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son fils marque le cas que ce prince faisait des hommes savants, et en même temps le goût que lui-même avait pour les sciences et pour les beaux-arts. Les autres lettres qui nous restent de lui ne lui font pas moins d'honneur. Mais son grand talent était celui de la guerre et de la politique, où il a eu peu d'égaux; et il est temps de le montrer sous ce double titre. Je prie les lecteurs de se souvenir que c'est presque toujours M. de Tourreil qui les entretient et qui va leur tracer le portrait de Philippe.

Il est difficile de décider si ce prince fut plus grand homme de guerre que grand homme d'État. Environné, dès le commencement de son règne, et au dedans et au dehors, d'ennemis puissants et redoutables, il emploie tantôt l'adresse, tantôt la force, pour les surmonter. Il s'applique et réussit à désunir ses envieux; pour frapper plus sûrement, il élude et détourne les coups qui le menacent; aussi sage dans la bonne que dans la mauvaise fortune, il n'abuse point de la victoire : également prêt à la chercher ou à l'attendre, il se hâte ou se modère selon que le point de maturité l'exige; il laisse uniquement aux bizarreries du hasard ce que ne peut leur ôter la prudence; enfin il demeure toujours inébranlable, toujours fixe dans les justes bornes qui séparent la hardiesse d'avec la témérité.

On voit dans la personne de Philippe un roi presque aussi maître de ses alliés que de ses sujets, et non moins redoutable dans les traités que dans les combats; un roi vigilant, actif; lui-même son surintendant, son ministre, son général. On le voit, avide et insatiable de gloire, la chercher où elle se vend à plus haut prix; faire ses plus chères délices de la fatigue et du péril; former sans relâche ce juste, ce prompt accord de soins et de mouvements que les expéditions militaires demandent; et avec tant d'avantages attaquer les républiques épuisées par de longues guerres, déchirées par des divisions domestiques, vendues par leurs propres citoyens, servies par une milice étrangère ou ramassée, rebelles aux sages conseils, et comme résolues à se perdre.

Il joignait en lui deux qualités ordinairement iualliables et

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incompatibles: un flegme, un sang-froid qui le rendait attentif à se prévaloir de toutes les conjonctures, et à saisir le moment favorable, sans que jamais aucun contre-temps le déconcertât, avec une activité, une ardeur, une vivacité, qui ne connaissaient ni moments de repos, ni différence de saisons, ni grandeur de dangers. Jamais capitaine ne fut ni plus hardi ni plus intrépide dans les combats. Démosthène, qui à son égard ne doit point paraître suspect, lui rend sur cet article un témoignage bien glorieux; je citerai ses propres paroles: Je voyais, dit cet orateur, ce même Philippe, avec qui nous disputions de la souveraineté et de l'empire, je le voyais, quoique couvert de blessures, oil crevé, clavicule rompue, main et jambe estropiées, résolu pourtant à se précipiter encore au milieu des hasards, et prêt à livrer à la fortune telle autre partie de son corps qu'elle voudrait, pourvu qu'avec ce qui lui en resterait il pút vivre avec honneur et gloire.

Philippe n'était pas seulement brave pour lui-même, mais il avait inspiré le même courage à toute son armée. Instruit par d'habiles maîtres, comme on l'a vu, dans le métier de la guerre, il était venu à bout d'aguerrir ses troupes, de les dresser à sa manière, et de se former des hommes capables de le seconder dans ses grandes entreprises. Il savait, sans rien perdre de son autorité, se familiariser avec le soldat, et commandait plutôt en père de famille qu'en général d'armée, dès que la discipline le permettait aussi, par cette affabilité, qui mérite d'autant plus de soumission et de respect qu'elle en exige moins et qu'elle semble en dispenser, il tirait de ses troupes des services sans fin et une obéissance sans bornes.

Jamais personne ne fit plus d'usage des ruses de guerre que Philippe. Les dangers où il s'était vu exposé dès sa jeunesse lui avaient appris la nécessité des précautions et l'art des ressources. Une sage défiance, qui sert à mettre le péril dans son véritable point de vue, le rendait, non timide et indécis, mais circonspect et prudent. Quelque raison qu'il eût de présumer de son bonheur, il ne se comptait en sûreté et ne se croyait supéDemosth. pro Ctesiph. pag. 843.

rieur à l'ennemi que par la vigilance. Toujours juste dans ses projets et infini dans les expédients, il avait des vues immenses, le génie admirable pour distribuer dans le temps l'exécution de ses desseins, et toute l'adresse pour agir sans se laisser apercevoir. Impénétrable à ses meilleurs amis, il était capable de tout entreprendre et de tout cacher. On a vu que toute son attention fut d'endormir les Athéniens par de beaux dehors de paix, et de jeter sourdement les fondements de sa grandeur sur leur crédule sécurité et sur leur aveugle indolence.

De si grandes qualités n'étaient point en lui sans défauts. Outre l'intempérance et la crapule à laquelle il s'abandonnait sans réserve et sans ménagement, on lui a reproché des mœurs absolument corrompues et déréglées. On en peut juger par ses liaisons les plus intimes, et par les compagnies qui fréquentaient le plus ordinairement sa maison. Une troupe de débauchés et de dissolus, de bouffons, de pantomimes, et, qui pis est, de flatteurs, que l'avarice et l'ambition amassent en foule autour du dispensateur des grâces, eut la principale part à sa confidence et à ses bienfaits. Ce n'est pas seulement Démosthène qui fait ces reproches à Philippe : ils pourraient être suspects dans la bouche d'un ennemi si déclaré 1. Théopompe, historien célèbre, qui avait écrit l'histoire de ce prince en cinquante-huit livres, dont malheureusement il ne nous reste que quelques légers fragments, en parle d'une manière encore plus désavantageuse : « Philippe, dit-il, n'avait que du mépris << pour la modestie et pour les bonnes mœurs. Toute son estime « et toute sa libéralité se réservaient pour des hommes plongés << dans la crapule, et prostitués aux derniers excès d'une vie << licencieuse. Il aimait que ses camarades de plaisir excellassent «< dans l'art de l'injustice et de la malignité comme dans la science « de la débauche. Eh! quelle sorte d'infamie, quel genre de «< crime ne commettaient-ils point? etc. >>

Mais ce qui, à mon jugement, doit le plus déshonorer Philippe, c'est l'endroit même par lequel il paraît le plus estimable à bien des personnes, je veux dire sa politique. Il passe, dans ce

Diod. 1. 16, p. 408.

