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enfin j'entamai le difcours, Pardon, monfieur, lui dis-je, il me femble que je vous ai déja vu.-votre vifage..... monfieur, me répliqua-t-il fort gravement, il eft vrai que ma phyfionomie est très-répandue; je fuis connu dans toutes les villes de la Grande-Bretagne autant que le dromadaire & le crocodile qu'on y promène par-tout. J'ai l'honneur de vous informer, monfieur, que pendant feize années j'ai fait avec quelque diftinction le rôle de bouffon fur un théâtre de marionnettes : j'eus dernièrement querelle avec le docteur Barthelemi; nous nous battîmes, & nous nous quittâmes, lui pour aller vendre aux épingliers de Rofemarylane, le feigneur Polichinelle & toute fa fuite; & moi, comme vous voyez, pour mourir de faim dans le parc Saint-James. Je fuis fâché, monfieur, lui répondis-je, qu'une perfonne de votre figure foit expofée à de pareilles difgraces... Oh, monfieur, ma figure eft très-fort à votre fervice: à la vérité, je ne me vante pas de manger beaucoup, mais le jeûne ne m'attrifte point; & graces au deftin, quoique je n'aie pas un fol, je n'engendre point de mélancolie: je ne fuis jamais honteux d'accepter une politeffe d'un honnête homme. Voulez-vous me donner à dîner? Je vous régalerai à mon tour fi je vous rencontre une autre fois dans ce parc, ayant comme moi, bon appétit & n'ayant point d'argent. -J'aime les orginaux de toute efpèce, & le récit de leurs aventures me fait beaucoup de plaifir. Je menai mon homme au cabaret le plus prochain, & l'on nous fervit dans le moment une grillade brûlante, & un pot de bière dont l'écume s'élevoit au-deffus du vafe. Il eft impoffible d'expliquer combien cette chair fplendide redoubla la gaieté de mon convive; il tomba fur cette grillade, quoiTome I.

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que brûlante, & en un inftant elle disparut. Après qu'il eut bien mangé : Monfieur, me dit-il, cette grillade étoit affurément des plus coriaces, néanmoins je l'ai trouvée d'un goût exquis, & plus tendre que du poulet. O délices de la pauvreté ! O charmes du bon appétit! Nous autres gueux fommes les enfans gâtés de la nature; c'est une marâtre pour les gens riches: les plus délicats ne fçauroient fatisfaire leur goût; les vins pétillans de Champagne ne chatouillent point leur palais, tandis que la nature entiere eft prodigue pour nous en friandifes. Réjouis-toi, mon ame: vive le gueux ! Je n'ai point un pouce de terre, mais qu'un torrent ravage les moiffons de Cornouailles, je fuis tranquille; que la mer engloutiffe des vaiffeaux, peu m'importe : je ne fuis point un Juif. Allons, monfieur, buvons, & je vais vous conter mon hiftoire. Je defcends. d'une famille qui a fait du bruit dans le monde; ma mere crioit des huîtres; & mon pere étoit tambour: j'ai même oui dire que parmi mes aïeux je pouvois compter des trompettes; plus d'un homme de qualité auroit peine à prouver une généalogie plus refpectable, mais ce n'eft pas là ce dont il s'agit. J'étois fils unique & l'enfant gâté de mon pere & de ma mere, le charme de leur entretien, & le gage de leur mutuel amour; mon pere m'apprit à battre la caiffe, je parvins bien-tôt à être tambour des marionnettes, & tout le refte de ma jeuneffe j'ai été le compère, (l'interprête) de Polichinelle & du roi Salomon dans toute fa gloire. Fatigué de ces honneurs, je me fis foldat. Je n'aimois point à battre la caiffe, je m'ennuyai bien-tôt de porter le moufquet. J'avois la fureur de faire le gentilhomme; j'étois forcé d'obéir à un capitaine; il avoit fes caprices; j'avois les miens, & vous avez

