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Un article de la Constitution déléguait le pouvoir exécutif à un président, et en vertu d'une loi spéciale cette magistrature devait être conférée dans un temps prochain. Le jour décisif approchait. La nation était convoquée; le suffrage universel touchait à une dernière épreuve.

Il est, dans la vie des peuples, des moments solennels; celui-ci en était un. La France s'en allait, depuis neuf mois, à la recherche d'un monde inconnu. Elle le poursuivait à la lueur des éclairs et aux murmures de la tempête. Jusque là ses efforts n'avaient pas été heureux; rien ne s'était montré à l'horizon sur quoi l'œil pût se reposer avec sécurité. Des visions traversaient l'espace; des bruits étranges passaient sur les flots. On n'entendait que l'aboiement du gouffre et les voix de l'écueil; on ne voyait que génies malfaisants et présages sinistres. Une telle situation ne pouvait se prolonger sans péril. Il fallait trouver un abri, mettre un terme à cette vie de hasards. C'était le cri universel. Le besoin de repos dominait les esprits; la patrie succombait de lassitude.

A ce titre, une certaine émotion s'attachait au choix d'un président. Chacun y voyait la fin d'unétat précaire. Les perspectives variaient, les vœux aussi; la conclusion était la même. Un président! un président! Dût-il en résulter une crise, un président! Tout plutôt que cette agonie lente. Tel est le désir qui se manifestait avec un merveilleux unisson. Mais au delà, cet accord cessait. La question des noms propres divisait profondément le pays.

Je ne veux pas faire le procès à mon siècle, ni trop exiger de lui; je ne veux pas le flatter non plus. En aucun temps, il n'y eut moins de grandeur dans la vie publique. Le génie industriel y a pénétré pour la

corrompre et l'avilir. Une révolution vient de sévir; elle a brisé bien des existences. Où est l'ambition qu'elle a réduite au néant? Et combien n'en a-t-elle pas fait éclore? Où est la vanité qu'elle a désarmée? Et que de petites vanités en ont pris motif pour se produire! L'exemple est donc perdu; l'homme ne sait plus s'abaisser sous la main de Dieu. L'adversité n'élève plus les âmes. Si de tels spectacles ne forcent pas les consciences à un retour, où trouver des avertissements plus efficaces? Faut-il que le feu du ciel descende sur nos cités, ou que des lacs de bitume s'entr'ouvrent pour les engloutir?

y eut pourtant une heure où les ambitions et les vanités demandèrent grâce. Ce fut l'heure de la peur. Tant que l'émeute sillonna les rues et gronda autour des hôtels, personne ne se fùt avisé de jouer le repos du pays sur une question de personnes. On s'estimait trop heureux de trouver un refuge dans l'obscurité. L'audace ne revint qu'à la longue et avec le calme extérieur. La tranquillité du pavé ramena des prétentions incorrigibles. Ainsi les matelots s'agenouillent durant la tempête et blasphèment dès que le péril est passé. Alors tout reprit les allures d'autrefois. Dans cet immense bouleversement, on ne vit plus que des positions à conquérir ou à défendre. La politique redevint un débit d'orviétan ou un tour de gobelets. Les mêmes artistes se remirent à l'œuvre et recommencèrent leurs exercices, sans y apporter la moindre modification. On refit le siége du pouvoir. A défaut d'assauts ouverts, on eut une guerre d'embûches. Les petites passions, les petits intérêts s'agitèrent de nouveau. L'intrigue releva sa tête odieuse. Rien n'était changé, ni les hommes ni les mœurs. Le sol avait tremblé en vain, et dans leur ardeur aveugle les ambitieux de profession ne voyaient pas quels signes sinistres étaient encore écrits dans les cieux.

Ce fut dans ces circonstances que s'engagea l'élection du président. Aucun acte ne pouvait être plus grave. Le salut public en dépendait. C'était le cas de s'oublier, de ne songer qu'à la patrie, dont nos discordes déchiraient le sein. C'était le cas de se confondre dans un même choix, le choix le plus digne. La tâche était difficile; elle exigeait surtout de la bonne foi. Il fallait y procéder avec un cœur sincère et des mains pures. Il fallait mettre de côté les réticences et les calculs personnels. Il fallait ne voir en France qu'un parti, celui du bien public: qu'un drapeau, celui de la grandeur commune. A ce prix, tout s'aplanissait l'élection cessait d'être une intrigue, pour devenir un acte national; la politique renonçait à ses tours de gibecière et à ses tréteaux ; elle entrait dans une voie où les mœurs devaient se relever et les âmes s'assainir par le spectacle de grands désintéressements.

