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Virgile sait être plus et mieux qu'un pur artiste : l'histoire de Pasiphaé lui suggère des vers réellement touchants, parmi d'autres qui sont surtout remarquables par leur valeur descriptive.

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La huitième églogue. Le même mélange d'art et d'émotion se retrouve dans la VIII éğlogue, qui ne doit pas être très éloignée de la VI par sa date. Elle est dédiée à Pollion, au moment où Pollion fait une expédition sur les côtes de l'Illyrie, c'est-àdire en 39. Virgile dit même qu'il l'a écrite sur l'ordre de Pollion; peut-être faut-il entendre par là que Pollion lui avait demandé d'imiter soit la III idylle de Théocrite, soit la IIo, la Magicienne, une des plus célèbres de toutes. Quoi qu'il en soit, Virgile a imité les deux son poème se compose de deux parties, qui sont supposées chantées par deux bergers rivaux, Damon et Alphésibée. Le chant de Damon est la plainte amoureuse d'un berger trahi par celle qu'il aime; celui d'Alphésibéc retrace à la fois les imprécations et les opérations magiques d'une femme qui veut ramener un amant infidèle.

Par la forme, cette églogue appartient au genre amébée, mais elle en constitue une variété que nous n'avons pas encore rencontrée chez Virgile. Dans les églogues IV et VII, les interlocuteurs se répondaient par petits couplets de trois ou quatre vers; dans la V', chacun d'eux prononçait une longue tirade Ici, les bergers font entendre des chants continus et de longue haleinc; mais chacun de ces chants est partagé en un certain nombre de strophes assez courtes (1), terminées par un refrain toujours le même. Cette composition savante sert à mettre en relief à la fois la ressemblance et le contraste des deux parties: la ressemblance, car dans les deux thèmes il s'agit toujours d'un amour malheureux; le contraste, car les sentiments produits par la déception sont fort différents dans les deux cas. Le berger abandonné ne sait guère que se plaindre, d'une façon tantòt ironique, tantôt naïve, maudire son rival, sa maîtresse, l'Amour qui se plaît à tourmenter les mortels; il finit par se résoudre à mourir, pour offrir sa vie en suprême sacrifice à celle qu'il aime, En regard de ce caractère tendre et faible, la magicienne se révèle bien plus vigoureuse. Elle se défend contre la trahison; elle veut reconquérir l'infidèle, elle s'exalte à la pensée de le voir revenir à elle, tandis qu'elle le torturera à son tour par ses dédains ; à la fin, elle pousse un cri de triomphe, car elle croit

1. Et qui semblent bien se répondre d'un chant à l'autre. Le chant de Damon se compose de 8 strophes, qui sont respectivement de 4, 3, 5, 4, 5, 3, 4, 5, 3 vers (sans les refrains). Celui d'Alphe

sibée (si l'on admet la suppression très vraisemblable d'un refrain au vers 76) en contient 9, qui sont de 4, 3, 5, 4, 5, 3, 5, 3, 4 vers. La symétrie n'est rompue qu'en deux endroits.

que Daphnis va tout à l'heure frapper à sa porte. Cette passion énergique, dont l'intensité est redoublée par les détails si pittoresques de la magie, s'oppose avec force aux plaintes languissantes de Damon. Les deux personnages parlent chacun le langage approprié à son caractère, et sont également, quoique diversement, intéressants. Le désespoir du berger s'exhale en vers d'une tristesse élégiaque fort touchante; rien n'est plus gracieux que son évocation des jours heureux de l'enfance, quand Nisa venait dans son jardin, et que déjà il se mettait à l'aimer. Dans le chant de la magicienne, il y a aussi de beaux traits de passion, lorsque par exemple elle souhaite d'inspirer à Daphnis un amour aussi tyrannique que la fureur de la bête qui a perdu son petit et qui le cherche partout. En somme, il est visible que le poète sait de mieux en mieux exprimer les divers aspects de l'amour, non seulement avec une égale vérité, mais avec une égale sympathie.

La dixième églogue. Que maintenant ce don d'exprimer les sentiments de l'amour soit appliqué, non plus à célébrer les aventures de héros fictifs, mais à plaindre les déceptions d'un personnage très réel, et très cher au cœur de Virgile, la poésie va prendre encore plus de relief et de puissance. C'est ce qui fait la grande valeur de la X églogue, la dernière de toutes, et, d'après la plupart des critiques, la plus belle.

Elle fut composée, probablement vers 37, en l'honneur de Gallus. Gallus s'était lié avec l'affranchie Volumnia, plus connue sous le nom de théâtre de Cythéris, et plus encore sous le surnom de Lycoris, que Virgile a rendu immortel. Cette Cythéris, en 37, abandonna Gallus pour suivre en Gaule un officier de l'armée d'Agrippa. C'est pour consoler l'amant trahi que Virgile supplie les Muses de Sicile de lui accorder encore quelques inspirations poétiques. Il représente toutes les divinités de la campagne, Apollon, Silvain, Pan, qui viennent encourager le pauvre Gallus; puis il le fait parler lui-même, et lui prête un admirable chant de tristesse et de passion.