fans doute auffi les vôtres. Je conclus qu'il valoit mieux fuivre fes fantaifies que celles d'un autre : je demandai mon congé, on me le refufa; je défertai. Délivré du militaire, je troquai mes habits de foldat, contre de plus mauvais encore; & pour n'être point ratrapé, j'allai par les routes les moins fréquentées. Un foir, comme j'entrois dans un village, j'apperçus un homme qui fe débattoit dans un bourbier, & qui étoit fur le point d'y être étouffé; je volai à fon fecours & lui fauvai la vie : c'étoit précifément le pasteur du lieu, je fus charmé de cette rencontre. Il s'en alloit après m'avoir remercié, mais je voulus l'accompagner jufqu'à la porte de fon logis. Chemin faifant, il me fit plufieurs queftions: il me demanda qui étoit mon pere, d'où je venois, où j'allois, fi j'étois un garçon fidèle, &c. Je le fatisfis fur tous ces points & je lui vantai particulièrement ma fobriété; (monfieur, j'ai l'honneur de boire à votre fanté.) Pour abréger, il avoit besoin d'un valet, il me prit à son service. Je vécus trois mois avec lui; nous ne nous accommodâmes point ensemble. J'avois grand appétit, il ne me donnoit rien à manger ; j'aimois les jolies filles, & fa fervante étoit laide & méchante. Ils avoient réfolu entr'eux de m'affamer, mais je pris la ferme réfolution de m'oppofer à cet homicide. Je gobois tous les œufs frais; j'achevois toutes les bouteilles entamées, & tout ce qui pouvoit être mangé difparoiffoit. On me donna trois fchellings, fix fols, pour trois mois de gages. Pendant que l'on comptoit mon argent, je me préparai à mon départ. Il y avoit deux poules pendues au croc avec quelques poulets; pour ne point féparer les meres d'avec les enfans, je mis le tout dans anon biffac. Après ce petit exploit, je vins, le bâ

ton à la main & la larme à l'œil, prendre congé de mon bienfaiteur. Je n'avois pas fait trente pas hors de la maifon, que j'entendis crier après moi: Arrêtez ce voleur. La voix de la fervante que je reconnus, me donna des aîles. Mais arrêtons-nous; il me femble que j'ai été trois mois fans boire chez ce maudit curé je veux que ceci me ferve de poifon, fi de ma vie j'ai paffé un temps plus défagréable. Au bout de quelques jours, je fus rencontré d'une troupe de comédiens ambulans: mon cœur treffaillit de joie à leur afpect : je me fentois un penchant invincible pour la vie errante. Je leur offris mes fervices : ils les accepterent. Ce fut un paradis pour moi que leur compagnie : ils chantoient, danfoient, buvoient, mangeoient & voyageoient en même-temps. Par le fang des Mirabelles! je ne crus commencer à vivre que de ce moment : je devins tout-à-fait gaillard; & je riois du matin au foir des bons mots de mes camarades. Je leur plûs autant qu'ils me plûrent je n'étois pas mal de figure, comme vous voyez ; & quoique fort gueux, je ne crévois pas de modeftie. J'adore la vie vagabonde; on eft tantôt bien, tantôt mal; on mange quand on peut, & l'on boit (le pot eft vuide) quand on a de quoi boire. Nous arrivâmes à Tenterden, où nous louâmes un grenier pour y représenter Romeo & Juliette, accompagné de tous fes agrémens, de la pompe funèbre, de la foffe & de la fcène du jardin. Un comédien du théâtre royal de Drury-Lane,devoit jouer le rôle de Romeo. Une grande fille, qui n'avoit encore para fur aucun théâtre, devoit faire le perfonnage de Juliette; & moi, je devois moucher les chandelles : chacun de nous excelloit dans fon genre. Nous ne manquions point de figures; mais la difficulté confiftoit à les

habiller: je fus le feul qui eus un habit qu'on peut appeller de caractère. Notre représentation fut univerfellement applaudie; tous les fpectateurs furent enchantés de nos talens. Il y a une règle que tout comédien ambulant doit obferver, s'il aspire au fuccès. Agir & parler naturellement, ce n'eft point jouer. Pour plaire dans la province, il faut être ampoulé, rouler des yeux égarés, prendre des attitudes forcées; avoir en un mot l'air d'un Energumène. Tels font les moyens de réuffir infailliblement. Comme on nous combla d'éloges, il étoit fort naturel que je m'en attribuaffe une partie. Je mouchois les chandelles; & quand une falle n'est point éclairée, vous conviendrez, monsieur, que la pièce perd la moitié de fes agrémens. Nous repréfentâmes quatorze fois de fuite; & le spectacle fut toujours rempli. La veille de notre départ, nous annonçâmes une pièce excellente & dans laquelle nous devions déployer tous nos talens. Les prix étoient doublés, & nous nous attendions à une recette très-considérable. Malheureusement le premier acteur fe trouve attaqué tout-à coup d'une fièvre violente; toute la troupe confternée s'affemble, & maudit cent fois l'acteur qui s'eft avifé de tomber malade fi mal-à-propos. Je faifis ce moment, & je propofe de jouer à fa place. Le cas étoit défefpéré; on accepte mon offre. En conféquence je prends mon rôle d'une main & tenant de l'autre un pot de bière (monfieur, à votre fanté) je meuble ma mémoire de cinq cent vers. Etonné moi-même de cette prodigieufe facilité, je fens que la nature m'a destiné pour un emploi plus relevé que celui de moucheur de chandelles; je vais triomphant retrouver mes compagnons, que je jette dans la plus grande furprise. Je répète avec eux mon rôle; je

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