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paraissant douter encore, tant la chose était hardie et inouie, le roi la leur fit connaître avec évidence en leur racontant avec détail ce qu'il avait vu de ses yeux, et il leur demanda leur avis à ce sujet. Ils portèrent contre le présomptueux auteur du fait des sentences fort diverses, les uns voulant qu'il fût puni d'un châtiment jusquelà sans exemple, les autres qu'il fût exilé, d'autres enfin qu'il subît telle ou telle peine, chacun parlant selon le sentiment qui l'animait. Quelques-uns cependant, d'autant plus doux qu'ils étaient plus sages, après en avoir délibéré entre eux, supplièrent instamment le roi d'examiner luimême cette affaire, et de décider selon la prudence qu'il avait reçue de Dieu. Lorsque le roi eut bien observé l'affection que lui portait chacun, et qu'entre les divers avis, il se fut arrêté à celui qu'il voulait suivre, il leur parla ainsi : « Vous

«

<< n'ignorez pas que les hommes sont sujets à de << nombreux accidens, et que souvent il arrive «< que des choses qui commencent par un malheur << ont une issue plus favorable. Il ne faut donc (< point se désoler; mais bien plutôt, dans cette « affaire qui, par sa nouveauté et sa gravité, a << surpassé notre prévoyance, il faut pieusement << rechercher et respecter les intentions de la Pro

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«< vidence qui ne se trompe jamais et sait faire << tourner le mal à bien. Je ne ferai donc point « subir à mon secrétaire, pour cette déplorable << action, un châtiment qui accroîtrait le déshon<< neur de ma fille au lieu de l'effacer. Je crois

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qu'il est plus sage et qu'il convient mieux à la

dignité de notre empire de pardonner à leur «< jeunesse, de les unir en légitime mariage, et de << donner ainsi à leur honteuse faute une couleur «< d'honnêteté. » Ayant ouï cet avis du roi, tous se réjouirent hautement et comblèrent de louanges la grandeur et la douceur de son ame. Éginhard eut ordre d'entrer. Le roi, le saluant comme il avait résolu, lui dit d'un visage tranquille : « Vous avez «< fait parvenir à nos oreilles vos plaintes de ce << que notre royale munificence n'avait pas encore «< dignement répondu à vos services. A vrai dire, «< c'est votre propre négligence qu'il faut en accu«ser, car malgré tant et de si grandes affaires << dont je porte seul le poids, si j'avais connu quelque chose de votre desir, j'aurais accordé à << vos services les honneurs qui leur sont dus. << Pour ne pas vous retenir par de longs discours, « je ferai maintenant cesser vos plaintes par un magnifique don; comme je veux vous voir tou

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jours fidèle à moi comme par le passé, et atta

«ché à ma personne, je vais vous donner ma fille « en mariage, votre porteuse, celle qui déjà, cei<< gnant sa robe, s'est montrée si docile à vous << porter. >> Aussitôt, d'après l'ordre du roi et au milieu d'une suite nombreuse, on fit entrer sa fille, le visage couvert d'une charmante rougeur, et le père la mit de sa main entre les mains d'Éginhard avec une riche dot, quelques domaines, beaucoup d'or et d'argent et d'autres meubles précieux. Après la mort de son père, le très-pieux empereur Louis donna également à Éginhard le domaine de Michlenstadt et celui de Mühlenheim qui s'appelle maintenant Seligenstadt 1. »

Il est difficile de prononcer sur l'authenticité de cette histoire. Quoique la chronique de Lauresheim ne soit pas contemporaine, elle n'est point sans autorité; Éginhard eut, avec ce monastère, de fréquentes relations, puisqu'il lui donna le domaine de Michlenstadt, et les moines recueillirent sans doute avec soin les traditions qui intéressaient leur illustre bienfaiteur. Il est hors de doute qu'Éginhard eut réellement Imma pour femme, et Loup, abbé de Ferrières, élève

I

Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. 5, p. 383.

et ami de notre historien, appelle Imma nobilissima femina, titre qui ne se donnait guères alors qu'aux personnes issues du sang royal'. Enfin, dans une lettre à l'empereur Lothaire, petit-fils de Charlemagne, Éginḥard lui-même semble l'appeler son neveu en lui disant : « J'ai cru de<< voir avertir votre neptité (neptitatem vestram), » et Mabillon a regardé cette preuve comme concluante. Mais d'autres savans ont remarqué qu'au neuvième siècle, le mot nobilissimus et même ceux d'oncle et neveu (patruus, avunculus, nepos), étaient pris dans un sens très-vague et ne désignaient souvent qu'une extraction illustre, une sorte de tutelle et d'autorité morale. L'abbé Lebeuf est allé plus loin, et a soutenu, en étayant son opinion de quelques exemples, que les mots neptitas tua dont Éginhard se sert avec Lothaire, signifiaient toujours votre principauté, votre souveraineté; ce qui détruirait absolument la conclusion qu'on a voulu en tirer. S'il n'y avait cependant, contre l'aven

'Je trouve dans l'Histoire littéraire de la France par les bénédictins, et cette assertion a été souvent répétée, « qu'Éginhard << est qualifié gendre de Charlemagne dans des manuscrits anciens » (t. 4, p. 550), et dom Rivet renvoie, en preuve, à la 32o. lettre d'Éginhard. Cette lettre n'autorise rien de pareil, et je n'ai pu découvrir aucun texte ancien qui donnât à Éginhard une telle qua

lification.

ture d'Éginhard, que ces argumens indirects et contestables, ils ne paraîtraient pas suffisans pour faire rejeter une tradition qui n'offre en soi rien d'absurde ni de contraire au caractère de Charlemagne ou aux moeurs du temps, et que rapporte, avec tant de détails, la chronique d'un monastère où la vie d'Éginhard devait être bien connue. C'est Éginhard lui-même qui fournit les raisons les plus fortes contre la réalité de ses tendres rapports avec la fille de son maître. Non seulement il garde à ce sujet le plus profond silence; mais, dans sa Vie de Charlemagne, il énumère tous les enfans de ce prince, sept fils et huit filles, naturels ou légitimes, et le nom d'Imma ne s'y rencontre point, ni aucun nom analogue qui puisse s'être altéré sous la main des copistes. Enfin Louis-le-Débonnaire, dans un diplôme qui nous reste, donne un domaine « à son fidèle Eginhard et à sa femme Imma » sans que rien indique qu'Imma fût sa sœur. Dom Bouquet et la plupart des érudits, gardiens jaloux de la vertu des filles du roi, ont fait valoir ces preuves avec une sorte de triomphe, et je m'y rends aussi, non sans quelque regret, car l'aventure est gracieuse et douce. A leurs argumens j'en ajouterai même un nouveau, plus puissant peut-être que

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