صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

toue, «trop voisine de la pauvre Crémone », suivant le mot de Virgile, fut englobée dans la confiscation. Virgile fut au nombre des victimes, ceci est indiscutable. Ce qui est plus douteux, c'est la manière dont les choses se passèrent. D'après l'opinion courante, il y aurait eu une première spoliation, sous le gouvernement de Pollion; Virgile y aurait été compris, mais aurait réclamé, et aurait obtenu gain de cause, grâce à l'intervention de Pollion lui-même et de Gallus, disent les uns, de Pollion et de Mécène, disent les autres, grâce surtout à la protection d'Octave, à qui il a adressé ses remerciements dans la I églogue. Puis, sous l'administration de Varus, Virgile aurait été de nouveau inquiété, obligé de défendre non seulement sa propriété, mais sa vie, contre un soldat qui voulait s'emparer de son domaine (les biographes nomment les uns Clodius, les autres Arrius), et enfin il aurait été dépouillé, d'une façon définitive l'églogue IX serait une plainte contre cette nouvelle spoliation. Depuis quelque temps, on a regardé de plus près les textes, et l'on s'est aperçu qu'ils n'autorisent peut-être pas l'hypothèse de deux spoliations différentes. Les plus récents biographes de Virgile inclinent à penser qu'il n'y a eu qu'une seule confiscation, que le poète a d'abord cru pouvoir y échapper, qu'il a obtenu des paroles rassurantes (de là l'églogue I), mais que finalement la menace s'est réalisée (de là l'églogue IX), le tout sous le gouvernement de Varus.

Au fond, il y a entre ces deux versions une différence de degré plutôt que de nature: il s'agit toujours d'un danger, réalisé selon les uns, simplement menaçant selon les autres ; à ce danger, Virgile échappe pour quelque temps, et en exprime sa joie et sa reconnaissance dans l'églogue I; puis il est de nouveau exposé au péril, cette fois plus gravement, et exhale ses doléances dans l'églogue IX. Voilà l'essentiel, ce qui nous explique la succession de ses sentiments dans ces deux belles poésies. Les détails, plus douteux, sont moins importants. Il est impossible de savoir si, au début, la mesure de confiscation dont ont souffert les Mantouans a été prise sous le gouvernement de Pollion ou sous celui de Varus: Virgile nomme celui-ci dans la IX églogue; dans la I il ne parle ni de lui ni de Pollion (1). L'intervention d'Octave est trop clairement attestée dans la Ire églogue pour qu'on puisse la nier. Un vers de la IX⚫ semble bien faire allusion au danger de mort couru par Virgile, et par là peuvent se justifier peut-être les anecdotes qui le montrent aux prises avec des soldats rapaces et brutaux. Il semble bien que ce soit à ce moment-là qu'il ait quitté son pays natal pour se fixer à Rome, où il était déjà venu plus d'une

е

1. Par suite il est impossible de dater exactement la Ire cglogue. La IX doit être de 40 ou 39.

fois. Il s'y serait décidé sur le conseil de Macer et de Gallus. Une tradition prétend qu'il aurait habité alors la maison de son ancien maître Siron. C'est à cela que se rapporte (si elle est authentique) la pièce X des Catalecta :

Villula, quae Sironis eras, et pauper agelle,
Verum illi domino tu quoque divitiae,
Me tibi et hos una mecum, quos semper amavi,
Si quid de patria tristius audiero,

Commendo, imprimisque patrem. Tu nunc eris illi
Mantua quod fuerat quodque Cremona prius.

5

Arrivé à Rome, Virgile revit les grands personnages qui s'intéressaient à lui: ils ne lui rendirent pas son patrimoine, mais ils l'en dédommagèrent en lui donnant un autre domaine, dont l'emplacement n'est du reste pas déterminé. Un peu plus tard, nous voyons Virgile propriétaire d'une maison à Rome, dans le quartier des Esquilies, auprès des fameux jardins de Mécène. Nous savons aussi qu'il séjournait plus volontiers en Campanie, à Naples surtout, et en Sicile: il y possédait sans doute quelques villas. En somme, il est probable que la perte de son domaine de Cisalpine, loin de lui nuire, a été l'origine de sa fortune en attirant sur lui l'attention et les libéralités de Mécène et d'Octave.

