PREFACE.

LES faits que présente l'Hiftoire

ne font vraiment dignes des regards du Philofophe, qu'autant qu'ils fervent à développer les replis du cœur humain; & pour intéreffer, même le commun des Lecteurs, ces faits doivent peindre l'homme fans flatterie, fans méprifes, fans exagération. La plupart de nos hiftoires ne manquent de cet attrait qui prévient les dégoûts & l'ennui, que parce qu'on n'y retrouve point l'homme tel qu'il eft, qu'on ne fe reconnoît point foi-même dans les perfonnages qu'elles font agir fous

nos yeux. Pour l'ordinaire, ce font des êtres fantaftiques, des figures coloffales fans proportions & fans enfemble, dont l'imagination du Peintre a créé, les formes démefurées. Leurs vertus gigantefques ne peuvent être un objet d'émulation;, on eft ébloui de leur faux éclat, on défefpere de s'élever à tant de hauteur; ces vertus imaginaires humilient, & n'encouragent point. Leurs vices, non moins exagérés, n'infpirent point cette terreur falutaire, l'un des grands fruits de l'Hiftoire, quand les forfaits qu'elle dénonce à la poftérité font l'image des crimes, dont nos Sociétés offrent chaque jour d'effrayantes répétitions : les atrocités qu'on prête aux fiecles paff's nous raffurent fur les défordres réels du fiecle préfent; & peu s'en faut qu'on ne fe croie vertueux, parce qu'on ne réalife pas des monftres,

enfans de l'enthousiasme, de l'ignorance ou de la mauvaise foi.

Les facultés de l'homme font bornées, tant pour le vice que pour la vertu ; & l'Hiftorien, dont la fauffe éloquence ne reconnoît pas ces limites, eft non-feulement un Moraliste dangereux, mais un mauvais Ecrivain.

Rien n'eft beau que le vrai, le vrai feul eft aimable.

Cet axiome de goût eft furtout applicable à la queftion préfente. Des erreurs de dates, des faits fuppofés, des anachronismes décréditent une hiftoire dans l'ef prit des Savans, fans en rendre la lecture ennuyeufe & pénible. Avec ces défauts, elle peut du moins conferver l'intérêt d'un Roman bien conçu, bien exécuté, bien vraisemblable, &, comme l'Hif toire la plus véridique, furpren

dre la confiance des perfonnes peu inftruites. Mais le gigantefque & le merveilleux dans le tableau des mœurs & des actions qui peignent le cœur humain, n'ont pas même l'avantage de tromper les ignorans. Tout homme bien organifé a, pour ainfi dire, dans fa raison, & fur-tout dans fon coeur, la mefure des paffions & de leurs effets; & il n'eft pas au pouvoir du Charlatan le plus adroit de nous égarer en ce genre au-delà des poffibles: la nature répugne à cette forte de féduction, & l'ennui nous fauve, en pareil cas, des pieges d'une éloquence menfongere. Le défaut d'intérêt qu'on reproche à tant d'Hiftoires bien écrites d'ailleurs, eft un fecret pour l'homme ordinaire, qui en éprouve les effets fans en foupçonner la caufe. Le Philofophe inftruit & réfléchi la découvre ou la fuppofe avec fondement, dans