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ces auteurs respectueux de la tradition littéraire, est un véritable culte, qui est poussé parfois jusqu'à la superstition, et qui se traduit trop souvent par le centon ou le pastiche, mais qui n'en est pas moins touchant par sa sincérité naïve.

Mais les écrivains novateurs ne sont pas le moins du monde irrespectueux pour Virgile. Sénèque lui emprunte de fréquentes citations les beaux vers de l'Énéide qui contiennent, sous une forme sentencieuse et brève, de très nobles maximes, lui permettent de concilier ses obligations de philosophe et ses goûts d'artiste. Son neveu et disciple, Lucain, en dépit de sa boutade familière contre le Culex, est aussi un admirateur de Virgile, et l'imite bien plus souvent qu'on ne le croit : il lui prend beaucoup d'expressions, de tours de phrase, d'hémistiches; il mo'dèle sur l'Énéide des développements entiers, des descriptions, des récits, des allégories. Il est vrai qu'il traite un sujet tout historique et presque contemporain, et que par là il semble prendre le contrepied de Virgile, qui avait choisi un sujet légendaire. Mais peut-être la différence qui le sépare de Virgile est-elle plus importante en apparence qu'en réalité : ce qui est essentiel dans l'Énéide, ce n'est pas la peinture des mœurs de l'âge héroïque, ni les aventures fabuleuses, le merveilleux; tout cela n'est que le cadre du poème; l'âme en est ailleurs, dans l'inspiration nationale. Or, à cet égard, Lucain est bien le continuateur de Virgile: il a la même passion pour la grandeur de la patrie; il fait, lui aussi, une œuvre profondément romaine, carmen togatum. Ainsi l'on peut dire que, durant les premiers siècles de l'Empire, dans toutes les écoles littéraires, aussi bien dans celle qui reste fidèle au passé que dans celle qui est tournée vers l'avenir, l'influence de Virgile est prépondérante.

L'influence de Virgile au quatrième siècle. Cet état de choses dure pendant toute la période impériale. Si, par exemple, on examine la littérature du quatrième siècle, qui est très abondante, sinon de premier ordre, on est frappé de voir la place considérable qu'y tiennent les œuvres virgiliennes. Les écrivains de métier en sont tout imprégnés. C'est grâce à Virgile que Claudien trouve encore le moyen, avec des lieux communs de pure rhétorique, de fabriquer de beaux vers, amples, sonores et élégants, qui peuvent parfois faire illusion sur le vide du fond. Dans un genre plus modeste, Ausone est aussi un imitateur assidu de Virgile: il réussit ce tour de force de composer un épithalame exclusivement formé d'hémistiches découpés dans les Bucoliques, les Géorgiques et l'Énéide.

Les grammairiens étudient Virgile de préférence à tout autre auteur parmi eux, il faut citer, au premier rang, deux contemporains de Théodose, Servius Honoratus, qui nous a laissé un commentaire très abondant et très savant des œuvres de Virgile,

et Tiberius Claudius Donatus, auteur d'une biographie et d'un commentaire (la biographie est particulièrement précieuse parce qu'elle reproduit, selon toute apparence, celle que Suétone avait écrite 250 ans auparavant). Après Servius et Donat, on peut nommer les Scholies de Vérone, celles de Berne, et celles qui nous sont parvenues sous le nom de M. Valerius Probus, mais qui ne sont sans doute pas de lui, tant elles contiennent d'erreurs et de sottises (ces deux dernières séries ne portent que sur les Bucoliques et les Géorgiques).

Dans quel esprit, avec quelle passion les lettrés de cette époque lisaient Virgile, on peut s'en rendre compte en parcourant les Saturnales de Macróbe, recueil de conversations supposées entre de grands personnages et des savants du temps de Théodose, parmi lesquels le grammairien Servius lui-même. Il y est question très souvent de Virgile. Quatre livres sur sept sont consacrés à commenter son œuvre, en se plaçant successivement à divers points de vue. On dénombre les vers qu'il a imités d'Homère, de Pindare ou d'Ennius, ses néologismes, ses figures de rhétorique. Un orateur étudie chez lui le talent oratoire, un augure la connaissance du droit augural, un pontife celle du droit pontifical, etc. Mais, qu'il s'agisse de droit ou de religion, d'éloquence ou de poésie, le commentaire se tourne toujours en adoration: Virgile sait tout, il songe à tout, les moindres détails de son œuvre sont préparés avec une compétence infaillible et une conscience inlassable; il est le maître de toutes sciences, le guide sûr et presque divin. Un seul des interlocuteurs, Évangélus, ose insinuer que parfois ce grand poète a pu se tromper, mais c'est un railleur qui ne respecte rien, un enfant terrible : les autres personnages frémissent devant l'audace de ses blasphèmes, et ont vite fait de le réduire au silence.

