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de cœur dans le régiment des fripons. Simplex, au contraire, nous raconte l'impression pénible et douloureuse faite sur son esprit par le spectacle du vice, et les étonnements qui déroutèrent sa naïveté, quand il vit les hommes pour la première fois.

Il venait d'être admis au service du gouverneur de Hanau. << Je n'avais alors pour me recommander, dit-il, qu'une conscience pure et un cœur droit, avec la noble simplicité et la belle innocence. Je ne connaissais des vices que le nom, et quand je les vis en réalité, cette découverte produisit sur moi une impression terrible, étrange. J'étais élevé dans l'habitude d'avoir toujours Dieu présent devant mes yeux et d'agir selon sa sainte volonté. Cette volonté, je la connaissais, et c'est d'après elle que je jugeais les hommes et leur conduite. Dans cette disposition d'esprit, tout ce que je voyais me semblait horrible. Seigneur Dieu! quel n'était pas dans le principe mon étonnement, quand je considérais d'un côté la loi et l'Evangile, les préceptes du Christ, et de l'autre les actes de ceux qui se donnaient pour ses disciples et ses successeurs. Hélas! au lieu de la droiture que doit avoir tout chrétien sincère, je ne voyais qu'hypocrisie. A la vue des innombrables folies des hommes charnels et mondains, je me demandais si j'avais devant moi des chrétiens. » (Liv. I, chap. 24).

Nature impressionnable et faible, on peut lui appliquer dans toute sa rigueur l'expression du poète : « Cereus in vitium flecti. » Il n'est pas mauvais, il le devient; être tout passif, il flotte au gré des évènements, sans leur opposer jamais l'ombre de résistance. S'il finit par revenir à la vertu, s'il échappe au naufrage, ce n'est point par une réaction énergique, une déci– sion vigoureuse, qui nous réconcilierait avec lui et nous ferait oublier ses faiblesses. Une série de mésaventures et de malheurs sont venus fondre sur lui pour le persuader de la vanité des choses humaines. Ce n'est pas lui qui renonce au monde, c'est le monde qui le quitte; son adieu au monde n'est pas le cri d'un chrétien pénétré de la doctrine évangélique, mais un cri de

désespoir arraché par l'insuccès. Naufragé de la vie, il ramasse les débris de sa vertu pour retremper son âme dans la solitude. Ce roman, comme tous les romans d'aventures, ne nous offre donc point le spectacle fortifiant d'un homme énergique, assailli par les évènements, et luttant avec force contre la fortune, bonne ou mauvaise, pour conserver intactes sa probité et sa vertu. Il n'y a pas de drame, il n'y a pas d'action. En cela le Simplicissimus n'a rien de commun avec le véritable roman, tel

que nous l'entendons aujourd'hui. Il se compose d'une série d'aventures, de situations plaisantes ou tragiques, qui n'ont entre elles d'autre lien que les caprices du hasard. Il serait oiseux du reste d'insister sur ce point: le roman de caractère n'existait pas au XVII siècle, pas plus en France qu'en Allemagne; c'est un produit de la société moderne. Il ne faut pas forcer les choses et devancer les temps, en demandant au roman du XVIIe siècle des qualités qu'il ne pouvait avoir. Simplicissimus est un simple roman de situations, où les faits priment tout, et dont le héros n'a pas de personnalité bien marquée.

Aussi le personnage est, en somme, peu sympathique. Il ne nous émeut pas. Nous n'éprouvons pas, au récit de ses aventures, l'émotion dramatique que nous cause le spectacle d'un grand caractère aux prises avec la fortune. Ce sentiment profond par lequel le drame nous remue est remplacé ici par la curiosité. Que deviendra ce morceau de liège qui flotte au gré des ondes? Voilà toute la question. Ce n'est pas à dire que Simplicius et ses malheurs nous laissent tout à fait indifférents. Ce jeune homme innocent et candide, saintement ignorant du mal, saisi par les évènements et violemment jeté au sein d'un monde profondément perverti et démoralisé, sans point d'appui, sans conscience ferme et éclairée, sans notion bien distincte du bien et du mal, ne laisse pas que de nous intéresser. Il se concilie même bientôt quelque sympathie par son esprit, son bon sens et l'adresse avec laquelle il se tire de peine. Sa bravoure nous fait plaisir ; le chasseur de Soest est assez amusant, intéressant même à un certain

degré. Il n'est pas encore complètement perverti; il met dans ses maraudes et dans ses coups de main une certaine convenance. Il se montre honnête et chevaleresque dans le tour qu'il joue au curé de X.

Il faut l'avouer cependant, cette sympathie ne dure point; elle se change même inévitablement en aversion. Simplicius, à mesure qu'il avance dans la vie, perd son innocence et son honnêteté naturelles. Les bons principes déposés dans son esprit par l'ermite sont étouffés dans le tumulte des passions qui l'entourent. Il se corrompt rapidement et il finit même par devenir odieux. Sa vie parisienne est celle d'un drôle dénué de tout sens moral.

