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On se sépara donc sans avoir rien conclu, et Sichaire prit la résolution d'aller trouver le roi. S'étant d'abord rendu près de sa femme à Poitiers, il y fut blessé d'un coup d'épée par un de ses esclaves, pendant qu'il le battait. On s'empara de l'esclave, on lui coupa les mains et les pieds, puis on le mit à la potence. Alors le bruit se répandit à Tours que Sichaire était mort. Aussitôt Chramnisind assemble ses parents et ses amis, et les conduit à la maison de Sichaire. Ils la pillent, ils y égorgent plusieurs esclaves; ensuite ils y mettent le feu, ainsi qu'à toutes les maisons des autres propriétaires de la même terre, après avoir enlevé les troupeaux qu'elles renfermaient et tout ce qu'ils en pouvaient emporter. Les deux parties furent de nouveau obligées par le magistrat de comparaître au tribunal de la cité; et, lorsqu'elles eurent plaidé leurs causes, les juges décidèrent que celui qui n'avait pas voulu d'abord de composition, et qui, plus tard, avait livré aux flammes les maisons de son adversaire, perdrait la moitié du prix qui lui avait été adjugé, et que Sichaire payerait seulement l'autre moitié. Cette décision était contraire aux lois, observe Grégoire de Tours, mais elle avait pour but de rétablir la paix. Alors intervint de nouveau la charité de l'évêque. L'Église ouvrit son trésor et paya la somme fixée; Chramnisind fit une charte de sécurité à Sichaire, et les deux parties, ayant accepté la composition, jurèrent de ne proférer jamais un seul mot l'une contre l'autre. Ce fut ainsi que cette querelle fut assoupie, ajoute notre historien'.

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pable. Capitul., a. 779, c. xxii; a. 802, c. xxxii, etc. Voyez, sur les compositions des Francs, la douzième Dissertation de mon savant confrère M. Pardessus, Loi salique, p. 651-664.

1 Quoi qu'en dise ici Grégoire de Tours, l'affaire ne fut pas entièrement terminée, et les serments prêtés ne furent pas tenus. Il est vrai que Chramnisind contracta avec Sichaire, le meurtrier de ses parents, la

plus étroite amitié, au point que la plupart du temps tous les deux mangeaient à la même table et couchaient dans le même lit. Mais il arriva qu'un jour, au milieu d'un repas que Chramnisind donnait à son ami, celui-ci, déjà pris de vin, se mit à dire « Tu m'as de grandes obligations mon très-cher frère, de ce que j'ai tué tes parents; car la composition que tu as reçue pour leur mort a fait affluer l'or et l'argent

:

Désordre introduit dans l'Église par l'invasion des laïques.

20. Comme je ne fais pas l'histoire des bienfaits du clergé et que je n'écris pas ici son panégyrique, je ne citerai pas d'autres exemples des actions honorables de ce premier ordre de l'État ; ceux que je viens de rapporter suffisent à mon sujet, en montrant que les bienfaits et les vertus des évêques et des autres ecclésiastiques doivent être aussi comptés parmi les causes de leur popularité. Non pas, je le répète, que leur conduite fût constamment ni partout également méritoire; il est pour l'Église des époques malheureuses, où ses ministres, livrés à tous les désordres du siècle, semblent avoir perdu le sentiment de leurs devoirs et le souvenir de leur mission. Mais ces temps de honte, qui suivirent immédiatement la violation de sa constitution par le pouvoir temporel, doivent être imputés moins à l'Église ellemême qu'à ses oppresseurs.

Ce fut pendant l'agonie de la dynastie mérovingienne, et principalement sous le gouvernement de Charles Martel, que les hommes de guerre, ayant envahi les bénéfices ecclésiastiques, occupèrent les abbayes et les églises, et formèrent un nouveau clergé, aussi méprisable, suivant saint Boniface, par ses mœurs que par son ignorance'. Ce fut aussi au milieu des guerres des petits-fils de Charlemagne et des invasions des Normands, que, la plupart des églises et des monastères ayant été de nouveau dépouillés de leurs possessions, on vit des comtes se faire évêques ou abbés, le scandale s'introduire dans le sanctuaire, et la discipline ecclésiastique relâchée menacer de se perdre entièrement2.

dans ta maison. Sans cette affaire-là, tu serais encore dans le dénûment et dans la misère. » Ces paroles aigrirent l'esprit de Chramnisind. << Si je ne venge le meurtre de mes parents, » dit-il en lui-même, « je pe serai plus un homme, et je mériterai de passer pour une femme. » Aussitôt, éteignant les lumières, il fend d'un coup de

hache la tète à Sichaire. Ensuite il dépouille le corps et le suspend à un poteau de l'enceinte de sa maison. Ce nouveau crime resta à peu près impuni (Greg. Tur., IX, 19).

a.

1

Voy. Bonifacii epistola ad Zachar. pap., 742; dans Bouq., t. IV, p. 94 a-c.

2 Voy. dans le t. IX des Hist. de Fr. les

Il est vrai qu'à toutes les époques, pendant la durée des deux premières races, les désordres de la vie privée, les mauvaises passions, les crimes publics même, ne furent pas rares dans le sein du clergé. Déjà dans Grégoire de Tours', il est souvent question d'évêques qui se livrent à la débauche, et qui maltraitent, oppriment, dépouillent leurs propres concitoyens. Toutefois de pareils excès, beaucoup moins communs d'ailleurs parmi les ministres de la religion que parmi les laïques, étaient des actes individuels et isolés, blâmés et souvent punis par les conciles2. Le mal qui en résultait ne retombait guère sur la classe la plus nombreuse de la société, et les prêtres, en épargnant la masse de la population, pouvaient être tyrans et criminels sans rien perdre pour cela de leur popularité.

