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lorsqu'à bout de voie, elle eut recours à une interpellation terrible

Ah çà! Jérôme, me dit-elle, seriez-vous par hasard républicain? La question était brûlante; il fallait confesser sa foi ou se parjurer. Devant la hache du bourreau, je l'eusse fait sans hésitation; devant Malvina, je ne pus me défendre d'un moment de trouble. Cependant le devoir l'emporta; ma réponse fut péremptoire :

Je m'en flatte, madame Paturot, lui dis-je avec fermeté. Aujourd'hui que la République compte ses courtisans par millions, et qu'il lui en arrive de tous les points du globe, un pareil aveu ne me semble ni téméraire ni singulier. Républicain, qui ne l'est, sauf la nuance et la date? Mais, au moment où ce mot décisif s'échappa de mes lèvres, il n'en allait point ainsi. Dans la province tranquille où nous résidions, de grands préjugés régnaient sur cet article. On y vivait sous l'empire d'impressions arriérées, de réminiscences puériles, et les commères du chef-lieu s'accordaient à voir dans un républicain un être doué de propriétés malfaisantes et de goûts pervers. C'était l'opinion accréditée; Malvina n'avait pu s'y soustraire. Aussi, à une déclaration si formelle, n'éprouva-t-elle qu'un sentiment, celui de la stupeur. Je m'attendais à une explosion, à une scène : il n'en fut rien. Elle se contenta de joindre les mains dans un geste expressif, et levant les yeux au ciel, comme pour le prendre à témoin de mon vertige :

- Républicain! s'écria-t-elle, républicain! un homme qui mange au ratelier de l'État! Si c'est croyable!

Puis elle sortit en imprimant à ses épaules un mouvement significatif. Qu'eût-ce été si elle avait connu toute l'étendue de ma révolte? si elle avait su que non-seulement je marchais avec la république. mais en avant d'elle, que je l'appelais moins comme un but que comme un moyen, et qu'il entrait surtout dans ma pensée d'en faire un instrument de régénération sociale? La république pour la république, fi done! Autant dire l'art pour l'art! L'avenue du temple n'en est pas le sanctuaire.

Je craignais qu'une aussi brusque manifestation de principes ne causât quelques orages dans mon intérieur en vrai croyant, j'étais prêt à les subir. Je ne fus pas mis à cette épreuve. Malvina semblait, au contraire, éloigner toutes les occasions de reprendre ce thème, et quand la force des choses le ramenait, elle savait rompre l'entretien avec une adresse merveilleuse. J'attendais le martyre; il ne vint pas. Evidemment elle me ménageait comme on ménage un malade. En même temps, elle se mettait sur la défensive et prenait ses précautions. Le moindre écart pouvait me compromettre, et ma femme, que la foi

n'animait pas, se disait avant tout qu'elle avait deux enfants à nourrir. Ce fut sur ce sentiment étroit qu'elle régla sa conduite.

Parmi les personnes qui fréquentaient la maison, il s'en trouvait deux aux scrupules desquelles il fallait dérober mes hardiesses politiques. Ils appartenaient l'un et l'autre à mon administration; le premier était mon chef, le second, mon subordonné. Mon chef se rattachait à l'école de l'Empire, et y avait puisé des airs conquérants que l'âge

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n'avait pu ni supprimer ni affaiblir. Sa personne prêtait d'ailleurs à l'illusion. Il était droit comme un jonc et vert comme un chêne. Dans sa mise régnait cette propreté qui est la parure des vieillards. Le linge était net à s'y mirer, la barbe fraîche, l'habit irréprochable. Avec cela, des façons galantes et l'habitude de venir se brûler, comme un papillon, à tous les beaux yeux. Ma femme l'avait jugé dès la première rencontre; elle tendit ses rets, et le vieux lion y tomba; une fois pris, on lui coupa les griffes; c'est un conte ancien. Ainsi, de ce côté, sécurité complète la foudre pouvait gronder; nous étions à l'abri.

:

L'intimité du subordonné offrait plus de périls. Employé dans mon bureau, il exerçait sur moi une surveillance forcée la même chiourme nous réunissait, et j'avais en lui un compagnon de chaîne. Malvina essaya de le gagner; mais c'était une nature réfractaire, sournoise et en dedans. Un fonds d'envie le dominait; il ne pardonnait rien à ses supérieurs. Il voyait en eux un obstacle à son avancement et un témoi

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gnage vivant de sa dépendance. Moi surtout, j'étais condamné à ses yeux, comme un produit de l'intrigue et de la faveur. J'occupais mon poste en intrus, au mépris de la hiérarchie. De là, un dépit sourd, mêlé d'une soumission apparente. J'avais près de moi un ennemi et un espion. Vainement Malvina redoubla-t-elle de bons procédés; elle ne put dompter cette organisation rebelle. Le lion avait cédé, l'ours ne désarma point.

