VI. A M. EUGÈNE DELACROIX, SUR SON TABLEAU DE HAMLET. I. Seul tu nous as rendu le Hamlet de Shakspeare, Création sublime où la douleur respire, Où le poète a mis dans un coeur dévasté Enfer que Dieu jeta dans l'homme en le créant; Science du malheur, plaie immense et profonde Qui ronge toute chair et toute âme en ce monde. II. Shakspeare avait laissé son âme dans Hamlet, Mais son œuvre n'était qu'un symbole incomplet Avant que tes pinceaux, trempés à son génie, Eussent fait pour cette âme un corps en harmonie; Un corps qui vit et souffre, où tu viens de Tout ce que le poète à nos coeurs fit rêver, graver Où la douleur prenant une forme nouvelle, Et nous fait lire empreints sur des traits amaigris Les tourments qu'en ses vers Shakspeare avait écrits. III. Ton génie a compris cette tristesse immense Qui dévore la vie et mène à la démence, Le Hamlet de Shakspeare en tes mains s'est fait chair; Les cieux semblent peser sur cette aride plaine Les sépulcres brisés sillonnent le gazon, Des nuages de sang planent à l'horizon, Et jettent le reflet de leur sombre lumière Sur la croix qui s'élève au fond du cimetière. IV. Là, comme un spectre errant, sous ses habits de deuil, Hamlet a soulevé la pierre d'un cercueil; Le débris d'un squelette est dans sa main profane; Il vient, pour assouvir la douleur qui le mord, Et, quand il a placé dans la même balance Jetant à nos grandeurs un dédaigneux défi, Cette expression est de Shakspeare; il l'a placée lui-même dans la bouche de Hamlet: « .... This world fie on'! oh! fie! » V. Il est la méditant, assis sur une tombe, De son cœur déjà vieux chaque illusion tombe; Dans son regard ardent qui tristement baissé Dans tout son être enfin où la souffrance vibre, VI. Oh! c'est bien le Hamlet que Shakspeare rêva, |