Fondements de la popularité du clergé.

21. En résumé, ce qui devait d'abord l'assurer au clergé, malgré la conduite répréhensible de ses membres, c'étaient ses maximes en faveur du peuple; d'après lesquelles l'homme pauvre et l'esclave étaient élevés au même rang que l'homme riche et que le maître, estimés autant qu'eux, appelés à la même destinée et recommandés également à l'amour de tous les fidèles3. L'égalité se trouvait dans l'église; égalité imparfaite, il est vrai, car elle expirait à la porte du temple; mais elle était promise pour une autre vie, et l'espoir tenait lieu de la possession, de même que l'imagination suppléait à la réalité.

Ce qui rendait ensuite le clergé populaire, c'étaient les cérémonies du culte et les institutions ecclésiastiques dont nous avons parlé et qui se sont perpétuées jusqu'aux premiers siècles de la

nombreux diplômes par lesquels les rois ordonnent ou confirment les restitutions faites aux établissements religieux.

1 Hist., IV, 36, 43; V, 21, 41; VIII, 39.

2

Voy. le concile de Châlon-sur-Saône

de 745; celui de Gaule (Gallicanum) de 796; le troisième de Valence, en 855; celui de Verberie de 869.

Voy. Jon., episc. Aurelian., de Institut.. laicali, II, 22; dans d'Achéry, Spicil.,

de 579; celui d'Allemagne (Germanicum) t. I, p. 297 (vers 825).

troisième race, à travers les temps les plus difficiles de l'Église. Ces institutions d'une société grossière et crédule ne manquaient

pas de grandeur. Sans doute qu'elles étaient insuffisantes; mais elles répondaient à l'état de la société, et elles ont beaucoup atténué le mal, si elles n'ont pu l'empêcher entièrement.

Excès du pouvoir ecclésiastique.

22. Quant au reproche que l'on a fait à l'Église de son pouvoir, il me paraît injuste ou du moins fort exagéré. A la vérité, ce pouvoir était immense, et s'alliait mal avec l'esprit de l'Évangile. Cependant qu'on jette les yeux sur ce qui était à côté du clergé, et qu'on juge si l'autorité placée dans les mains laïques s'exerçait avec plus de justice, de douceur et d'intelligence. Certainement le clergé abusa de la sienne; mais qui n'abusait pas alors, et de quoi ne faisait-on pas abus? Les rois, les grands, les seigneurs et, plus tard, les communes et les états généraux ont-ils montré plus de modération? Dans le moyen âge, l'usurpation et l'abus étaient si communs, que s'il fallait condamner tout ce qui s'en est rendu coupable, à la rigueur rien ne serait épargné. On est forcé, je crois, de reconnaître que le clergé a beaucoup moins excédé ses droits que les autres ordres de l'État.

Les armes spirituelles, les seules qui fussent proprement à sa disposition, doivent être considérées, malgré les justes plaintes qu'elles ont excitées trop souvent, comme ayant été essentiellement utiles et bienfaisantes. Longtemps elles ont protégé les populations non moins que l'Église, et servi de rempart contre la force brutale qui opprimait la société. Qui pourrait, par exemple, accuser d'abus les évêques de la province de Reims, lorsque, après la guerre de 923, entre les rois Charles le Simple et Robert, ils imposaient une pénitence de trois années aux Français qui s'étaient battus contre des Français ? Dans les actes ecclé

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siastiques, l'excommunication même n'est d'ordinaire que la sanction des lois les plus humaines et les plus tutélaires. Ainsi, en 988, elle est prononcée par le clergé d'Aquitaine contre les brigands qui ravageaient le pays'; en 1031, le célèbre concile de Limoges interdit, sous la même peine, les guerres privées des seigneurs, si funestes aux habitants des campagnes2; dix ans après, d'autres conciles, en instituant la trêve de Dieu, la placent sous la protection des foudres de l'Église. Enfin, dès l'an 855, le troisième concile de Valence frappait le duel d'excommunication".

Nationalité du clergé.

23. Rappelons-nous aussi que, pendant toute la période dans laquelle je me renferme, l'Église de France était nationale; que les principes et les intérêts du clergé n'étaient pas moins nationaux que son pouvoir; qu'alors l'ultramontanisme n'existait pas ; que si, dès Louis le Débonnaire (en 833), un pape (Grégoire IV), excusable d'ailleurs par la pureté de ses intentions et par son amour de la justice, voulut se mêler de nos discordes civiles, et prendre parti pour les fils dénaturés de l'empereur contre leur imbécile père, il lui fut signifié, de la part des évêques, qu'il n'avait le pouvoir d'excommunier personne malgré eux dans leurs diocèses, et que dans le cas où il serait venu pour lancer l'excommunication, il s'en retournerait lui-même excommunié3. On connaît aussi la réponse que le pape Adrien II

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Conciles des années 1041 et suiv.; dans Boug., XI, 510-517. Glaber Rodulf., IV, 5, et V, 1; dans Bouq., X, 49, 50 et 59. Hugo, abb. Flavin., dans Bouq., XI, 145 a-c.

* Can. XII, dans Coleti, IX, 1156.

5 Astronom., Vita Ludov. Pii, 48. Voy. aussi la lettre du pape aux évêques, dans Opera Agobarili, t. II, p. 53-60, et dans Bouq., t. VI, p. 352-353.

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