Hélas! de telles joies ne nous étaient point réservées. Trop de ferments impurs s'y opposaient. L'habitude reprit le dessus. Dans cette élec tion du président, chacun vit d'abord ce qui le touchait. Le meilleur était celui dont on avait le plus à espérer et le moins à craindre. Grands et petits dressèrent le même compte, se livrèrent au même calcul. Tous évaluèrent ce qu'ils pouvaient y perdre ou y gagner. Balance faite, l'opinion alla du même côté que l'intérêt. C'est l'esprit du siècle; il répugne à un concours gratuit. Ce concours d'ailleurs variait à l'infini; il était ou positif ou négatif. Ceux ci avaient des préférences, ceux-là des répugnances seulement; les premiers portaient un candidat à leurgré, les seconds n'en adoptaient un qu'en haine de ses compétiteurs. A plusieurs il ne fallait qu'un mannequin dont ils tiendraient les fils. Un petit nombre se déclarait pour le plus mauvais choix, afin de pousser les choses vers le pire. Un sentiment cruel dominait tout cela; c'était le dégoût de ce qui existait, le dégoût des hommes et des institutions. Aveu pénible et douloureux! Le scrutin semblait être le dernier recours des désespérés. Ils y arrivaient l'amertume dans le cœur et le fiel sur les lèvres. Ils y voyaient une revanche de tant de déceptions! Tous ceux que la foudre avait frappés s'armaient pour ces représailles; ils se multipliaient par le mouvement et par le bruit. La révolution allait se trouver en présence de ses victimes, industriels déchus, fonctionnaires éconduits, hommes politiques en disponibilité. Leur vengeance était dans leurs bulletins. Ils devaient y inscrire le deuil de leurs positions ébranlées ou détruites. Les gazettes tranchaient sur le tout et n'étaient pas le moindre embarras du moment. Elles remplissaient le pays de leurs rivalités el de leurs rancunes les uns tenaient la proie, les autres la convoitaient : de là des morsures qui allaient au vif. Les fluctuations de l'abonnement y ajoutaient un venin de plus. Bref, dans cette arène allaient descendre des passions qui manquaient de sincérité. C'était une mêlée confuse où devaient dominer l'égoïsme et l'intrigue dans tous leurs raffinements.

Un point bien net toutefois, c'est l'accord tacite de traiter, après l'événement, la France en pays conquis. Quoi de plus naturel! Est-il victoire qui n'apporte ses petits profits? La présidence, pour beaucoup, était un véritable gibier; une part en reviendrait à quiconque aurait contribué à l'abattre. Le moindre piqueur en aurait un lambeau. On sait comme l'imagination va vite dans cette voie. Bien des gens dressaient déjà leur mémoire de frais et une liste de répétitions. Ils disposaient des emplois pour eux-mêmes, puis songeaient aux leurs et ne se refusaient pas à faire des heureux à leurs côtés. Du haut en bas de l'échelle, il en était ainsi. Tout figurait dans ces dépouilles opimes, depuis

les portefeuilles de ministres jusqu'aux bureaux de poste et de tabac. Il y avait des prix pour tous les dévouements, les plus élevés comme les plus humbles. Chacun recevrait en raison de ce qu'il aurait donné. Le droit de conquête était évident; rien n'en pouvait amoindrir les conséquences.

En

Ce fut sous cette perspective de l'intérêt personnel que se présenta, sur bien des points et en bien des cas, l'élection du président de la République. songeant à lui, beaucoup songeaient à eux. Là où le marché ne pouvait être formel, il était sous-entendu. Dans une certaine sphère, les choses se font d'une façon décente. Tel acte décisif crée ici un devoir, là un droit; c'est dans l'ordre. Un enfant bien élevé sait le respect qu'il doit à ses parrains. Voilà sur quel pied les hauts arrangements avaient lieu. Quant aux autres, ils se passaient de gré à gré, par les soins d'amis discrets et avec une liberté d'esprit bien digne d'un siècle sans préjugés.

