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conforme à ce but, comme le dénoue ment à l'intrigue. Après tout, fi l'on s'obstine à foutenir que ce cinquiéme Acte peut abfolument être retranché, fans que le tout en fouffre, on ne fçauroit nier au moins qu'il n'y foit adroitement enchaffé. D'ailleurs, il est fi pathétique, & il met tellement le comble à toute l'agitation du Théâtre, qu'il mérite bien qu'on ait l'indulgence de ne pas examiner à la rigueur, fi fa liaifon avec le refte eft néceffaire, ou fimplement utile au tout. On auroit fait grace aux deux derniers Actes des Horaces de Corneille, s'ils euffent été auffi heureusement liés au fujet, que cet Acte l'eft au fien.

La premiere chofe qui frappe, & que j'ai réfervée pour la derniere, c'est le fujet même, dont le fonds paroît répréhensible à bien des gens. Quel eft le crime d'Oedipe, demande-t-on ? un brutal lui reproche en face qu'il n'eft pas fils de Polybe. Il va confulter l'Oracle: le Dieu, au lieu de répondre à fa queftion, lui prédit qu'il tuera fon pere, & qu'il époufera fa mere. Oedipe confirmé par le filence d'Apollon, dans l'opinion que Polybe eft fon pere, est tellement vertueux que pour éviter

d'accomplir une fi terrible prédiction il s'exile de fon pays. Il erre à l'aventure; il arrive à Thébes; la fortune lui rit; il confond le Sphinx. Le voilà Roi de Thébes & mari de Jocafte. Il ignore affurément que fa mere eft devenue fa femme. En tout cela, s'il y a du crime c'eft Apollon qui eft coupable, & non Oedipe. C'eft pourtant Oedipe qui paye le crime, & de quel fupplice ! répon dons par articles. Il eft certain d'abord que fans égard à aucune Théologie, foit payenne, foit chrétienne, Sophocle fait Oedipe criminel. En quoi? le voici. Il a tué un homme dans le chemin de Delphes à Thèbes. A la vérité il fe croyoit infulté ; il est moins coupable par cette conjoncture: mais il në laiffe pas de l'être, & un homme modéré auroit examiné de quoi il étoit question, & fe feroit informé du rang de la perfonne à qui on exigeoit qu'il donnât le pas. De plus, quoiqu'il aime fon peuple en bon Roi, il a les défauts d'un méchant particulier, & même d'un Roi imprudent. Il eft colère, orgueilleux, & curieux à l'excès. Telle eft la peinture qu'en fait Sophocle. Oedipe n'eft donc pas un Prince irréprochable. Auffi l'art ne veut-il pas qu'un

homme parfaitement vertueux foit accablé de malheurs. Je conviens qu'Oedipe paroît ne pas mériter tous les maux aufquels il s'eft condamné lui-même fans le fçavoir; mais c'est cela même qui fait la fineffe de l'art, qui confiste mettre en fpectacle un homme peu coupable & beaucoup malheureux. Quant aux crimes involontaires d'Oedipe, Apollon les a prédits, & le Deftin les a ratifiés. Telle eft la Théologie payenne. Le deftin inévitable en eft le grand pivot. Ce feroit faire injure au lecteur, de charger ces Réflexions d'un nombre infini de morceaux de l'Antiquité, qu'il feroit trop aifé de compiler, & trop ennuyeux de lire. Une connoiffance même fuperficielle des Grecs & des Latins, fuffit pour le fçavoir; & fans fortir des Poëtes Tragiques Grecs, qui fe commentent mieux les uns les autres que ne le font leurs propres Commentateurs, on ne verra aucune Tragédie où le Deftin ne foit regardé comme l'ame de tout ce qui fe paffe ici bas. Toutefois la liberté ne laiffoit pas d'avoir lieu dans cette étrange Théologie; car on y diftingue trèsbien les crimes volontaires & confentis, d'avec ceux qui viennent du Destin,

II peut même être, & il eft vrai, que les termes étant réduits à leur jufte valeur, les Grecs reconnoiffoient une liberté réelle, & un Deftin imaginaire, fur-tout quand ils parloient en Philofophes & d'une maniere précife. Leur pratique dans les récompenfes & les punitions, le montre plus nettement encore que leurs écrits, & ces écrits même le font voir. Il n'y a qu'à confulter Platon. Mais comme dans les Tragédies les Poëtes parloient au peuple, & par conféquent d'une façon populaire, ils donnoient beaucoup au Deftin, & peu à la liberté, fans trop fonger à la difficulté de concilier l'un & l'autre. En effet, malgré le Chriftianifme, nous voyons que l'amour de nous-même nous aveugle au point de juftifier nos fautes par ce langage popu laire. C'est ma destinée, c'est mon étoile qui l'a voulu. Il faut donc mettre quelque diftinction entre les manieres de parler, foit précises, foit communes. Mais fans entrer dans cet examen, mettons pour principe que la fatalité étoit parmi les Anciens le grand mobile des principaux événemens. Dans cette fuppofition, fi nous voulons jouir d'un fpectacle Grec, nous fommes

obligés d'époufer pour un moment leur fyftême. Il est insensé à la vérité ; mais nous devons faire effort pour ne le pas trouver tel, puisqu'il ne paroiffoit pas tel aux fpectateurs Grecs, avec qui nous nous melons. Qu'un Prince François représenté fur notre Théâtre s'avisât de donner dans les idées du Paganisme, on le fifleroit. Mais qu'un Augufte s'y livre, cela nous paroît dans l'ordre. Rendons la même juftice à Oedipe, & ne le condamnons pas par l'endroit même qui le rend le plus intéreffant.

Qu'il foit par-là très-attachant, on le fent. Il ne faut que développer, s'il eft poffible, ce fentiment intérieur. Si Oedipe étoit un fcélérat qui se fût abandonné de lui-même à toutes les horreurs qui lui arrivent, fans qu'il ait pû les éviter, il nous cauferoit une indignation égale à celle qu'on fent au récit des crimes atroces de ces malheureux que l'on condamne à périr, & dont on voudroit effacer la mémoire parmi les hommes. S'il étoit un Saint, l'indigna tion ne feroit pas moindre; mais elle retomberoit fur les Dieux, auteurs des maux qu'il n'auroit pas mérités. Mais Oedipe n'étant qu'affez peu coupable, & extrêmement malheureux avec d'ex

cellentes

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