Mais cela n'empêche pas que, tout d'abord, il en ait ressenti un chagrin réel, et c'est ce chagrin qui rend si émouvante la lecture de la I et de la IX églogues. Dans la Ire, à vrai dire, il n'est pas dépossédé, mais il a failli l'être, il voit tous ses voisins qui le sont; il peut d'autant mieux mesurer la force des liens qui l'attachent à son foyer héréditaire. C'est pour cela qu'il célèbre avec tant d'amour son domaine, qui a de très grands charmes, mais qui a surtout le mérite d'être à lui, de lui être connu tua rura, non insueta pabula, flumina nota, hinc tibi quae semper.., tous les mots qui indiquent les objets familiers et rendus précieux par l'accoutumance, se pressent dans ses vers. C'est pour la même raison qu'il compatit si bien à la souffrance des pauvres émigrants obligés de s'arracher aux lieux où ils ont vécu; il a été bien près d'être un d'entre eux,

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

il le sera demain ; en attendant, il les voit, il touche du doigt leur misère matérielle et morale. Il sait aussi que cette misère n'est pas un fait isolé, que beaucoup de gens, dans l'empire romain, subissent les mêmes injustices, que tous ces maux sont des conséquences de la guerre civile, et dès lors sa tristesse personnelle s'amplifie en une douleur patriotique. Dès lors aussi Octave lui apparaît, non seulement comme son protecteur, mais comme un restaurateur possible de l'ordre et de la paix dans la société romaine; ses flatteries, d'ailleurs très sincères, traduisent à la fois sa reconnaissance d'obligé et son espérance de bon citoyen. Dans la IX églogue, la spoliation est un fait accompli (1); à l'espoir mêlé d'inquiétude succède une résignation assombrie pas de révolte, pas de cris d'indignation (ce n'est pas le ton habituel de Virgile), mais des soupirs, des regrets discrets et d'autant plus touchants. Ces deux églogues sont peut-être les plus pathétiques de toutes, parce que ce sont celles où Virgile a mis ses sentiments les plus intimes.

[ocr errors]

Ce sont également celles qui nous donnent le plus la sensation de la réalité. Ce qu'il y avait d'un peu vague et flou dans les premières églogues ne se retrouve plus ici. Est-ce l'effet d'un simple progrès dans le travail artistique? je crois plutôt que le poète est devenu plus précis parce qu'il nous parle de choses vues, de choses qu'il connait bien et qu'il aime bien. Les images de ces lieux qu'il est forcé de quitter se dessinent devant ses yeux avec un relief plus net le marais couvert de joncs stériles, le champ rocailleux, les haies où bruissent les abeilles, le grand orme où gémit la tourterelle, les cheminées des fermes qui fument à l'horizon, les montagnes qui projettent le soir leurs ombres agrandies, le lac silencieux, le tombeau de Bianor qui se dresse sur la route. Bien loin donc que les allusions aux circonstances contemporaines (2) aient faussé le genre

1. Il est impossible d'admettre, avec M. Kroll, que les deux églogues dépeignent la même situation les vers 7-13 de l'églogue IX disent le contraire, et du reste le ton des deux pièces diffère beaucoup.

2. Il ne faut pas d'ailleurs trop raffiner sur ces allusions; il ne faut pas exiger qu'il y en ait partout, ni que toutes celles qu'on peut relever soient en parfait accord les unes avec les autres. Ainsi, bien que Tityre, dans l'ensemble de la Ire églogue, représente Virgile, il ne le représente pas dans tous les détails:

Virgile n'était pas vieux alors, et n'avait jamais été esclave. Il y a dans l'art virgilien un mélange très délicat de réalité et de fiction; c'est ce qu'on ne doit pas perdre de vue. Malheureusement les scoliastes anciens, et souvent aussi les commentateurs modernes, ont oublié ce principe de là, une débauche d'interprétations contradictoires et fantaisistes. Pour les uns, Tityre est Virgile, pour les autres un esclave de Virgile, pour d'autres encore le père de Virgile (Amaryllis étant alors la mère du poète, comme si Virgile avait pu avoir l'idée de dé

de la poésie bucolique, elles lui donnent un intérêt tout nouveau d'un peu factice qu'elle était, elles la rendent plus émue et plus précise à la fois, en un mot plus vivante.

La sixième églogue. Dans l'églogue IX, Virgile fait allusion à des vers qu'il aurait promis à Varus, le gouverneur de la Cisalpine. On peut admettre que l'églogue VI acquitte précisément cette promesse, puisqu'elle est dédiée à Varus. Le nom de Tityre, que le poète s'y donne au début, fait sans doute allusion à la I églogue.