2 Theopomp. apud Athen. 1, 6, p. 260.

genre, pour un des plus habiles princes qui aient jamais été. En effet, on a pu remarquer, dans le récit de ses actions, que dès le commencement de son règne il s'était proposé un but et formé un plan dont jamais il ne s'écarta: c'était de se rendre maître de la Grèce. Mal affermi encore sur son trône, et environné de toutes parts d'ennemis puissants, quelle apparence y avait-il qu'il pût former ou du moins exécuter un tel projet? Il ne le perdit jamais de vue. Guerres, combats, traités de paix, alliances, confédérations, tout tendait à ce but. Il prodiguait l'or et l'argent pour se faire des créatures. Il avait des intelligences secrètes dans toutes les villes de la Grèce, et, par le moyen des pensionnaires qu'il tenait à ses gages et qu'il payait grassement, il était informé exactement de toutes les résolutions qui s'y prenaient, et venait presque toujours à bout de faire tourner les délibérations à son gré. Par là il sut tromper la prudence, éluder les efforts et endormir la vigilance des peuples qui jusquelà avaient passé pour les plus actifs, les plus sages et les plus clairvoyants de la Grèce. En suivant toutes ses démarches pendant vingt ans, on le voit cheminer à pas réglés, et s'avancer régulièrement vers son but, mais toujours par des détours et des souterrains dont l'issue seule découvre le dessein..

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-Polyen nous marque clairement par quels moyens il s'assujettit la Thessalie, ce qui lui fut d'un grand secours pour venir à bout de ses autres desseins. « Il ne fit point la guerre ouver«tement aux Thessaliens, dit-il, mais il profita des divisions qui partageaient les villes et tout le pays en différentes fac«<tions. Il donnait du secours à ceux qui lui en demandaient; <«<et lorsqu'il avait vaincu il ne détruisait point ceux qui « avaient eu du désavantage, il ne les désarmait point, il ne ra<< sait point leurs murailles : il protégeait les plus faibles, et s'appliquait à affaiblir et à humilier les plus forts; en un mot, il « nourrissait plutôt les divisions qu'il ne les apaisait, tenant par<< tout à ses gages les orateurs, vrais artisans de discordes et les « boute-feu des républiques. Et ce fut par ces artifices, et non « par les armes, que Philippe se rendit maître de la Thessalie.>> Tout cela est un chef-d'œuvre et une merveille en fait de Polyæn. 1. 4, cap. 19.

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politique. Mais quels ressorts fait-elle jouer et quels moyens emploie-t-elle pour parvenir à ses fins? La finesse, la ruse, fraude, le mensonge, la perfidie, le parjure. Sont-ce là les armes de la vertu? On voit dans ce prince une ambition démesurée, conduite par un esprit adroit, insinuant, fourbe et artificieux ; mais on n'y voit point les qualités d'un homme véritablement grand. Philippe était sans foi et sans honneur. Tout ce qui pouvait servir à augmenter sa puissance lui paraissait juste et légitime. Il donnait des paroles qu'il était bien résolu de ne point garder. Il faisait des promesses qu'il aurait été bien fâché de tenir. Il se croyait habile à proportion de ce qu'il était perfide, et mettait sa gloire à tromper tous ceux avec qui il traitait. En un mot, il ne rougissait pas de dire qu'on amuse les enfants avec des jouets, et les hommes avec des serments 2. Quelle honteuse distinction pour un prince que celle d'être plus artificieux, plus dissimulé, plus profond en malice, plus fourbe qu'aucun autre de son siècle, et de laisser de lui cette idée infamante à toute la postérité !

Que penserait-on, dans le commerce de la vie, d'un homme qui se ferait un mérite de jouer tous les autres, et qui mettrait au rang des vertus la mauvaise foi et la fourberie? On déteste un tel caractère dans les particuliers, comme la peste et la ruine de la société : comment peut-il devenir digne d'estime et d'admiration dans des princes et des ministres, plus obligés encore que le reste des hommes, par l'éminence de leurs places et par l'importance de leurs emplois, à respecter la bonne foi, la sincérité, la justice, et surtout la sainteté des traités et des serments, où l'on fait intervenir le nom et la majesté d'un Dieu vengeur inexorable de la perfidie et de l'impiété ? La simple parole, parmi de simples particuliers, doit être sacrée et inviolable, s'ils ont quelque sentiment d'honneur: combien plus parmi des princes! << On doit la vérité au prochain dès lors qu'on lui parle, dit un célèbre écrivain 3; car le commerce de la parole en« ferme une promesse tacite de la vérité, la parole ne nous étant «< donnée que pour cela. Ce n'est pas une convention d'un parti«< culier avec un autre particulier; c'est une convention com

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1 Demosth. 2 Olynth. p. 22.

2 Ælian. 1. 7, cap. 12.

3 M. Nicole, sur l'épît. du 19e dimanche après la Pentecôte.

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