صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

Tous les jours. Les premiers entrés, les derniers sortis. La Bourse ne pourrait s'ouvrir s'ils n'étaient là. Personne ne s'y carre avec plus de majesté. Ils sont constamment en quête de nouvelles. C'est, disent-ils d'un air glorieux, afin de mieux baser leurs opérations. On les voit partout; dans les salles d'attente de l'Assemblée, pour y obséder les élus de leur localité; dans les antichambres des ministres, pour y surprendre les secrets du gouvernement. Puis quand ils ont saisi quelque chose au vol, ils viennent le porter à la Bourse, où on l'a su deux heures auparavant. Voyez le dommage! Ils arrivent trop tard pour opérer ce jour-là. Une autre fois, ils seront plus heureux.

[blocks in formation]

Comment, sérieux? mais ils te lapideraient s'ils t'entendaient prononcer ce mot. Tu ne vois donc pas comme ils s'enflent les joues et quel air ils se donnent avec leurs mains dans les goussets? Sérieux! Ils estiment l'être à l'égal du premier banquier venu. Entends-les parler! c'est du cinq qu'il veulent prendre, ou bien du trois! Ils ont un report à faire! Ils ont des primes en vue! cinquante négociations en train. Voici un marron qui passe ; ils vont l'arrêter. En effet, ils n'y manquent pas. Mais celui-ci connaît son monde! Vois quelle habile manoeuvre il exécute, afin d'échapper aux importuns. C'est bien, il est hors de danger.

[blocks in formation]

- Ou un agent libre, mon cher, comme tu voudras. C'est au choix. Un marron opère comme l'officier public; il a ses clients, il a son train d'affaires. Bonne position, en vérité ! Seulement il faut y réussir. Quatre sur cent, c'est la proportion. Mais, Jérôme, Jérôme, tu me fais jaser et je manque ma Bourse. Vrai, tu me compromets. Quand on a des capilaux engagés, mon cher, il faut les défendre.

[blocks in formation]

Pour une heure, pour une minute, mon fils. Notre ruine ou notre fortune ne tiennent souvent qu'à cela. Dans la coulisse tout est grave, tout. Sous le dernier règne, un mal de tête du roi suffisait pour imprimer une baisse à la rente. Pour faire fortune que fallait-il? Connaître le valet de chambre de Sa Majesté. Le jour où il venait dire que son maître était enchifrené ou qu'il éprouvait du vertige, on pouvait tailler en plein drap. Le vertige devenait une attaque d'apoplexie, et les fonds tombaient de deux francs. Le lendemain l'attaque redevenait ce qu'elle pouvait, mais le tour était joué. Avec cent mille francs en poche on buvait à la santé du roi.

Pour un roi, soit, Oscar; mais aujourd'hui qu'il n'y a plus de roi,

y en a toujours! D'ailleurs, faute de rois on prend des ministres. A la Bourse, il faut si peu. C'est une véritable sensitive. L'empereur de Russie est loin, n'est-ce pas ? Eh bien, qu'il meure demain, et que je le sache vingt-quatre heures avant tout le monde: je ne demande que cela. En deux temps, l'objet est liquidé. Je m'enrichis d'un coup de filet, et je te couvre d'or. C'est cinq francs de hausse; le calcul est fait.

[ocr errors][merged small]

- Par des connaisseurs, Jérôme! Par des hommes qui voient clair dans les chiffres. Cinq francs de hausse, c'est réglé. D'ailleurs tout est réglé, tout a une cote. Exemple, les membres de notre gouvernement. Ce sont de petits sires, me diras-tu, et je suis trop poli pour t'aller à l'encontre. Eh bien! tout petits sires qu'ils sont, les membres de notre gouvernement agissent sur la Bourse. On en a fait le calcul, qui plus, qui moins; cela dépend du nom. Il y en a qui, pour la rente, valent dix fois les autres. Les moindres sont estimés à vingt-cinq centimes d'écart, en hausse ou en baisse, c'est selon. Les gros bonnets, ceux qui ont l'oreille du public, peuvent aller à trois francs. C'est un prix fait comme pour les petits pâtés. On assurerait la différence au besoin. Seulement, c'est d'être averti avant l'événement. Tout est là, une démission en masse, par exemple, quelle aubaine! Dieu! si je le savais!

Et s'ils spéculaient eux-mêmes là-dessus?

Cela s'est vu, Jérôme! Au fait, tu leur ouvres une idée. Ils pourraient faire plus mal. Je ne leur demande qu'une chose, c'est de m'associer à l'opération. Mais assez comme cela, mon fils. En jasant le temps se passe et les affaires ne se font pas. Je n'ai rien vendu aujourd'hui. Le gouvernement va croire que je recule.

Quand tu lui laisserais un peu de répit?

Jamais! s'écria le peintre avec exaltation, jamais! Entre lui et moi il n'y a de repos que dans la tombe. Ou il m'achèvera, ou je l'achèverai. C'est une religion politique. Pars, Jérôme, tu m'as déjà fait assez de tort. Un calcul perdu et une Bourse nulle. On dirait que tu conspires contre moi. Sais-tu bien............

