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Plusieurs critiques modernes, Heyne, Genthe, Benoist, ont jugé cette explication invraisemblable. On doit avouer que leurs objections ne sont pas très probantes. Il faudrait, disent-ils, que le prince et son ministre eussent été bien naïfs pour croire que des vers, même de beaux vers, pourraient convertir à l'agriculture une société qui en était depuis longtemps dégoûtée. - C'est peut-être trop se défier du pouvoir de

MÉCÈNE.

PAOY

la littérature; elle a eu quelquefois des effets aussi puissants que celui qu'ont pu en attendre Auguste et Mécène. En tout cas, ils étaient loin d'avoir, devant les maux de leur temps, cette résignation fataliste qu'on leur suppose. Ils ont essayé de lutter contre les vices dont souffrait le monde romain, par des lois, par des discours, par des œuvres poétiques (qu'on songe aux odes d'Horace, prêchant la réforme morale, le mariage, la repopulation, etc.). Dès lors, s'ils ont pensé que l'empire était dangereusement atteint par le discrédit de l'agriculture (et là-dessus tous les hommes intelligents de l'époque étaient d'accord), il est naturel qu'ils aient songé à faire célébrer la vie rurale par un de leurs poètes et quel poète en auraient-ils chargé plutôt que Virgile? Mais l'on insiste et l'on dit encore qu'il est impossible de se figurer une œuvre aussi belle que les Géorgiques fabriquée sur commande, alors que les ouvrages d'inspiration officielle sont en général si froids et si factices. Fort bien, s'il s'agissait d'une « commande » au sens strict du mot. Mais Mécène peut avoir adressé à Virgile, sinon un ordre, du moins une demande, un conseil, qui du reste n'allait pas à l'encontre des dispositions personnelles du poète. Qui des deux, de l'écrivain ou de son protecteur, a conçu la première idée d'un poème sur l'agriculture? il est impossible de le savoir, et un peu puéril de le chercher. Il est possible que Virgile en ait eu la pensée, l'ait confiée à Mécène, et ait reçu de lui des encouragements qui ont dû affermir son dessein, le prémunir plus tard contre les hésitations et les défaillances. Il se peut aussi que le projet soit né dans l'esprit de Mécène, ait été proposé à Virgile, et accueilli d'autant mieux par celui-ci qu'il répondait à ses goûts et à ses opinions. Mais sous une forme ou sous une autre, il faut admettre une influence de Mécène sur Virgile, une influence « énergique », dit Virgile lui-même, haud mollia jussa (1).

1. Georg., III, 41. On a dit que cette expression ne visait pas

Ajoutons que le poète en avait besoin. Ce n'est pas, en effet, un de ces esprits farouchement épris d'indépendance, qui se croiraient déshonorés si quelqu'un osait leur tracer une route. Il a au contraire une âme docile et douce, un peu timide. Son imagination est attirée par les grands sujets, par les sujets plus vastes et plus sérieux que ceux des Bucoliques, comme est précisément celui des Géorgiques; mais sa modestie l'en détourne, le ramène aux petits poèmes « de genre » il le dit expressément au début de la VI églogue. Pour triompher de cette réserve excessive, il faut qu'un conseiller plus haut placé que lui l'oblige, d'une certaine manière, à prendre confiance en lui-même, lui assigne une tâche importante, nécessaire, devant laquelle, cette fois, il n'osera pas se dérober. C'est ce qu'a très probablement fait Mécène, et il a très bien fait sans lui (comme plus tard sans Auguste) Virgile aurait peut-être rêvé toute sa vie des Géorgiques et de l'Énéide sans se décider à les écrire.

Bien en

Lien entre les Bucoliques et les Géorgiques. tendu, en estimant que Mécène est pour beaucoup dans les Géorgiques, nous ne voulons pas dire qu'il y soit pour tout. Son action a déterminé, hâté, précisé, ce qui était peut-être chez le poète à l'état de tendance confuse, mais elle n'a rien créé de toutes pièces; encore moins a-t-elle contrarié la pente naturelle de l'esprit virgilien. Il y a déjà dans les Bucoliques bien des traits qui font pressentir l'œuvre future.

