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Alexandre célébrait donc toujours de nouvelles fêtes et était toujours dans les festins, où il s'abandonnait sans réserve à son intempérance pour le vin. Après une nuit passée entièrement dans la débauche, on lui avait proposé une nouvelle partie. Il s'y trouva vingt convives: il but la santé de chacune des personnes de la compagnie, et fit ensuite raison à tous les vingt l'un après l'autre. Après tout cela, se faisant encore apporter la coupe d'Hercule, qui tenait six bouteilles, il la but toute pleine, en la portant à un Macédonien de la compagnie nommé Protéas; et un peu après il lui fit encore raison de cette énorme rasade. Dès qu'il l'eut bue, il tomba,sur le carreau. Voilà donc, s'écrie Sénèque en marquant les funestes effets de l'ivrognerie, ce héros 1 invincible à toutes les fatigues des voyages, à tous les dangers des siéges et des combats, aux plus violents excès de la chaleur et du froid; le voilà vaincu par son intempérance, et terrassé par cette fatale coupe d'Hercule!

Dans cet état, une violente fièvre le saisit, et on le transporta chez lui à demi mort. La fièvre ne le quitta point, mais lui laissait de bons intervalles, pendant lesquels il donna les ordres nécessaires pour le départ de la flotte et de l'armée, comptant sur une prompte guérison. Enfin, quand il se vit sans espérance, et que la voix commençait à lui manquer, il tira son anneau du doigt, et le donna à Perdiccas, lui commandant de faire porter son corps au temple d'Ammon.

Quelque faible qu'il fût, il fit un effort, et, se soutenant-sur le coude, il donna sa main mourante à baiser à ses soldats, -à qui il ne put refuser cette dernière marque d'amitié. Puis, comme les grands de la cour lui demandèrent à qui il laissait l'empire, il répondit: Au plus digne; ajoutant qu'il prévoyait que sur ce différend on lui préparerait d'étranges jeux funèbres. Et Perdiccas lui ayant demandé quand il voulait qu'on lui rendît

1 Alexandrum tot itinera, tot prælia, tot hiemes, per quas, victa temporum locorumque difficultate, transierat, tot flumina ex ignoto cadentia, tot maria tutum dimiserunt intemperantia bibendi, et ille herculaneus ac fatalis scyphus condit, (SEN. Epist. 83.)

2 « Quanquam violentia morbi dilabe

batur, in cubitum tamen erectus, dex-
tram omnibus qui eam contingere vel.
lent porrexit. Quis autem illam oscu-
lari non curreret, quæ jam fato oppressa,
maximi exercitus complexui, humanitate
quam spiritu vividiore, suffecit? »
» (VAL.
MAX. lib. 5, cap. 1.)

les honneurs divins, Lors, dit-il, que vous serez heureux. Ce furent ses dernières paroles, et bientôt après il rendit l'esprit. Il avait vécu trente-deux ans et huit mois, et en avait régné douze. Sa mort arriva au milieu du printemps, la première année de la 114 olympiade'.

Il n'y eut personne 2, selon Plutarque et Arrien, qui sur l'heure soupçonnât du poison; et cependant c'est le temps où ces sortes de bruits ont coutume de se répandre. Une preuve du contraire fut l'état même du corps mort: car, tous les principaux officiers étant entrés en dissension, ce corps, laissé là sans aucun soin ni aucune précaution, demeura quelques jours sans se corrompre dans un pays aussi chaud que la Babylonie. Le vrai poison qui le fit mourir fut le vin, et il en a tué bien d'autres. On crut pourtant, depuis, qu'Alexandre avait été empoisonné. Quinte-Curce et Justin assurent 3, dans les mêmes termes, que la vraie cause de sa mort fut le poison, et que le pouvoir suprême des successeurs d'Alexandre, dont quelques-uns étaient complices de cet attentat, donna lieu au bruit qui se répandit que l'excès du vin l'avait fait mourir, pour couvrir par ce bruit l'horreur d'un crime si affreux. On dit qu'il fut commis par le ministère des fils d'Antipater; que Cassandre, l'aîné de ses enfants, avait apporté le poison 4 de Grèce; qu'Iolas, son cadet, étant échanson, le mit dans la coupe d'Alexandre, et qu'il choisit habilement l'occasion de la débauche dont il a été parlé, afin que la quantité prodigieuse de vin qu'il avait bue cachât mieux la véritable cause de sa mort. Les circonstances où se trouvait Antipater autorisaient ces soupçons. Il était persuadé qu'on ne l'avait mandé que pour le perdre, à cause des malversations qu'il avait commises pendant sa vice-royauté, et il n'était

1 Des recherches récentes ont prouvé que la mort d'Alexandre eut lieu dans l'été de la 2e année de la 114e olympiade, 324 ans avant J. C.-L.

