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De là je tombai dans les fers, et fus promené en triomphe. Après cela, vous m'avouerez qu'il faut mourir de douleur, ou s'élever au-dessus des caprices de la fortune.

Vous avez dans votre sagesse, lui dit Bélisaire, bien des motifs de consolation; mais je vous en promets un nouveau avant de nous séparer.

Chacun d'eux, après cet entretien, alla se livrer au sommeil.

Gélimer, dès le point du jour, avant d'aller cultiver son jardin, vint voir si le vieillard avait bien reposé. Il le trouva debout, son bâton à la main, prêt à se remettre en voyage. Quoi! lui ditil, vous ne voulez pas donner quelques jours à vos hôtes? Cela m'est impossible, répondit Bélisaire : j'ai une femme et une fille qui gémissent de mon absence. Adieu; ne faites point d'éclat sur ce qui me reste à vous dire : ce pauvre aveugle, ce vieux soldat, Bélisaire enfin, n'oubliera jamais l'accueil qu'il a reçu de vous. — - Que dites-vous? Qui? Bélisaire! — C'est Bélisaire qui vous embrasse! O juste ciel ! s'écriait Gélimer éperdu et hors de lui-même, Bélisaire dans sa vieillesse, Bélisaire aveugle et abandonné! On a fait pis, dit le vieillard: en le livrant à la pitié des hommes, on a commencé par lui crever les yeux. Ah! dit Gélimer avec un cri de douleur et d'effroi, est-il possible? Et quels sont les monstres?.... Les envieux, dit Bélisaire. Ils m'ont accusé d'aspirer au trône, quand je ne pensais qu'au' tombeau. On

les a crus, on m'a mis dans les fers. Le peuple enfin s'est révolté et a demandé ma délivrance. Il a fallu céder au peuple ; mais en me rendant la liberté, on m'a privé de la lumière. - Et Justinien l'avait ordonné! - C'est là ce qui m'a été sensible. Vous savez avec quel zèle et quel amour je l'ai servi. Je l'aime encore, et je le plains d'être assiégé par des méchants qui déshonorent sa vieillesse. Mais toute ma constance m'a abandonné, quand j'ai appris qu'il avait lui-même prononcé l'arrêt. Ceux qui devaient l'exécuter n'en avaient pas le courage; mes bourreaux tombaient à mes pieds. C'en est fait, je n'ai plus grâce au ciel, que quelques moments à être aveugle et pauvre. Daignez, dit Gélimer, les passer avec moi, ces derniers moments d'une si belle vie. Ce serait pour moi, dit Bélisaire, une douce consolation; mais je me dois à ma famille, et je vais mourir dans ses bras. Adieu.

Gélimer l'embrassait, l'arrosait de ses larmes, et ne pouvait se détacher de lui. Il fallut enfin le laisser partir; et Gélimer le suivant des yeux : O prospérité! disait-il, ô prospérité! qui peut donc se fier à toi? Le héros, le juste, le sage Bélisaire!... Ah! c'est pour le coup qu'il faut se croire heureux en bêchant son jardin. Et tout en disant ces mots, le roi des Vandales reprit sa bêche.

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CHAPITRE III.

BÉLISAIRE approchait de l'asile où sa famille l'attendait, lorsqu'un incident nouveau lui fit craindre d'en être éloigné pour jamais. Les peuples voisins de la Thrace ne cessaient d'y faire des courses; un parti de Bulgares venait d'y pénétrer, lorsque le bruit se répandit que Bélisaire, privé de la vue, était sorti de sa prison, et qu'il s'en allait en mendiant joindre sa famille exilée. Le prince des Bulgares sentit tout l'avantage d'avoir ce grand homme avec lui, ne doutant pas que, dans sa douleur, il ne saisît avidement tous les moyens de se venger. Il sut la route qu'il avait prise; il le fit suivre par quelques-uns des siens; et vers le déclin du jour, Bélisaire fut enlevé. Il fallut céder à la violence, et monter un coursier superbe qu'on avait amené pour lui. Deux des Bulgares le conduisaient; et l'un d'eux avait pris son jeune guide en croupe. Tu peux te fier à nous, lui dirent-ils. Le vaillant prince qui nous envoie honore tes vertus, et plaint ton infortune. Et que veut-il de moi, demanda Bélisaire? Il lui dirent les barbares, t'abreuver du sang de tes ennemis. Ah! qu'il me laisse sans vengeance, dit le vieillard: sa pitié m'est cruelle. Je ne veux que mourir en paix au sein de ma famille ; et vous

• veut,

m'en éloignez. Où me conduisez-vous? Je suis épuisé de fatigue ; et j'ai besoin de repos. Aussi vas-tu, lui dit-on, te reposer tout à ton aise, à moins que le maître du château voisin ne soit sur ses gardes, et ne soit le plus fort.

Ce château était la maison de plaisance d'un vieux courtisan appelé Bessas, qui, après avoir commandé dans Rome assiégée, et y avoir exercé les plus horribles concussions, s'était retiré avec dix mille talents (1). Bélisaire avait demandé qu'il fût puni selon les lois; mais ayant pour lui à la cour tous ceux qui n'aiment pas qu'on examine de si près les choses, Bessas ne fut point poursuivi ; et il en était quitte pour vivre dans ses terres au sein de l'opulence et de l'oisiveté.

Deux Bulgares qu'on avait envoyé reconnaître les lieux, vinrent dire à leur chef que dans ce château ce n'étaient que festins et que réjouissances; qu'on n'y parlait que de l'infortune de Bélisaire ; et que Bessas avait voulu qu'on la célébrât par une fête comme une vengeance du ciel. Ah, le lâche! s'écrièrent les Bulgares ; il n'aura pas long-temps à se réjouir de ton malheur.

Bessas, au moment de leur arrivée, était à table, environné de ses complaisants; et l'un d'eux, chantant ses louanges, disait dans ses vers que le ciel avait pris soin de le justifier, en con damnant son accusateur à ne voir jamais la lu

(1) Six millions.

mière. Quel prodige plus éclatant, ajoutait le flatteur, et quel triomphe pour l'innocence! Le ciel est juste, disait Bessas, et tôt ou tard les méchants sont punis. Il disait vrai. A l'instant même les Bulgares, l'épée à la main, entrent dans la cour du château, laissant quelques soldats autour de Bélisaire, et pénètrent avec des cris terribles jusqu'à la salle du festin. Bessas pâlit, se trouble, s'épouvante; et comme lui tous ses convives sont frappés d'un mortel effroi. Au lieu de se mettre en défense, ils tombent à genoux, et demandent la vie. On les saisit, on les fait traîner dans le lieu où était Bélisaire. Bessas, à la clarté des flambeaux, voit à cheval un vieillard aveugle; il le reconnaît, il lui tend les bras, il lui crie grâce et pitié. Le vieillard attendri conjure les Bulgares de l'épargner lui et les siens. Point de grâce pour les méchants, lui répondit le chef : ce fut le signal du carnage: Bessas et ses convives furent tous égorgés. Aussitôt se faisant amener leurs valets, qui croyaient aller au supplice: vivez, leur 'dit le même, et venez nous servir; car c'est nous qui sommes vos maîtres. Alors la troupe se mit à table, et fit asseoir Bélisaire à la place de Bessas.

Bélisaire ne cessait d'admirer les révolutions de la fortune; mais ce qui venait d'arriver l'affligeait. Compagnons, dit-il aux Bulgares, vous me donnez un chagrin mortel, en faisant couler autour de moi le sang de mes compatriotes. Bessas était un avare inhumain ; je l'ai vu dans Rome

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