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direz-vous, pourquoi pas treize? Pourquoi? Mon Dieu, parce que. Douze est un diviseur convenable, et d'ailleurs il y a une étoile pour les chiffres. Celui-ci a semblé heureux à l'Association foncière; il est rond, il est sonore; puis il forme le quart environ de la richesse immobilière. On se déciderait à moins. La vie offre des mystères plus ténébreux, et l'on n'y pénètre pas toujours le fond des choses.

<< Comme gage de ces douze milliards de circulation, l'Association foncière affecte les cinquante milliards dont se compose la fortune assise. La France prend ainsi d'une main et rend de l'autre ; elle se sert à ellemême de caution, elle est sa propre garantie. Mécanisme ingénieux et dont l'esprit humain ne saurait trop s'enorgueillir! L'effet en sera rapide, immédiat, décisif. Hier encore, la communauté ne possédait que trois milliards, trois pauvres petits milliards, péniblement amassés, le capital des générations, l'épargne des siècles. Aujourd'hui elle se trouve à la tête de quinze milliards en nombres ronds, trois milliards anciens et douze nouveaux. Quel pas merveilleux! Quelle acquisition soudaine! L'imagination s'exalte à en calculer les résultats; elle s'y perd, elle se sent vaincue. La proportion arithmétique n'en exprime qu'une part, et néanmoins elle élève au quadruple les éléments de bien-être et de prospérité. C'est-à-dire qu'au lieu d'une paire de bottes, tout citoyen en aurait cinq, et ainsi du reste. Un ordinaire de trois plats au choix, serait porté à quinze, et le fermier, au lieu d'un attelage de labour, trouverait dix bœufs dans son étable. La nature seule resterait en arrière d'un tel progrès; elle ne donnerait à l'homme ni dix mains ni cinq estomacs. Tant il est vrai que le bien absolu n'est pas de ce monde, et que les plus belles choses y sont mêlées d'imperfections!

« L'Association foncière n'a pas à se préoccuper de cette ellipse; elle améliore l'œuvre de Dieu, elle ne la refait pas. Elle sait qu'il existe des barrières devant lesquelles vient se briser le génie humain. Son but est de multiplier les biens terrestres, et elle l'atteint par un essor inouï donné à la circulation. Elle ne créera ni plus d'organes ni plus de besoins, mais elle fournira les moyens d'exercer les uns et d'apaiser les autres. On se dispute ici-bas la richesse; pourquoi? Parce qu'elle est rare. Qu'on la répande à flots, et les jalousies s'éteindront. La terre surtout est l'objet de bien des convoitises. On poursuit ceux qui la possèdent d'anathèmes furibonds; on les menace dans leur jouissance, on conteste jusqu'à leur droit. L'Association foncière enlève tout prétexte à ce sentiment; elle l'étouffe au berceau. Envieux; qui peut l'être désormais? De qui? de quoi? Le moindre citoyen n'est-il pas fondé à se dire. J'ai en poche un morceau de ce pré; quelques mètres cubes de cette

maison, cent arbres de ce parc, dix ares de ce domaine? Ainsi, par une combinaison matérielle, on arrive à ramener les esprits dans les voies d'un concert et d'une sorte d'apaisement moral.

<< Les temps sont venus, et comme l'a dit un grand philosophe, l'âge d'or n'est pas en arrière de nous, il est en avant. Que tout circule à l'envi, que toute richesse entre en branle. Point de faiblesse, point de préjugé. Quand on se livre à la circulation, on ne saurait trop s'y livrer. Et surtout guerre aux sages, aux prudents! Peut-être diront-ils que ce n'est pas tout que d'émettre et qu'il faut encore rembourser. Rembourser! voilà un mot bien vieux; avant peu on le rayera du vocabulaire. Rembourser! à quoi bon, si la loi déclare qu'on ne remboursera pas? Autrement, adieu les plaisirs de la circulation ! Le quart d'heure de Rabelais trouble les meilleures fêtes. Et puis n'est-ce pas le cas de répéter sur un air connu Payera qui pourra! L'histoire financière est pleine de ce refrain.

« Là-dessus, il faut le dire, l'Association foncière professe des opinions très-arrêtées. Elle considère le remboursement comme un fléau; elle invoque contre lui des mesures de rigueur. Éteindre des titres, mais c'est porter la main sur la circulation, en amoindrir l'effet, en affaiblir l'empire. Non, point de remboursement. Cours éternel et forcé. La terre est de l'or; on peut battre monnaie avec. Toute valeur est faite pour voltiger et exécuter perpétuellement son tour de France. L'Association foncière défendra ces principes fondamentaux; elle ne souffrira pas que l'on en dévie. Elle en prend l'engagement solennel. Elle a posé les chiffres et les maintiendra. A moins de douze milliards, elle n'admet pas que l'on puisse dégager l'inconnue de l'avenir, et accomplir dans son entier la régénération financière.