2 AN. M. 3683. Av. J. C. 321. AN. M. 3680. Av. J. C. 324.

3 Amici, causam morbi, intemperiem ebrietatis divulgarunt. Revera autem insidiæ fuerunt; quarum infamiam successorum potentia oppressit. (Q. CURT. lib. 10, c. 4; JUSTIN. lib. 12, cap. 13.)

On prétend que ce poison était une eau extrêmement froide, qui coule goutte à goutte d'un rocher en Arcadie nommé Nonacris. 11 en tombe fort peu, et elle est si âcre, qu'elle perce tous les vaisseaux où on la met, excepté ceux qui sont faits de la corne du pied d'un mulet. Aussi dit-on que ce fut dans un petit vase de cette espèce qu'on l'apporta de Grèce à Babylone pour ce coup scé lérat.

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pas hors de vraisemblance qu'il eût fait commettre à ses enfants un crime qui lui sauvait la vie en l'ôtant à son maître. Ce qu'il y a de sûr, c'est que jamais il ne put se laver de cette tache, et que tant qu'il vécut les Macédoniens le détestèrent comme le traître qui avait empoisonné Alexandre. On jeta même quelques soupçons sur Aristote, mais sans beaucoup de fondement. Soit que ce fut par le crime d'Antipater, ou par l'excès du vin, qu'Alexandre mourut, on est étonné de voir la prédiction des mages et des devins sur sa mort, qui devait arriver à Babylone, accomplie si exactement. Il est certain et incontestable que Dieu s'est réservé à lui seul la connaissance des choses futures; et si les devins ou les oracles ont prédit quelquefois des choses qui sont effectivement arrivées, ils n'ont pu le faire que par le commerce impie qu'ils avaient avec les démons, à qui leur pénétration et leur sagacité naturelle fournit plusieurs moyens de percer jusqu'à un certain point dans l'avenir par rapport à des événements prochains, et de faire des prédictions qui paraissent au-dessus des forces de l'intelligence humaine, mais qui ne passent point celles de ces esprits de malice et de ténèbres. La connaissance qu'ils ont de toutes les circonstances qui précèdent un événement et qui y préparent, la part même que souvent ils y ont, en inspirant aux méchants' qui leur sont livrés la pensée et le désir de faire telle et telle action, de commettre tel ot tel crime, inspiration à laquelle ils sont assurés que ces méchants consentiront: tout cela met les démons en état de prévoir et de prédire certaines choses. Ils se trompent souvent dans leurs conjectures; mais Dieu permet aussi quelquefois qu'ils y réussissent, pour punir l'impiété de ceux qui, malgré ses défenses, consultent ces esprits de mensonge pour connaître ce qui doit arriver.

Dès que le bruit de la mort d'Alexandre se fut répandu, tout le palais retentit de cris et de gémissements. Victorieux et

« Dæmones perversis (solent) malefacta suadere, de quorum moribus certi sunt quod sint eis talia suadentibus consensuri. Suadent autem miris et invisibilibus modis. » (S. AUGUST. de Divinat. Dæmon) p. 509.)

2 Facile est et non incongruum, ut

omnipotens et justus, ad eorum pœnam quibus ista prædicuntur.... occulto apparatu ministeriorum suorum etiam spiritibus talibus aliquid divinationis impertiat. » (S. AUG. de Divinat. Quæst. ad Simplic. 1. 2, Quæst. 3.)

vaincus, tous le pleurèrent également. La douleur de sa mort, rappelant toutes ses bonnes qualités, faisait oublier ses défauts. Les Perses l'appelaient le plus juste et le plus doux maître qui leur eût jamais commandé, et les Macédoniens le meilleur et le plus vaillant prince de la terre; murmurant les uns et les autres contre les dieux de ce que, par envie, ils l'avaient ravi aux hommes à la fleur de son âge et de sa fortune. Les Macédoniens croyaient voir encore Alexandre d'un `air assuré et intrépide les mener au combat, assiéger les villes, monter sur les murs, et distribuer des récompenses à ceux qui s'étaient distingués. Ils se reprochaient alors de lui avoir refusé les honneurs divins, et se confessaient ingrats et impies de l'avoir frustré d'un nom qui lui était dû à si juste titre.