-

Et d'abord, le goût des choses de la campagne. Sans doute les deux ouvrages ne sont pas situés exactement dans le même milieu. Les anciens, plus attentifs à maintes nuances qui nous échappent, ne confondent pas «< bucolique » avec « géorgique », la vie des bergers avec celle des laboureurs ; les mots qui caractérisent les deux genres sont bien distincts: pascua, silvae, saltus, ne sont pas synonymes de rura ou de arva. Cependant il s'agit, dans les deux cas, de genres de vie assez proches, quoique non identiques. Les labours étaient parfois mentionnés dans les Bucoliques, et aussi la culture de la vigne, et l'élevage des abeilles, qui tiendra tant de place dans les Géorgiques : réciproquement, un livre entier des Géorgiques sera consacré aux troupeaux, et rappellera plus directement les sujets des églogues. Au surplus, pâtres ou laboureurs vivent à peu près dans des endroits analogues, dans une nature un peu plus ou un peu moins culti

le sujet des Géorgiques en particulier. Mécène aurait demandé à Virgile de lui dédier un poème, sans lui en indiquer la matière. Mais le fait que haud mollia jussa, dans cette phrase, est mis en opposition avec silvas saltus

queexclut une telle interprétation. Virgile veut bien dire que Mécène l'a chargé d'écrire un ouvrage sur l'agriculture, et il n'y a aucune raison de croire qu'il ne dise pas la vérité.

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vée, au bord des fleuves, auprès des montagnes ou des forêts. Surtout, si on les regarde de la ville, et par comparaison, les mœurs pastorales et les mœurs agricoles finissent par s'identifier presque. C'est toujours une vie plus simple, plus primitive que l'existence urbaine, et, tout ensemble, plus innocente et plus heureuse. C'est de cette vie que Virgile avait tracé, dans les églogues, l'image un peu embellie; c'est elle qu'il va dépeindre, avec plus de virile franchise, dans les Géorgiques.

Il aime d'autant mieux la vie des champs qu'il la voit, à cette époque, plus troublée et menacée. Et voici un second sentiment commun aux Bucoliques et aux Géorgiques: la compassion pour les paysans et pour les maux dont ils souffrent. La I églogue, la IX en avaient offert le tableau pathétique: undique totis usque adeo turbatur agris. A ces plaintes de Mélibée ou de Moeris font écho celles du I livre des Géorgiques, où le poète déplore que la charrue ne reçoive plus les honneurs dont elle est digne, que les champs restent en friche, vides de laboureurs, et que les faux recourbées soient refondues en épées rigides. Pour venir au secours de la campagne délaissée, Virgile veut lui susciter de nouveaux cultivateurs, qui remplaceront les anciens et lui rendront un peu de vie. D'autre part, il y a des agriculteurs qui sont restés sur leurs domaines, mais qui ont été pillés, tourmentés, ruinés par les crises sociales que Rome vient de traverser : à ceux-là, Virgile veut apporter au moins l'aide d'une méthode meilleure, leur apprendre à tirer, des terres qu'ils ont conservées, un plus utile parti; c'est pour eux qu'il écrit, parce qu'il s'apitoie sur leur ignorance, ignaros miseratus agrestes. Ce double dessein, cette intention de réhabiliter l'agriculture auprès des profanes et de guider ceux qui s'y sont déjà consacrés, est en germe dans les doléances des Bucoliques. C'est pour avoir souffert lui-même et vu souffrir autour de lui que Virgile a entrepris son œuvre de défense rurale. Sa pitié s'est d'abord exhalée en effusions sentimentales; maintenant elle est devenue plus agissante, plus réfléchie, mais elle n'a pas changé de nature.

En s'appliquant pour sa part à relever l'agriculture italienne, Virgile a bien conscience de servir aussi la cause de la grandeur même de Rome. Comme les gouvernants d'alors, il est convaincu que la gloire du peuple romain est due à sa vieille population de soldats paysans, et que l'état matériel et moral du monde latin restera inquiétant tant qu'il n'y aura pas à la base une vigoureuse classe rustique. Les Géorgiques sont donc, au premier chef, une œuvre patriotique, dont l'esprit essentiel se révèle dans le salut à l'Italie, « grande mère de moissons et de héros », ou dans l'évocation des anciennes mœurs du Latium, qui ont fait de Rome la merveille du monde. Or, cela encore n'est que le développement de ce qu'on pouvait déjà apercevoir dans les Bucoliques. Dans la I" églogue, si les bergers sont sur

tout occupés à considérer les misères de leur pays, Rome dessine à l'horizon sa fière silhouette, « s'élevant au-dessus des autres villes autant que les cyprès au milieu des viornes flexibles ». Et, dans la IV églogue, on a vu quel souci de la destinée du monde romain, quel espoir passionné d'une rénovation nationale, apparaissait sous le décor mythologique. Le sentiment de la patrie latine avait dicté à l'auteur des Bucoliques ses vers les plus grandioses avant d'inspirer l'œuvre entière des Géorgiques. Mais la patrie, pour Virgile comme pour bon nombre de ses contemporains, s'incarne dans un homme, un chef, un sauveur. Entre les Bucoliques et les Géorgiques il y a continuité parfaite du sentiment césarien. La I" églogue divinisait Octave, la Ve chantait très probablement l'apothéose du premier César, tout cela sous la forme indirecte et allégorique exigée par le genre. Dans les Géorgiques, Virgile peut exprimer plus ouvertement son enthousiasme pour la dynastie julienne. Dans la dédicace de son poème, il représente Auguste divinisé; plus loin il rappelle les prodiges qui ont accompagné la mort de César, et supplie les dieux de veiller sur son jeune successeur; ailleurs il souhaite de pouvoir batir en l'honneur du prince un temple magnifique sur les bord du Mincio. Tous ces morceaux brillants, où il y a peut-être un peu de flatterie, mais où il y a beaucoup plus de sentiments sincères, de reconnaissance personnelle, d'admiration justifiée pour les services qu'Auguste a rendus à Rome, et de zèle ardent pour les bienfaits qu'elle en attend encore, tous ces hymnes admirables ne font en somme que paraphraser le deus nobis haec otia fecit qu'on lisait à la première page de la première églogue. Amour de la campagne, pitié pour les souffrances de ses habitants, culte de Rome, ferveur pour César et Auguste, toutes les inspirations qui commençaient à poindre dans les Bucoliques se sont désormais épanouies, et ce sont elles qui vivifient l'œuvre nouvelle.