<< Et attendant, elle fait un appel au public pour ses frais de premier établissement. Il s'agit de fonder les choses sur le granit. Cinquante mille francs doivent suffire. L'Association foncière ne doute pas qu'ils ne soient immédiatement souscrits. Tout actionnaire aura droit aux bénéfices de l'entreprise, c'est-à-dire aux douze milliards qui vont être versés dans la circulation. Les fondateurs prendront en outre le titre d'amis de l'humanité on leur garantit une place dans l'histoire. Comme les frais d'établissement doivent être acquittés dans un bref délai, les souscripteurs sont invités à s'aboucher avec le caissier le plus tôt qu'il sera possible. Pour leur offrir quelques facilités, on a abaissé les titres jusqu'au coupon de cinq francs. L'institution est éminemment populaire ; elle doit se mettre à la portée de toutes les bourses. Lorsque vingt coupons auront été souscrits, l'Association sera fondée; elle reposera sur des bases impérissables.

« La souscription est ouverte à partir d'aujourd'hui. »

Ainsi s'exprimait ce document; il résume la tactique des oiseaux de proie. D'un cadavre à peine emportaient-ils quelques lambeaux. Toute idée nouvelle, toute entreprise en germe les voyait accourir; et quand la place était occupée, ils s'imposaient à force de bruit. C'est surtout au sujet des ouvriers que leur industrie s'exerça. On sait avec quelle ferveur le gouvernement s'occupa d'eux, et quel intérêt il prit à leurs misères. Les esprits étaient dirigés de ce côté, les cœurs aussi. Personne ne se refusait à une réparation; on ne différait que sur les moyens. Les uns la cherchaient dans les sphères de la rêverie, les autres sur le terrain des réalités. Tous désiraient ardemment réussir. On essayait mille combinaisons, on répandait au hasard des sommes considérables. L'association avait des partisans; on y eut recours. Associer les ouvriers entre cux, les associer avec leurs patrons, tels furent les deux termes de cette expérience. Là encore on vit les oiseaux de proie intervenir. Bon gré, mal gré, il fallut compter avec eux. A titre d'interprètes ou de défenseurs, ils parlaient au nom de l'ouvrier, stipulaient pour l'ouvrier, tendaient la main en faveur de l'ouvrier. Hélas! le bienfait se trompait d'adresse, et derrière l'intérêt de la blouse perça plus d'une fois l'intérêt de l'habit noir. Que d'argent s'est ainsi égaré en chemin ! Que d'étatsmajors ont vécu aux dépens du soldat! L'atelier national lui même a eu le sien.

Sur les sommets du Luxembourg les oiseaux de proie avaient trouvé une autre victime. J'en ai parlé ailleurs; c'est le grand homme, réduit à un centimètre par mètre, qui analysait le travail et le traitait par un nouveau procédé. Dans sa simplicité parfaite, il s'était imaginé et disait tout haut que l'État allait devenir le manufacturier universel. C'en fut assez pour lui attirer des clients; il lui en vint de tous les coins de l'horizon. Les industries véreuses, celles que la crise avait démontées, d'autres encore, à l'affût d'une bonne occasion, vinrent mettre aux pieds du gouvernement leurs moteurs rongés par la rouille et leurs métiers en désarroi. A l'aide du moindre effort, on eût pu acquérir toutes les usines de France; il s'agissait seulement d'y mettre le prix. Ceux-ci renonçaient par dégoût, ceux-là espéraient une liquidation avantageuse. Visà-vis d'un chaland si naïf toutes les prétentions étaient permises. On ne s'y épargna point. C'était une aubaine; on en profita à l'envi. L'industrie, désarmée par les événements, ne pouvait plus se défendre; elle posa les termes d'une capitulation aux dépens du Trésor. Les demandes affluaient et le grand homme les prenait au sérieux. Il ne voyait point là-dessous les serres de l'oiseau de proie.

Partout cette légion avide se retrouva; partout elle sut tourner à son

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L'état de nos finances nous avait forcés à quitter l'hôtel; la vie y était trop dispendieuse. Nous arrivions à nos dernières pièces d'or, et l'art de ma femme consistait à en ménager l'emploi et à en prolonger le service. Vers l'une des rues qui touchent aux barrières, j'avais découvert un logement qui, à d'autres avantages, joignait celui du bon marché. Nous y portâmes nos dieux lares. Il se composait de trois pièces; elles nous suffisaient. Depuis longtemps j'avais dit adieu aux raffinements de la vie; le souvenir des jours opulents ne répandait plus d'ombre sur mon chemin. La prospérité avait fait de moi un ambitieux; le malheur en faisait un philosophe. C'est la dernière ressource des cœurs déçus.

Nous vivions désormais à l'écart et dans l'attente de meilleurs jours. Une telle crise ne pouvait se prolonger indéfiniment. Tous les ressorts de la vie s'y seraient brisés. Le spectacle que nous avions sous les yeux rappelait ces sociétés confuses où les droits n'étaient pas fixés et où la force jouait le principal rôle. Aucun des pouvoirs réguliers ne trouvait grâce devant la souveraineté des carrefours. On les contestait d'autant plus vivement qu'ils semblaient moins résolus à se défendre. Un semblable désordre ne s'était jamais vu. Aux temps les plus agités, le peuple avait reconnu des maîtres et accepté un frein. Nos grands révolutionnaires pesaient sur lui avec une main de fer. Ici, rien de pareil aucun nom ne commandait le respect ni l'obéissance. Les plus humbles et les plus glorieux étaient couverts des mêmes invectives et frappés du même dédain. L'autorité morale était nulle; l'autorité matérielle s'en allait à l'abandon.

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