En somme donc, Simplicissimus est peu intéressant par luimême, parce qu'en définitive il ne représente ni un vice ni une vertu. Mais ne peut-on pas cependant découvrir en lui, sinon une de ces fortes passions qui font tout l'intérêt du roman contemporain, du moins une tendance, un défaut, un travers qui explique ses démarches et soit comme le lien qui relie entre elles ces aventures multipliées et diverses et mette une certaine unité dans le récit? Oui, et en cela l'intérêt historique se confond avec l'intérêt moral. Simplicissimus, nous l'avons dit plus haut, personnifie une passion propre au temps où il vivait, née des circonstances, et qui est le trait dominant du caractère de l'allemand au XVIIe siècle : le désir de la nouveauté, la passion insatiable du changement. Andréas Gryphius a trouvé dans ce travers de son siècle la matière d'un personnage de comédie; Moscherosch à son tour reproche à ses compatriotes cette passion de la nouveauté (<< Neusüchtigkeit»), cet irrésistible désir de tout voir et de tout connaître. Eh bien ! ce que Gryphius a ridiculisé dans une comédie, ce que Moscherosch a censuré dans une satire, Grimmelshausen l'a personnifié sous une forme épique dans Simplicissimus. Plus tard, cette passion du nouveau, la grande passion du XVIe siècle, encore si vivace au XVII, le désir d'apprendre par sa propre expérience, se personnifiera sous des traits plus

généraux dans Robinson. Simplicissimus est et reste allemand, l'allemand du XVIIe siècle; Robinson sera plus humain; il perdra même à peu près sa nationalité pour représenter le type généralisé du misanthrope curieux et voyageur.

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En résumé, Simplicissimus n'est pas un caractère; le personnage est peu sympathique; sa vie aventureuse à laquelle il finit par prendre goût, à laquelle il ne renonce que par la force des choses, est une vie sans principe, sans but, très peu édifiante. Cependant l'auteur prétend faire un livre moral et instructif. Wolf, dans son histoire du roman, trouve une leçon morale même dans les contes les plus grivois. « La poésie honnête et chaste, dit-il, n'a garde de traiter pareille matière; mais on ne niera pas qu'ici presque toujours derrière le mauvais sujet se cache uue morale saine qui est opportune et utile dans le train ordinaire du ménage. »

Quelle est donc la morale qui se cache derrière le mauvais sujet Simplicissimus? On peut la résumer dans le proverbe connu : « Quand le diable se fait vieux, il se fait ermite. D'ailleurs, malgré les affirmations de l'auteur, l'intention morale n'est pas bien accusée, et en cherchant à la découvrir, nous risquons peut-être de faire violence à Grimmelshausen. L'accuserons-nous, par exemple, d'une tendance misanthropique, en nous appuyant sur la conclusion de son roman? Cette tendance est le principe même des Robinsonades. La société corrompt les mœurs; si l'on veut rester bon, il faut la fuir, et si l'on veut redevenir bon, quand on s'est laissé corrompre par son contact, il faut se hâter de renoncer au monde et se réfugier dans la solitude. Ce serait commettre un grave anachronisme que de prêter à l'auteur du Simplicissimus les chagrins misanthropiques de l'abbé de Saint-Pierre et de Daniel de Foë.

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La vérité, c'est que la morale du Simplicissimus n'est que la morale même de l'histoire. Nous touchons ici au véritable mérite de ce roman, à ce qui lui donne sa valeur et à ce qui fait sa fortune, l'intérêt historique. Simplicissimus est la peinture fidèle des moeurs de cette époque, la plus triste de l'histoire de l'Allemagne. C'est une peinture, donc c'est une satire. L'histoire de certains faits, présentée avec l'indifférence apparente de l'humoriste, en est parfois la satire sanglante.

Le Simplicissimus est une satire, comme Gil Blas et comme Don Quichotte. Mais l'intention est moins évidente et moins avouée. Grimmelshausen est satirique par cela seul qu'il est peintre des mœurs. La satire est de fait ; elle n'est pas intentionnelle. La satire, en effet, renferme un enseignement direct ct positif. Or, le Simplicissimus, comme nous l'avons dit tout à l'heure, n'a pas de moralité bien accusée. La morale, c'est le récit lui-même.

Le XVII siècle d'ailleurs n'était pas aussi favorable à la satire et au genre comique que le siècle précédent. La satire appartient à ces époques intermédiaires d'agitation et de travail social qui ferment un monde pour en préparer un autre, où les idées nouvelles luttent contre les anciennes. Aussi le XVIe siècle est-il par excellence, en France comme en Allemagne, le siècle de la satire. Les idées alors se heurtent avec violence, servies de part et d'autre par d'intrépides champions. La plume combat avec

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