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tion, elle ne raisonne pas aussi froidement ses actions, et croit à peu près en Dieu; mais elle a tout simplement deux vices, vieux comme le monde, et qui se ressemblent, quoique distincts, dans la hideuse famille des péchés capitaux: la cupidité et l'envie.

L'envie surtout! voilà ce qui ronge la petite société de Blossy et la grande société française; voilà ce qui empêche l'une et l'autre de jouir de tous les dons que le ciel leur a prodigués, ce qui les agite et les inquiète sans cesse, ce qui fait à la fois leur malheur et leur honte. Voilà l'ennemi que nous portons en nous, la racine vivace de nos discordes. Et quand on devrait travailler à l'extirper, quand la religion et la conscience universelle ont de tout temps flétri l'envie comme la plus vile passion de notre nature corrompue, les sophistes modernes n'ont pas rougi d'en faire leur point d'appui, de la glorifier et de l'ériger en dogme sous le nom d'Egalité.

Ce sera leur plus grand crime devant Dieu et devant les hommes; car par là ils s'attaquent, autant qu'au bonheur de la vie future, à celui qu'on peut espérer ici-bas. Supposez un instant l'envie absente de Blossy, et vous concevrez aussitôt, à tous les degrés de l'échelle sociale, l'image d'une félicité aussi grande qu'il est raisonnable de la désirer sur cette terre, sans qu'on puisse dire si M. de Bermont, qui a eu sa part des soucis et des chagrins de la vie, et les a sentis vivement, est plus heureux que le petit vigneron son voisin. L'harmonie s'établira véritablement dans tous les rapports sociaux; l'harmonie, que nous promettent vainement les docteurs égalitaires, oubliant qu'elle ne naît que de la diversité et de l'inégalité des sons. Que serait un concert où l'on n'entendrait que des intonations toujours égales? Et ce ne sera nullement supprimer l'émulation, le travail, le désir légitime et naturel à chacun d'améliorer son sort. L'envie est seulement le sentiment mauvais, jaloux, haineux, qui se révolte contre toute supériorité, qui souffre de la prospérité d'autrui, qui empoisonne toutes les jouissances, et auquel la Fable ingénieuse, en le personnifiant sous les traits d'une Furie, prêtait les tortueux replis et le venin des serpents.

Or, qui combattra l'envie? Quelle doctrine humaine, quelle philosophie pourra entreprendre avec succès d'arracher du cœur de l'homme ou seulement d'apaiser et d'endormir cette passion malfaisante, ennemie de son repos et de son bonheur?

Je me souviens que dans mon enfance, lorsque je récitais les préceptes du Décalogue, je m'étonnais, en mon inexpérience, que Dieu

eût fait deux pareils commandements, de ne point prendre et de ne point convoiter le bien d'autrui. Le dérober, c'était assurément un crime impardonnable; mais le désirer simplement, sans y toucher, cela me paraissait presque innocent, et il me semblait que je pouvais désirer sans crime les jeux, les beaux habits ou les succès de mes petits camarades. Depuis j'ai compris la profondeur de la loi divine; qui ne la comprendrait aujourd'hui ? Et quand je vois, devant l'étalage des changeurs, un malheureux fixant à travers la vitre et le grillage ses yeux ardents sur les piles d'or, je médite avec émotion cet écho du Sinaï, que les siècles n'ont pas affaibli: Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain !

Cette triste scène de tous les jours, qui se répète si souvent dans les rues de Paris, est l'image abrégée du mal qui dévore la société entière. La vitre me représente la barrière de l'honneur et de la morale humaine; le grillage de fer, le mécanisme compliqué des lois pénales. Voilà ce que les hommes ont su mettre entre le bien d'autrui et la convoitise. Mais tout cela, un jour d'émeute, ou quand la fascination de l'or a égaré le malheureux, est bien fragile. Il faut une loi plus haute et plus sainte pour pénétrer jusqu'à son cœur, et pour lui ordonner de passer son chemin en détournant les yeux.

Alfred DE COURCY.

LA RÉVOLUTION ET L'ÉCLECTISME

Tandis que certains esprits, intéressés peut-être à exagérer les périls de la société, jettent un cri d'alarme en évoquant le spectre rouge de 1852, il en est d'autres, au contraire, qui, fermant les yeux à l'évidence, manifestent la plus étrange quiétude et persistent à nous présenter comme un type de perfection les glorieux principes de 1789. Vainement la plus éclatante expérience est-elle venue mettre à nu la situation du pays, et faire ressortir ce qu'avait de puéril et de funeste tout à la fois la stérile agitation du gouvernement parlementaire. Il existe de par le monde une philosophie qui demeure impassible dans une pareille situation, qui, en présence des désastres enfantés par l'irréligion, publie une nouvelle édition de la Profession de foi du vicaire savoyard, et prépare de nouveaux hommages à l'auteur de la Chaumière indienne 1. Bossuet dit, il est vrai 2: « Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous << reprendre utilement, et nous arracher cet aveu d'avoir failli qui « coûte tant à notre orgueil. Alors, quand les malheurs nous ou<< vrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux « pas; nous nous trouvons également accablés de ce que nous avons « fait et de ce que nous avons manqué de faire, et nous ne savons « plus par où excuser cette prudence présomptueuse qui se croyait « infaillible. » Mais nous voyons aujourd'hui la présomption de l'éclectisme, dépassant les prévisions de Bossuet, survivre aux mauvais succès, et s'opiniâtrer à défendre ce que la Providence a condamné.