Ce début est d'ailleurs curieux parce qu'il nous montre Virgile partagé entre le genre épique, qui l'attire par sa grandeur, et le genre bucolique, auquel il est habitué et qui l'effraie moins. Il a voulu, dit-il, chanter les rois et les batailles, lorsque Apollon est venu lui tirer l'oreille et l'avertir de la méprise qu'il allait commettre. Pourtant, s'il revient à la poésie champêtre, c'est plutôt en apparence qu'en réalité. Dans la VI églogue, plus encore que dans la V et la IV, il se sert de la fiction pastorale comme d'un cadre commode, où il peut introduire ce qui l'intéresse vraiment, et cela, de plus en plus, c'est la grande poésie. L'églogue VI est bien une idylle par le décor et les personnages. La scène se passe à la campagne, entre deux bergers, une nymphe, et le demi-dieu Silène, qui est une divinité toute rustique. La peinture de Silène endormi, celle des jeunes gens qui le surprennent, celle de leur débat à demi comique, ne sort pas du tout des habitudes de la pastorale. Mais lorsque Silène se met à chanter, exposer d'abord la création du monde, puis les principales légendes de la mythologie, la vie champêtre est oubliée, et en fait c'est un fragment épique que le poète a composé là. Le passage d'un ton à l'autre se fait d'ailleurs avec une remarquable souplesse.

Quoique cette églogue soit d'un plan fort simple, les commentateurs n'ont pas résisté à l'envie d'y chercher des allusions plus ou moins compliquées. Une tradition, rapportée par Servius, reconnaissait, dans Silène et les deux bergers, le philosophe épicurien Siron, et ses deux disciples Virgile et Varus:

peindre sa mère sous ce travestissement amoureux!); un autre pense que c'est Mélibée qui est Virgile, et que toute l'églogue I est une réclamation, et non un remerciement, etc. Ce sont des exagérations manifestes. Mais M. Leo exagère en sens contraire quand il prétend que la I églogue n'a aucun rapport avec les faits réels, et que seule la IX, tout au plus,

contient quelques allusions. Enfin M. Sabbadini, appliquant à l'églogue I le même procédé qu'à la IV, la découpe en deux parties, l'une plus ancienne et ne contenant que les plaintes de Mélibée, l'autre surajoutée et renfermant l'éloge d'Octave. C'est séparer artificiellement des thèmes dont l'union intime est justement grand mérite de cette églogue

rien ne contredit cette hypothèse, rien ne la confirme non plus. D'autres scoliastes, plus raffinés, voyaient dans l'urne que tient Silène le symbole de Plotia Hieria, jeune femme aimée de Varius et amie de Virgile : c'est au moins fort bizarre ! La critique moderne s'est de préférence exercée sur la fin de l'églogue, sur la partie mythologique. Comme certains de ces vers se retrouvent dans la Ciris, on a prétendu que l'églogue VI était imitée de la Ciris: c'est le contraire qui est le plus probable. Enfin, au milieu de l'énumération des personnages légendaires, (Pyrrha, Prométhée, Hylas, Pasiphaé, les sœurs de Phaéton, Scylla, Térée et Philomèle), le poète a placé le tableau de Gallus errant sur les bords du Permesse et salué par les Muses. De là un critique allemand, M. Skutsch, a conclu que toute cette deuxième moitié de l'églogue VI n'est qu'un sommaire, un << catalogue» des thèmes traités par Gallus. Ceci est d'une haute invraisemblance. Puisque Virgile prend soin de nommer Gallus en un endroit où il mentionne un sujet sûrement traité par celui-ci, c'est donc que les autres sujets énumérés n'ont rien de commun avec Gallus. Puis, l'églogue ne donne pas du tout l'impression d'un catalogue. Des poésies de ce genre, nous en connaissons chez les Latins, ne fût-ce que l'énumération des œuvres de Lucain par Stace dans le Genethliacon Lucani. Que de peine Stace se donne pour tout citer à sa place et sans lacune! et quel contraste entre cette application consciencieuse et gauche et la vive, libre et franche allure de Virgile! Dans le riche champ de la mythologie grecque, Virgile choisit rapidement les plus belles légendes; il en développe à loisir une qui lui semble plus pathétique et plus pittoresque, celle de Pasiphaé; une autre lui remet en mémoire le nom de son ami et protecteur Gallus, il le salue au passage, puis il repart vers d'autres sujets, toujours maître de son inspiration.

L'intérêt historique de cette églogue ne doit pas être cherché dans des rapports douteux avec tel ou tel personnage du temps; il consiste en ce qu'elle nous fait voir Virgile dominé par les deux influences intellectuelles les plus puissantes alors, celle de la philosophie épicurienne, et celle de la poésie néo-alexandrine. Le récit de la formation du monde rappelle Lucrèce, et se ressent très probablement des leçons que Virgile avait reçues de son maître Siron. Quant à la partie mythologique, elle est tout à fait dans le goût de l'école de Catulle c'est la même prédilection pour les histoires légendaires d'amour; c'est, dans la composition, la même marche du récit, tantôt rapide, tantôt plus développé, en forme de digression (ici sur Pasiphaé et sur Gallus); dans l'expression, enfin, c'est la même élégance ingénieuse, le même choix d'épithètes pittoresques, le même usage des répétitions, des oppositions, des symétries, de tout ce que les anciens appelaient concinnitas. Ajoutons que, comme Catulle,

« السابقةمتابعة »