiques. Trois semblent être réellement de Virgile celle que nous venons de citer, (l'Adieu à la rhétorique), et deux autres que nous donnerons à leur place, sur la maison de Siron, et sur l'Enéide. Une quatrième, l'épigramme contre le rhéteur Annius Cimber, est citée par Quintilien comme étant de Virgile; bien que l'autorité de Quintilien ne soit pas incontestable, on peut regarder ces quatre vers comme authentiques :

Corinthiorum amator iste verborum (1),
Thucydides (2), tyrannus atticae febris,

Tau gallicum, min, al, sil (3), ut male elisit,
Ita omnia ista verba miscuit fratri.

Les autres pièces sont d'origine fort incertaine, et ne valent pas la peine qu'on s'en inquiète beaucoup. Il y en a de fort grossières. Il y en a de remarquablement insignifiantes, comme les épigrammes à Antonius Musa, sur la mort d'Octavius, et en l'honneur de Messalla. Il y en a trois ou quatre d'assez amusantes, dans le goût de Catulle, comme les épigrammes contre Noctuinus et sur Délie; celles-là, à la rigueur, pourraient être de Virgile, car Virgile semble avoir beaucoup admiré et imité Catulle; mais beaucoup d'autres jeunes auteurs, alors, partageaient ce goût. Citons seulement la fine épigramme du Muletier, qui est une parodie de la célèbre poésie de Catulle sur le vaisseau de Sirmione :

Sabinus ille, quem videtis, hospites,
Ait fuisse mulio celerrimus,
Neque ullius volantis impetum cisi
Nequisse praeterire, sive Mantuam
Qpus foret volare, sive Brixiam.

Et hoc negat Tryphonis aemuli domum
Negare nobilem insulamve Caeruli,

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le poète les présente comme autant de substances vénéneuses pilées par Cimber pour composer le poison qu'il veut donner à son frère. Sur le mètre de cette épigramme, voy. p. 4, note 1.

1. Il s'agit sans doute de P. Ventidius Bassus, d'abord muletier, puis lieutenant d'Antoine et consul. Le mètre est l'iambique trimètre. 2. Ait fuisse tour poétique pour ait se fuisse. 3. Le cisium était une espèce de cabriolet. 7. On appelait insula un pâté » de maisons compris entre plusieurs rues; ici le

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