Virgile chez les chrétiens. Claudien, Servius, Macrobe, sont des païens. Mais les chrétiens ne le cèdent guère aux païens quand il s'agit d'admirer Virgile. Lactance le cite aussi souvent que Sénèque, même dans ses plus violents pamphlets; il fait remarquer combien les vers de la IV églogue ressemblent à une prédiction de la venue du Christ, et, peu de temps après, l'empereur Constantin, reprenant cette idée dans son discours aux Pères du Concile de Nicée, transforme Virgile en un prophète inspiré par le vrai Dieu. A la même époque, le poète Juvencus paraphrase l'Évangile en langage virgilien, tentative dont le résultat est d'ailleurs médiocre, parce que Juvencus est dépourvu de talent, mais qui prouve combien le culte de Virgile s'associe dans les âmes chrétiennes à celui de l'Écriture sainte. Les plus austères des Pères de l'Eglise, saint Jérôme et saint Augustin, connaissent Virgile, l'aiment et le citent à chaque instant, se reprochent parfois de l'aimer trop, mais n'en

continuent pas moins à le citer; ils voudraient cesser, qu'ils ne le pourraient pas, tellement ils en ont la mémoire remplie. Cela n'a du reste rien d'étonnant: chrétiens ou païens, tous les écrivains de cette époque ont reçu la même éducation, dont la lecture des Géorgiques et de l'Enéide est une des pièces maîtresses, et, quelle que soit plus tard l'orientation de leur esprit, cette première culture laisse en eux une trace ineffaçable.

Virgile dans le peuple. Jusque dans les classes inférieures de la société, Virgile est connu, on peut même dire populaire. En Afrique comme à Rome, les diverses inscriptions, épitaphes, graffiti, contiennent un assez grand nombre de citations de ses ouvrages, ct, comme ces citations sont souvent inexactes dans leur texte, incorrectes même au point de vue de la grammaire ou de la métrique, il faut bien qu'elles aient été faites par des gens assez peu lettrés, ce qui nous atteste jusqu'à quelle profondeur l'influence de Virgile a pénétré dans la société romaine de l'Empire.

Un témoignage du même ordre nous est fourni par la coutume qui s'établit, à partir de la fin du deuxième siècle, de consulter les écrits de Virgile comme moyen de divination: on les ouvre au hasard, et on cherche, pour les vers sur lesquels on tombe, une interprétation qui s'adapte, tant bien que mal, à la question dont on est préoccupé. Cet usage des sortes Vergilianae, analogue à celui qu'on fera plus tard des textes bibliques, est constaté par les écrivains de l'Histoire Auguste et semble s'être conservé fort longtemps.

Enfin, l'art de l'époque impériale s'est souvent inspiré de Virgile. Les peintures murales de Campanie, les mosaïques d'Asie Mineure et d'Afrique, nous ont conservé quelques « illustrations» des scènes principales de l'Énéide, telles que la chasse de Didon et d'Énée, Énée admirant son bouclier, Énée blessé et guéri par sa mère, etc.

Virgile au moyen âge. Le nom de Virgile n'a pas été oublié durant tout le moyen âge, quoique son œuvre ait été évidemment beaucoup moins bien connue que sous l'empire romain. Une distinction doit s'établir ici entre l'élite lettrée et la foule. Les savants lisent les ouvrages de Virgile, en multiplient les manuscrits, les imitent dans leurs propres compositions, d'une façon en général bien servile et bien gauche. En particulier les poètes de la cour de Charlemagne, Théodulfe Alcuin, s'en inspirent assez fréquemment. Peut-être est-ce en mémoire de l'Énéide qu'ils propagent cette fable, destinée à une longue survivance, de l'origine troyenne de la nation franque.

En dehors des cercles érudits, on sait seulement que Virgile a isté, mais on s'en fait la plus singulière idée: on se le repré

sente comme un enchanteur très habile et très puissant, et on met sur son compte les aventures de sorcellerie les plus romanesques. Pourquoi ? est-ce un contre-sens sur le nom de la mère du poète, Magia ?