Composition du poème.

Par tout ce qui précède, on voit à quel point Virgile, en écrivant les Géorgiques, a voulu faire œuvre sérieuse, et l'on comprend dès lors qu'il ait mis fort longtemps à les composer. Ses biographes disent qu'il y a employé sept ans (1), et en effet, il est probable qu'il a dû les commencer peu après la dernière églogue, la X, qui est de 37; d'autre part, une anecdote rapportée par Donat le montre lisant son ouvrage à Auguste lors d'une cure que celui-ci faisait à Atella, à son retour de la bataille d'Actium: sans doute, à ce moment, le poème était achevé et prêt à paraître, ou peu s'en faut. Il est à supposer que Virgile y employa la même méthode de travail qu'il devait suivre pour l'Énéide, c'est-à-dire qu'il se traça d'abord un plan assez détaillé, et qu'il écrivit ensuite les 1. Virgile habitait alors Naples.

diverses parties sans ordre rigoureux, reprenant et repolissant souvent ce qu'il avait déjà versifié. Ce labeur patient et minutieux fut terminé vers 30 ou 29.

Un peu plus tard parut une seconde édition des Géorgiques, avec un changement important. Servius nous apprend que la première rédaction se terminait par un éloge de Gallus, qui devait être amené par un tableau de la vie agricole dans l'Égypte (dont Gallus était le gouverneur) et de la prospérité de cette province. Quelque temps plus tard, Gallus, devenu suspect à l'empereur, fut forcé de se tuer, et, sur l'invitation d'Auguste, le poète effaça son premier épilogue et le remplaça par l'histoire J'Orphée, que nous lisons aujourd'hui. On a voulu révoquer en doute cette tradition. On n'a pu alléguer contre elle aucune objection de fait un tant soit peu sérieuse, mais seulement une raison de vraisemblance morale: il aurait été peu digne de Virgile, dit-on, d'abandonner son ami malheureux pour complaire au prince. Mais on a vu déjà que l'âme de Virgile était plus douce que forte; rien ne nous autorise à lui attribuer, en face des instances de l'empereur, une attitude de refus héroïque, assez rare en tout temps, et surtout à cette époque. Puis, s'il aimait beaucoup Gallus, il n'était peut-être pas moins attaché à Auguste, et lui devait à coup sûr autant de reconnaissance. Peut-être aussi croyait-il à la culpabilité de Gallus. Enfin et surtout, s'il est vrai, comme nous avons essayé dé le montrer, que les Géorgiques aient été un poème national et en quelque sorte officiel, il n'était guère possible d'y laisser subsister le panégyrique d'un homme condamné pour un crime d'État : il y avait là une espèce de bienséance politique, à laquelle Virgile fut forcé de se soumettre, non sans regretter peut-être le temps où il écrivait pour consoler son ami l'immortelle églogue de Gallus. On peut donc tenir pour vrai ce que raconte Servius: Virgile récrivit la fin du IV livre dans le sens indiqué par Auguste; il est fort possible qu'avec son souci tenace de perfection, il en ait profité pour retoucher quelques autres endroits de son poème, mais nous ne savons pas lesquels, et selon toute apparence, les remaniéments ne portèrent que sur la forme.

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Sources des Géorgiques. Si l'importance sociale attachée par le poète à son œuvre explique qu'il ait consacré un aussi long temps à l'écrire, elle explique aussi qu'il l'ait préparée par une étude attentive des auteurs qui avaient traité avant lui cet ordre de questions. Il s'est « documenté », avec méthode et précision, comme s'il n'eût composé qu'un traité technique. Sans parler ici des imitations de détail, qui ont surtout un caractère littéraire, il faut reconnaître que, voulant parler congrument de l'agriculture, il s'est imposé l'effort de remonter à ceux qui en avaient disserté spécialement, tant en vers qu'en prose. Ses «<sources » sont nombreuses et variées,

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