Nous avons été émerveillé, il faut en convenir, de l'étrange au

1 On sait que l'Académie a récemment mis au concours l'éloge de Bernardin de Saint-Pierre.

2 Oraison funèbre de la reine d'Angleterre.

dace avec laquelle M. Cousin, dans sa Nouvelle défense des principes de la révolution française et du gouvernement représentatif1, dit à ses lecteurs « Je le déclare et le confesse, je suis ce que j'étais le 23 fé«vrier 1848, et la tragique expérience qui est intervenue n'a fait « que fortifier en moi les principes que j'ai tant de fois exprimés et « défendus, soit au pouvoir, soit dans l'opposition. » L'aveu est précieux tout a changé, M. Cousin lui-même le reconnaît, la situation, les questions, les choses, les hommes; la philosophie éclectique seule est demeurée inébranlable. Et en effet, puisqu'elle veut, dans une certaine mesure, se substituer à la religion, pourquoi ne participerait-elle point à son immutabilité? Il n'y a qu'un malheur, c'est que la religion prouve son immutabilité par le nombre toujours croissant de ceux qui la pratiquent, tandis que les adeptes de l'éclectisme sont aujourd'hui plus rares que jamais.

Nous verrons bientôt à quelles causes frivoles l'illustre philosophe rattache la révolution de 1848; mais il importe auparavant de suivre les développements de sa pensée dans l'ordre même où ils se produisent. Ils méritent un examen attentif, de notre part, puisqu'on peut les considérer comme le manifeste des révolutionnaires les plus dangereux, des révolutionnaires inconséquents, cause première de tous nos malheurs, Erasmes qui pondent l'œuf.qu'un Luther doit couver.

« Mes principes politiques, dit M. Cousin, ne sont pas longs à ex«poser... Ils se réduisent à l'intelligence et à l'amour de la révo«<lution française... Je m'honore d'avoir été, dans tous mes ouvra«ges, depuis le premier jusqu'au dernier, dans la chaire comme à << la tribune, son interprète modéré, mais inébranlable; ma philoso«phie même n'a guère été que la réflexion appliquée à ses instincts « et le résumé de ses maximes. »>

Ici M. Cousin se calomnie; il se fait à plaisir beaucoup plus révolutionnaire qu'il ne l'a été en réalité. Si sa métaphysique n'avait fait que reproduire les maximes et les instincts de la révolution, ce ne serait qu'une contrefaçon de Condillac et d'Helvétius; on n'y trouverait point l'élément qui fait à la fois son originalité et sa gloire: la réaction contre le sensualisme du XVIIIe siècle. Admirateur des belles et nobles parties des œuvres de M. Cousin, nous prendrons sa

1 Revue des Deux-Mondes, numéro du 1er avril 1851.

défense contre lui-même. Non, il n'est point vrai qu'il se soit toujours inspiré des traditions révolutionnaires; il a pris, au contraire, sa part du grand travail de notre siècle, lorsqu'il nous a fait toucher du doigt le néant de la philosophie sensualiste. Quand il écrivait cette réfutation de Locke, dont on ne saurait trop louer la sagesse et la profondeur, il n'était certes pas encore dans le camp des fils de Voltaire. Ne se rappelle-t-on pas aussi que, malgré l'affinité qui existait entre le libéralisme de l'époque et les idées impérialistes, le professeur de la Sorbonne, dans son cours de 1828, ne craignit pas de représenter la bataille de Waterloo comme un véritable bienfait pour l'humanité? Et cette déclaration était en harmonie avec la conduite de l'homme qui, en 1815, avait presque lutté de ferveur royaliste avec M. Guizot! Nous sommes loin de lui en faire un reproche; mais il faut convenir que ce ne sont point là les antécédents d'un interprète inébranlable des doctrines révolutionnaires. Un esprit malveillant pourrait peut-être voir, dans la nouvelle profession de foi de M. Cousin, l'application d'une des théories favorites de l'éclectisme, du système suivant lequel le vainqueur a toujours raison. Quant à nous, sans rechercher l'origine des convictions démocratiques dont se déclare aujourd'hui pénétré le nouveau défenseur des principes de la révolution française, nous allons essayer d'apprécier les doctrines politiques qu'il professe.

<< Fille de la morale, dit-il, la politique a le même caractère que sa « mère; elle est d'institution naturelle. Les sociétés humaines, fai« tes par des hommes et pour des hommes, ne relèvent point de pou« voirs étrangers et mystérieux, et le seul fondement de l'autorité lé« gitime est l'intérêt et le consentement des peuples. De là le grand a principe de la souveraineté nationale proclamée par la révolution « française, qui répond à celui de la souveraineté de la raison en phia losophie. »>

Il est assez difficile de comprendre ce que veut dire cette assertion, que la morale est d'institution naturelle. On le concevrait parfaitement de la part d'un de ces philosophes du dernier siècle qui rêvaient un ordre social naturel, c'est-à-dire indépendant de toute religion, et qui nous présentaient comme l'idéal une société d'honnêtes athées. Mais sous la plume d'un philosophe spiritualiste, qui, loin d'isoler l'humanité de Dieu, la considère comme inspirée, peut-il y avoir une morale naturelle distincte de la morale divine? Évidem

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