Après lui avoir payé cet hommage de respects et de larmes, ils tournèrent toutes leurs pensées et leurs réflexions sur euxmêmes, et sur le triste état où la perte d'Alexandre les laissait. Ils considéraient qu'étant partis de Macédoine, ils se trouvaient au delà de l'Euphrate sans chef, et au milieu de leurs ennemis, qui ne souffraient point sans peine une nouvelle domination. Le roi étant mort sans avoir nommé de successeur, un affreux avenir s'ouvrait à leurs yeux, et ne leur montrait que divisions, que guerres civiles, et qu'une fatale nécessité de verser encore leur sang, et de rouvrir leurs vieilles plaies, non pour conquérir le royaume de l'Asie, mais pour lui donner un roi, et pour placer sur le trône peut-être un vil officier, ou même quelque scélérat.

Un si grand deuil ne demeura pas renfermé dans les murs de Babylone il se répandit dans toutes les provinces, et la nouvelle en vint bientôt à la mère de Darius. Elle avait auprès d'elle une de ses petites-filles encore tout éplorée de la mort d'Ephestion, son mari, et qui, dans cette calamité publique, sentait renouveler ses douleurs particulières. Mais Sysigambis pleurait elle seule toutes les misères de sa maison, et cette nouvelle affliction lui rappelait toutes les autres. On eût dit que Darius ne venait que de mourir, et que cette mère infortunée faisait tout à la fois les funérailles de deux fils. Elle pleurait également et les morts et les vivants. Qui aura soin, disait-elle de mes

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filles? Où trouverons-nous un autre Alexandre? Il lui semblait qu'elles étaient devenues une seconde fois captives, et qu'elles venaient encore de perdre leur royaume, avec cette différence, que la mort d'Alexandre les laissait absolument sans ressource et sans espérance. Enfin elle succomba à la douleur. Cette princesse, qui avait supporté avec patience la mort de son père, celle de son mari, de quatre-vingts de ses frères massacrés en un jour par Ochus, et, pour tout dire en un mot, celle de Darius, son fils, et la ruine de sa maison, n'eut pas assez de force pour supporter la perte d'Alexandre. Elle ne voulut plus prendre de nourriture, et se laissa mourir de faim pour ne pas survivre à ce dernier malheur.

Il arriva, après la mort d'Alexandre, de grands désordres parmi les Macédoniens pour la succession au trône, comme on le verra à la suite de cette histoire. Au bout de sept jours de confusion et de disputes, on convint qu'Aridée, frère bâtard d'Alexandre, serait déclaré roi; et que si Roxane, qui était grosse de huit mois, accouchait d'un fils, il serait joint à Aridée, et mis sur le trône avec lui; et que Perdiccas serait chargé de la personne de l'un et de l'autre, car Aridée était un imbécile qui avait autant besoin de tuteur qu'un enfant en bas âge.

Après que les Égyptiens et les Chaldéens eurent embaumé à leur manière le corps du roi, Aridée fut chargé du soin de le faire transporter au temple de Jupiter Ammon'. L'appareil de ce magnifique convoi dura deux ans entiers; ce qui donna lieu à Olympias de plaindre le sort de son fils, qui, ayant voulu, se faire mettre au nombre des dieux, était privé pendant tant de } temps de la sépulture, privilége accordé généralement aux plus vils des mortels.

$ XIX. Quel jugement on doit porter d'Alexandre.

On ne serait pas content de moi si, après avoir fait un long récit des actions d'Alexandre, je ne marquais ici ce qu'on en doit penser ; d'autant plus que les jugements que l'on a portés de ce prince se trouvent tout à fait opposés : les uns l'ayant loué et admiré avec une espèce d'extase, comme le modèle d'un hé

Ælian. 1. 13, cap. 39.

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