Une cloche qui se fit entendre brisa la voix du peintre jusque dans les cavités de sa poitrine, et lui enleva la force d'achever la phrase qu'il avait commencée. Il laissa tomber ses bras avec désespoir, et m'adressa un regard empreint d'un vif reproche :

--

Tu me ruines, Jérôme! ajouta-t-il.

Moi, Oscar; et comment?

N'entends-tu pas le signal? Le garçon ne s'y épargne pas, pourtant.

[ocr errors]

La cloche?

Oui, la cloche, c'est mon glas de mort. La Bourse est close, et je n'aurai rien fait. Un jour, c'est un siècle; d'ailleurs, c'est se rouiller la main. Qui le sait? peut-être l'instant était-il venu. Jérôme, Jérôme, tu as donné à ce gouvernement vingt-quatre heures de plus; je l'aurais renversé séance tenante.

[ocr errors]

Allons donc !

Et puis, mon cher, il est bon qu'on sache que je suis toujours vendeur. Les positions doivent rester nettes.

Le bruit de la cloche couvrait sa voix; il se tut enfin. Sans cela, il eût continué à me répéter, avec mille variantes, que je venais de causer sa ruine. Il n'était pas facile d'arracher Oscar à une idée dominante, ni d'en contenir les développements. Cette fois, il ne cédait qu'à une force majeure. Nous partîmes et gagnâmes l'issue. La foule s'écoulait avec nous, et les entretiens engagés se poursuivaient jusque sous le péristyle. Ce spectacle n'était pas sans intérêt; j'y pouvais passer en revue les illustrations de la finance et les célébrités de l'agio. Dans le nombre, il en était un autour duquel le peuple des spéculateurs avait formé un cercle attentif et respectueux. Il parlait, et les auditeurs semblaient l'écouter comme un oracle.

- Quel est ce personnage? dis-je à Oscar.

[ocr errors]

Là, dit-il d'un air dédaigneux, c'est le roi de la hausse, le phénix du moment! Il a confiance; si ça ne fait pas pitié. Un haussier! dans l'état où est l'Europe.

Et il m'entraîna après avoir couvert d'un regard de mépris un homme qui ne désespérait pas du crédit de la République.

[graphic]
[graphic][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][ocr errors][merged small]

Il est, pour une armée en campagne, un spectacle à la fois étrange el familier. Au sein des nues, des milliers d'oiseaux suivent sa marche et s'associent à ses mouvements. On dirait une escorte ailée. Ils campent avec elle et vivent de ses débris. Ils se forment en colonne au premier coup de la diane, et, à la halte du soir, ils couronnent de leurs essaims les hautes cimes des tilleuls. Au jour de l'action, leur manœuvre n'est ni moins savante ni moins judicieuse. Tant que le canon gronde et que la fusillade retentit, ils s'élèvent dans l'air et y décrivent des cercles sans fin; mais dès que la fumée se dissipe, et que le silence règne sur ce champ de mort, on les voit abandonner l'azur où ils planaient, et s'abattre à l'envi sur les cadavres qui jonchent le sol. Le festin commence, et ne s'achève ni sans bruit ni sans coups de bec.

Il en est ainsi des révolutions; elles ont leurs oiseaux de proie. Mêmes instincts, mêmes mœurs. On ne les trouve ni au feu, ni derrière les grès soulevés; ils ne s'en vont pas à la conquête d'une idée ou d'un principe; toute bataille s'engage et se termine sans eux. Mais sitôt que la rue a repris un niveau régulier, et que la dernière barricade s'abaisse, ils descendent par vols épais et envahissent le terrain où le combat s'est livré. Personne ne s'entend mieux à dépecer une administration, un gouvernement, une société. Ils s'en arrachent les lambeaux, ils s'en disputent les débris. La curée est ouverte; ils ne quitteront la place qu'après en avoir vu la fin.

De ces oiseaux de proie, j'excepte ceux de la grande espèce. La politique est un régal à part. Un gouvernemer tombe trouve un gouver

nement prêt à le remplacer; c'est dans l'ordre. Il y a là une justice distributive que les sauvages des mers du Sud ont consacrée depuis longtemps, et qu'ils observent le plus religieusement du monde : les vainqueurs mangent les vaincus. La seule différence est dans le procédé : les uns les mangent crus, d'autres les font rôtir à petit feu; des deux façons on les mange. C'est la sanction de la lutte et une sépulture digne de guerriers. Ils en sont fiers, ils y comptent. Nous n'allons pas si loin; nos mœurs répugnent à cet excès: au lieu de manger les vaincus, chez nous on les déshonore. Les sauvages sont peut-être plus humains.

[graphic]

J'excepte donc les grands oiseaux de proie; c'est aux moyens et aux

petits que je m'en prends. Famille innombrable et douée d'un appétit

« السابقةمتابعة »