Trois candidats, appuyés sur des partis distincts étaient en présence. Je ne parle pas de ceux qui se résignaient à vivre d'emprunts et à glaner çà et là quelques voix égarées. De ces trois candidats, le premier avait cet avantage d'être tout porté au pouvoir; il l'avait conquis en soldat, à la pointe de l'épée. Depuis lors il avait paru fléchir sous le poids de son laurier. Son plus grand tort était de s'être mal défendu d'obsessions fàcheuses. Il s'était livré aux médiocres et aux impuissants; un tel voisinage est contagieux. Plus libre, il eût mieux réussi. Il avait dans les allures et dans les traits quelque chose de brusque et de sec qu'il tenait de la profession autant que de la nature. Son sourcil trop fourni exprimait une dureté que démentait son regard. Sous ces dehors se cachaient d'ailleurs un cœur loyal et un esprit ferme jusqu'à l'obstination. Sa parole était brève et d'un laconisme sentencieux; ses manières avaient un cachet de simplicité militaire. L'ensemble ne manquait ni de dignité ni de goût. Il y avait là toute l'étoffe d'un président et d'un président éprouvé.

Trois mois plus tôt, cette élection n'eût pas rencontré d'obstacle. Ceux mêmes qui s'y opposaient aujourd'hui y eussent alors donné les mains. Mais les républiques font litière des popularités. Dans leur sein tout éclat s'expie. Puis, investi du pouvoir, le vainqueur de Juin l'avait fait incliner dans le sens de ses amitiés. Il acquittait, aux dépens du pays, une dette d'origine. On ne lui pardonna pas cette faiblesse de son intelligence ou de son cœur. Le jeu était trop dangereux. Quatre ou cinq noms se partageaient les fonctions publiques. Noms purs, je veux le croire, mais bien plus incapables que purs! Le gouvernement voyait ainsi son prestige s'éclipser. Avant tout, c'est le talent qu'il faut aux peuples; le talent seul se fait obéir. L'exercice de la puissance ne se justifie que par la supériorité. On méconnut une loi si constante. Aussi le

déclin commença-t-il bientôt pour cette étoile à peine levée, et au moment de l'élection elle sembla pâlir. Il ne pouvait plus être question d'une acclamation unanime, mais d'un partage et peut-être d'un partage inégal.

Le second candidat était plus nouveau sur la scène; il n'avait pas eu le temps de se déprécier à l'emploi. Un lointain mystérieux le dérobait aux regards, et, comme les dieux d'opéra, il attendait un signal pour descendre de son nuage. Ces jeux lui plaisaient. A tout prendre, c'était moins un homme qu'un nom. Le nom était grand, il avait rempli le monde. Il avait passé dans toutes les brises et frappé tous les échos. Il était inscrit sur le Kremlin et sur les Pyramides; il vivait dans la mémoire des générations. A ce nom, les vieillards s'inclinaient avec respect. Le malheur l'avait sacré plus encore que la gloire. Il résonnait comme une fanfare dans les champs italiens, et comme une plainte sur les grèves solitaires de l'Océan. A peine venait-il de s'éteindre, que la légende s'en emparait et le rejetait vers les temps héroïques. Voilà ce qu'était le nom.

Quant à l'homme, rien ne le rattachait aux âges fabuleux. Son aspect prêtait peu aux illusions de la mythologie. A la rigueur il se serait plutôt rapproché du caporal prussien; mais ce sont là des particularités qu'il convient d'ensevelir dans les derniers replis de l'opinion. Un président possible est toujours digne de respect. A quoi bon, d'ailleurs? Le peuple avait au fond du cœur une image qu'il était impossible d'en déloger. C'était l'œil de l'aigle sous un front bombé et le visage impérienx sous le chapeau historique; plus les bottes à l'écuyère et le lorgnon. Le peuple voyait l'homme à travers ce prisme. Il le voyait les mains croisées derrière le dos et plongeant les doigts dans ses goussets transformés en tabatière. Il le voyait haranguant ses braves et leur tirant l'oreille en manière d'encouragement. C'était sa manière à lui d'habiller et de comprendre ce nom. Chimère opiniâtre! Rien au monde n'aurait pu la lui enlever.

Quel contraste pourtant entre le nom et l'homme, entre l'homme et le nom! L'œil ne lançait point d'éclairs, bien s'en faut; le visage ne rappelait guère la coupe impériale. On cherchait vainement le profil du César el cette lèvre pleine à la fois de grâce et de majesté. Rien ne prêtait à la magie du souvenir. Évidemment il n'y avait point de code civil dans ce cerveau, ni d'Austerlitz au bout de ce bras. Ce n'était point là ce pied qui se posait si fièrement sur l'Europe! Ce n'était pas cette voix qui résonnait jusqu'au bout de l'univers! Ce n'était pas ce regard qui mesurait l'espace et portait au loin le commandement. Le destin n'avait pas chargé ce front de lignes glorieuses et fatales. Il ne l'avait pas éclairé d'un reflet de génie, mème collatéral. Nul héritage apparent, nul indice d'une grandeur de race. Et pour tout titre, des campagnes dignes

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