Dès le premier jour, mon employé avait deviné les tempêtes qui agitaient mon esprit, et mon éloignement invincible pour les institu

tions régnantes. C'était une arme contre moi; il s'en empara. Un autre aurait essayé de me tuer d'un coup et de faire son chemin sur mon cadavre. Soit défiance, soit calcul, il aima mieux me soumettre à une torture raffinée. On eùt dit qu'il cherchait le point vulnérable, afin de me frapper plus sûrement. Sa tactique consistait à descendre sur le terrain politique et à m'y entraîner après lui. J'avais beau m'en défendre, il savait me forcer dans mes retranchements. Sincère ou feinte, il professait pour la monarchie une admiration qui me mettait hors de moi et m'arrachait des protestations involontaires. A ses yeux, rien de plus beau que ce régime, objet de mes répugnances et de mes dédains. C'était l'idéal promis à la terre, la dernière ancre de salut contre l'esprit de bouleversement. Corruption, abus de pouvoir, prostitution des consciences, il excusait tout en vue du maintien de l'ordre, cette base des sociétés. Point de moyen qui ne fût légitime, pourvu que ce but fùt atteint.

On devine quels sentiments une semblable thèse, à chaque instant reprise, faisait naître en moi. Je n'y résistais pas, et entrais en lice. J'opposais drapeau à drapeau, système à système. Dans l'emportement de mes convictions, je ne ménageais rien, ni souverain, ni ministres; je touchais même aux directeurs généraux, ces idoles de l'employé. L'indignation étouffait chez moi les conseils de la prudence la plus vulgaire. C'était un danger réel; Malvina le sentit, et mit tous ses soins à le conjurer. Ne pouvant ni charmer ni désarmer l'animal venimeux, elle chercha à prévenir l'effet de ses morsures. A mesure que j'avais plus à craindre de mon subordonné, elle s'emparait davantage de l'esprit de mon chef, et se mettait plus avant dans ses bonnes grâces. Nous passions notre vie ainsi, moi à détruire ma position, elle à la restaurer. Parfois, l'impatience la gagnait, et elle éclatait en reproches. Les épithètes lui coûtaient peu, les qualificatifs encore moins. Je tins bon pourtant, et Dieu sait ce qu'il me fallut d'efforts pour maintenir intacte, au milieu de ces orages intérieurs, ma croyance républicaine.

Plusieurs années s'écoulèrent dans cette alternative de bons et de mauvais jours. Le temps marchait, et me donnait raison. Les fautes politiques s'accumulaient, et, aux tressaillements de l'esprit public, aux grondements sourds des rancunes populaires, on pouvait prévoir qu'à un moment prochain le volcan des révolutions s'ouvrirait un cratère nouveau. Ce que c'est que l'illusion de la perspective! Tout symptôme de ce genre avait pour moi un caractère fatal. Ils vont à l'abîme, me disais-je, tandis que mon employé y puisait des motifs de sécurité. — Comme ce gouvernement devient fort! s'écriait-il. Le roi se perd,

ajoutais-je.

Il se sauve, répliquait-il. Mot prophétique et digne d'être

recueilli ! Dans notre province calme et retirée, le bruit des événements n'arrivait guère que comme un écho affaibli. On y parlait, sans doute, de cette campagne laborieuse où le jeu des fourchettes se mêla à l'éclat des discours; mais personne, si ce n'est moi, ne voyait dans ces manifestations une menace sérieuse contre la monarchie! Que l'on juge de l'étonnement où notre ville fut plongée, quand des nouvelles, vagues d'abord, puis plus précises, annoncèrent coup sur coup un changement de ministère, une abdication, une régence, enfin une république! On ne savait d'où venaient ces détails, mais ils flottaient, pour ainsi dire, dans l'air, et se répandaient de rue en rue, de maison en maison, avec une rapidité électrique. Les cafés se remplirent de curieux, la voie publique se couvrit d'une population inquiète et frémissante. Mille avis contradictoires circulaient parmi les groupes; ici on affirmait, ailleurs on niait. Diverses personnes avaient interrogé le préfet; il demeurait impénétrable. Peutètre manquait-il d'avis officiel. Le chef-lieu se trouvait placé à l'écart des grandes lignes, et le télégraphe ne jouait pas pour nos modestes régions.

Cette anxiété se prolongea pendant deux jours; on ne savait que craindre ni qu'espérer; les nouvelles étaient confirmées ou démenties vingt fois dans une heure. La physionomie de la ville s'en ressentait, et allait se transformant. Au début, ce n'était que de la curiosité; plus tard, ce fut de l'effervescence. J'y aidai de mon mieux, et me dessinai en faveur de la République. C'était jouer ma place sur un coup de dé: mon employé le comprit, il entrevit une succession vacante, et se déclara hautement pour la monarchie. J'eus mon camp, il eut le sien; les préférences secrètes se faisaient jour. Par un principe de prudence, explicable chez un homme qui avait traversé trois régimes, mon chef resta neutre, et attendit les événements. Ainsi se distribuaient les rôles au milieu du choc des opinions et de l'agitation des esprits.

Les choses en étaient là, quand une diversion subite vint faire trève à ces débats orageux. Signalée par les éclats d'un fouet, une chaise de poste traversa la ville, et se dirigea vers l'hôtel de la préfecture. Deux drapeaux tricolores en pavoisaient les portières, et formaient une démonstration à laquelle il était impossible de se méprendre. La foule courut de ce côté, et je la suivis. En fonctionnaire bien appris, le préfet était debout sur son perron, prêt à faire à son successeur les honneurs de la résidence administrative. Sa contenance était calme et digne, son regard assuré, et même un peu dédaigneux. La chaise de poste s'arrêta;

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