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est-ce un souve

nir mal compris des scènes magiques décrites dans ses ouvrages, de la VIIIe églogue ou du IV livre de l'Énéide? n'est-ce pas plutôt le résultat d'un état d'esprit analogue à celui que nous avons observé chez les contemporains de Théodose? Au quatrième siècle, les gens instruits étaient épris science, de philosophie, de théologie païenne : ils prétendaient trouver tout cela dans l'Énéide. Au moyen âge, ce qu'on prise pardessus tout, c'est le pouvoir magique, le don de commander par des

de

VIRGILE DANS L'ART DU MOYEN-AGE.

(Gravure tirée des Bucolica Virgiliana) (1516).

moyens surnaturels aux hommes, aux choses ou aux éléments: Virgile devient donc un sorcier, comme précédemment il était devenu un théologien, un métaphysicien ou un astronome 1.

Dans l'Église, on reprend volontiers, en l'exagérant, la conception déjà formulée par Lactance et Constantin, qui fait de Virgile un précurseur du christianisme. Une légende représente saint Paul priant sur le tombeau du poète et regrettant de n'avoir pu le connaître pour le rendre tout à fait chrétien.

Quem te, inquit, reddidissem,

Si te vivum invenissem,
Poetarum maxime.

1. Voir là-dessus le livre de COMPARETTI, Virgile au moyen âge.

Mais quelquefois on va plus loin. En certains pays, le jour de Noël, Virgile figure avec Moïse, David, Isaïe, parmi les personnages qui viennent rendre témoignage au Christ; c'est le « prophète des païens », et il prononce en l'honneur de l'Enfant divin un vers, légèrement modifié, de la IV⚫ églogue :

Ecce polo demissa solo nova progenies est.

C'est peut-être sous l'influence de cette idée d'un Virgile chrétien ou à demi chrétien que Dante a choisi l'auteur de l'Énéide comme guide à travers son Enfer ; c'est peut-être aussi en songeant à la description du monde infernal que Virgile avait tracée avant lui. Quoi qu'il en soit, le rôle éminent joué par le poète latin dans la Divine Comédie est une preuve, entre beaucoup d'autres, qu'au plus fort du moyen âge il n'a pas cessé d'exercer un grand prestige sur les imaginations.

Virgile à la Renaissance. A plus forte raison, lorsque le goût des lettres antiques se réveille plus vif et plus pur, les Bucoliques, les Géorgiques et l'Énéide bénéficient au premier chef de ce renouveau. Chez les Italiens, par exemple, ce sont les œuvres virgiliennes que les poètes érudits prennent le plus souvent pour modèles Pétrarque façonne son Africa sur l'Énéide, Sannazar ses idylles sur les Bucoliques.

Il en est de même chez nous parmi les auteurs de la Pléiade. Tout hellénisants qu'ils sont, et bien qu'ils aient volontiers à la bouche le grand nom d'Homère, ils lui doivent moins encore qu'à Virgile, ou, pour mieux dire, c'est à travers Virgile qu'ils le voient et l'imitent. Ronsard, dans sa préface de la Franciade, avoue qu'il s'est inspiré plutôt de l'Énéide que de l'Iliade; c'est à l'Énéide qu'il emprunte presque tous ses exemples pour illustrer sa théorie de l'épopée, qu'il s'agisse de la composition du poème, des épisodes, des ornements, des comparaisons, voire même des plus menus détails de style, de l'harmonie imitative, du choix des consonnes et des voyelles. Cette prédilection pour l'Énéide durera d'ailleurs aussi longtemps qu'on écrira en France des poèmes héroïques : les fabricants d'épopées du temps de Louis XIII ou de Louis XIV, Voltaire encore dans sa Henriade, voudront être, croiront être, des imitateurs de Virgile, et n'en seront que de maladroits copistes.

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Ronsard suit également Virgile dans un genre tout différent : ses idylles, que Boileau qualifie indûment de «gothiques »>, sont bien virgiliennes en ce sens que Ronsard, comme Virgile, mêle étroitement la peinture des mœurs rustiques et les allusions aux grands événements et aux grands personnages contemporains. Il pratique le silvae sint consule dignae avec autant de conviction que son maître, sinon avec autant de bonheur. Jusque dans ses poésies les plus actuelles, les plus polémiques, les réminiscences virgiliennes ne font pas défaut il adapte aux « misères de ce

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