Cette transposition sur le mode bucolique d'une aventure galante de la société contemporaine a suscité des critiques. Il est certain qu'on a quelque peine à se figurer le vrai Gallus, officier et administrateur, en train de jouer de la flûte ou de tresser des couronnes de fleurs. Mais il y a là une convention qui ne choquait personne alors, pas plus qu'au seizième ou au dix-septième siècle, et un décor un peu artificiel n'a jamais nui à la sincérité des sentiments, laquelle seule importe en réalité.

On a parlé aussi de contradictions, d'incohérences. Si l'on entend par là la juxtaposition de certains détails matériels étrangers les uns aux autres, cette juxtaposition est réelle, mais

peu importante que Gallus, au milieu des Arcadiens, se serve de la flûte sicilienne, qu'est-ce que cela peut faire ? les épithètes n'ont ici qu'une valeur traditionnelle, sur laquelle il ne faut pas raffiner. Si au contraire on veut dire que les sentiments se succèdent en s'opposant ou en se heurtant les uns aux autres, qu'il y a de brusques sautes entre l'espoir et le découragement, Ou entre la résolution de ne

plus aimer et le recommencement de l'amour, etc., cela est exact encore; mais, loin d'être une maladresse de l'auteur, cette prétendue incohérence, tout à fait voulue par lui, est une des plus grandes beautés de l'églogue. Par exemple, au début de ses plaintes, Gallus souhaite d'aimer une simple bergère d'Arcadie, qui le rendrait heureux, et il se représente ce que pourrait être sa vie dans ce milieu champêtre. Puis, il ajoute : << Ici il y a des sources fraîches, et des molles prairies, Lycoris, et des bois; ici je vieillirais doucement avec toi. » Certains critiques ont trouvé là une solution de continuité fâcheuse : les plus sévères en ont blâmé Virgile, les plus indulgents ont cherché à l'excuser en supposant une lacune d'un ou deux vers. Mais au fond les uns et les autres ont également tort. Il est naturel qu'un homme épris, après avoir cherché un moment à se faire illusion, à se forger un autre roman d'amour, revienne sans même s'en apercevoir à celle qu'il aime vraiment, et se remette à lui parler. Un peu plus loin, il n'est pas moins naturel qu'après son rêve de vie pastorale, Gallus retombe dans la réalité présente et fasse allusion à sa vie militaire. Plus loin encore, il est naturel qu'après s'être figuré les chasses joyeuses auxquelles il veut prendre part pour oublier ses chagrins, il retombe tout à coup dans le désespoir en se disant que tous ces divertissements ne le guériront pas de sa passion. En fait, cette églogue est construite comme le sont les monologues des tragédies, avec des revirements subits, des oscillations perpétuelles entre les motifs contraires. Ce que des commentateurs superficiels prennent pour des fautes de logique, ce sont tout simple

LE FAUNE A LA VENDANGE
(Musée du Capitole.)

ment les mouvements désordonnés du cœur humain, fidèlement notés dans un double souci de vérité morale et de pathétique

intense.

L'impression profonde de vivante humanité que donne la X églogue est peut-être ce qui condamne le plus la thèse du philologue allemand M. Skutsch. Cette thèse, nous l'avons vue à propos de l'églogue VI. Ici encore, M. Skutsch prétend reconnaître une « poésie-catalogue », une énumération des thèmes de la poésie de Gallus, avec des citations plus ou moins ingénieusement enchâssées. Il s'appuie sur une remarque de Servius, qui dit à propos du vers 46 que «< tous ces vers sont de Gallus », hi omnes versus. Mais d'abord, puisque Servius ne fait sa remarque qu'au vers 46, il est probable qu'il n'a en vue que ce vers là, et ceux qui le précèdent ou le suivent immédiatement (1). De plus, et surtout, l'opinion de M. Skutsch a le grand inconvénient de substituer un assemblage mécanique à une œuvre vraie et spontanée. Gallus, dans le poème virgilien, veut oublier Lycoris pour une bergère arcadienne; puis, à cette bergère, il substitue insensiblement Lycoris, mais toujours dans le cadre pastoral; puis il reprend conscience de la réalité si dure; ensuite il recommence son rêve champêtre, se voit consolé, guéri, quand tout à coup il s'avise que rien ne peut vaincre l'amour. Cette plainte décousue, et pourtant soumise à un rythme psychologique très beau, est autrement intéressante que la mosaïque patiemment fabriquée que M. Skutsch nous invite à nous repré

senter.

La réalité est donc plus simple. Ce que Virgile doit à Gallus, (outre quelques vers, probablement peu nombreux, qu'il a reproduits pour lui rendre un délicat hommage), ce sont les confidences que son ami lui a faites et qui ont été la matière de son travail poétique. Ce qu'il doit au genre pastoral, à ses traditions et à ses modèles, c'est tout l'ensemble d'expressions, d'images, de mythes, à l'aide desquels il a traduit sa pensée. Mais, sur ce sujet offert par les circonstances, et dans cette forme empruntée aux habitudes bucoliques, il a mis quelque chose de tout à fait original sa profonde intelligence de la passion, la sympathie que les malheurs d'autrui éveillent en son âme, déjà remuée par ses propres malheurs et d'autant plus capable de s'associer à toutes les tristesses. C'est par là que la X églogue s'élève au-dessus de toutes les autres. Elle unit ce qu'il y a de plus gracieux dans la poésie de la nature et ce qu'il y a de plus touchant dans la poésie du cœur humain.

1. Peut-être les vers 44-49, ceux qui ont le caractère le moins bucolique.

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