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complot dont on l'accuse; et j'en répondrais sur ma vie, si ma vie était digne d'être garant de sa vertu. Je veux le voir et l'entendre, dit Justinien, et sans en être connu; et dans l'état où il est réduit, cela n'est que trop facile. Depuis qu'il est sorti de sa prison, il ne peut pas être bien loin suivez ses traces, tâchez de l'attirer dans votre maison de campagne : je m'y rendrai secrètement. Tibère reçut cet ordre avec transport, et dès le lendemain il prit la route que Bélisaire avait suivie.

ཨ་ཨ་འ་

CHAPITRE II.

CEPENDANT Bélisaire s'acheminait en mendiant vers un vieux château en ruine où sa famille l'attendait. Il avait défendu à son conducteur de le nommer sur la route; mais l'air de noblesse répandu sur son visage et dans toute sa personne suffisait pour intéresser. Arrivé le soir dans un village, son guide s'arrêta à la porte d'une maison qui, quoique simple, avait quelque apparence.

Le maître du logis rentrait avec sa bêche à la main. Le port, les traits de ce vieillard fixèrent son attention. Il lui demanda ce qu'il était. Je suis un vieux soldat, répondit Bélisaire. Un soldat! dit le villageois, et voilà votre récompense! C'est le plus grand malheur d'un souverain, dit Bélisaire, de ne pouvoir payer tout le sang qu'on verse pour lui. Cette réponse émut le cœur du villageois : il offrit l'asile au vieillard.

Je vous présente, dit-il à sa femme, un brave homme, qui soutient courageusement la plus dure épreuve de la vertu. Mon camarade, ajouta-t-il, n'ayez pas honte de l'état où vous êtes, devant une famille qui connaît le malheur. Reposez-vous: nous allons souper. En attendant, dites-moi, je vous prie, dans quelles guerres vous avez servi. J'ai fait la guerre d'Italie contre les Goths, dit

Bélisaire, celle d'Asie contre les Perses, celle d'Afrique contre les Vandales et les Maures.

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A ces derniers mots, le villageois ne put retenir un profond soupir. Ainsi, dit-il, vous avez fait toutes les campagnes de Bélisaire? - Nous ne nous sommes point quittés.-L'excellent homme! Quelle égalité d'âme ! quelle droiture! quelle élévation! Est-il vivant? car, dans ma solitude, il y a plus de vingt-cinq ans que je n'entends parler de rien. Il est vivant. Ah! que le ciel bénisse et prolonge ses jours. S'il vous entendait, il serait bien touché des voeux que vous faites pour lui. - Et comment dit-on qu'il est à la cour? toutpuissant? adoré sans doute! — Hélas! vous savez que l'envie s'attache à la prospérité. - Ah! que l'empereur se garde bien d'écouter les ennemis de ce grand homme. C'est le génie tutélaire et vengeur de son empire. Il est bien vieux! - N'importe; il sera dans les conseils ce qu'il était dans les armées ; et sa sagesse, si on l'écoute, sera peutêtre encore plus utile que ne l'a été sa valeur. D'où vous est-il connu? demanda Bélisaire attendri. Mettons-nous à table, dit le villageois : ce que vous demandez nous mènerait trop loin.

Bélisaire ne douta point que son hôte ne fût quelque officier de ses armées qui avait eu à se louer de lui. Celui-ci, pendant le souper, lui demanda des détails sur les guerres d'Italie et d'Orient, sans lui parler de celle d'Afrique. Bélisaire, par des réponses simples, le satisfit pleinement.

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Buvons, lui dit son hôte vers la fin du repas, buvons à la santé de notre général; et puisse le ciel lui faire autant de bien qu'il m'a fait de mal en sa vie. Lui! reprit Bélisaire, il vous a fait du mal! Il a fait son devoir, et je n'ai pas à m'en plaindre; mais, mon ami, vous allez voir que j'ai dû apprendre à compatir au sort des malheureux. Puisque vous avez fait les campagnes d'Afrique, vous avez vu le roi des Vandales, l'infortuné Gélimer, mené par Bélisaire en triomphe à Constantinople avec sa femme et ses enfants; c'est ce Gélimer qui vous donne l'asile, et avec qui vous avez soupé. Vous, Gélimer! s'écria Bélisaire; et l'empereur ne vous a pas fait un état plus digne de vous! Il l'avait promis. Il a tenu parole; il m'a offert des dignités (1); mais je n'en ai pas voulu. Quand on a été roi et qu'on cesse de l'être, il n'y a de dédommagement que le repos et l'obscurité. Vous, Gélimer! Oui, c'est moi-même qu'on assiégea, s'il vous en souvient, sur la montagne de Papua. J'y souffris des maux inouis (2). L'hiver, la famine, le spectacle effroyable de tout un peuple réduit au désespoir, et prêt à dévorer ses enfants et ses femmes; l'infatigable vigilance du bon Pharas, qui, en m'assiégeant, ne cessait de me conjurer d'avoir pitié de moi-même et des miens; enfin, ma juste con

(1) Celle de patrice.

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(2) Vid. PROCOP. de Bello Vandalico, lib. 2.

fiance en la vertu de votre général, me firent lui rendre les armes. Avec quel air simple et modeste il me reçut! Quels devoirs il me fit rendre! Quels ménagements, quels respects il eut lui-même pour mon malheur! Il y a bientôt six lustres que je vis dans cette solitude; il ne s'est pas écoulé un jour que je n'aie fait des vœux pour lui.

Je reconnais bien là, dit Bélisaire, cette philosophie qui, sur la montagne où vous aviez tant à souffrir, vous faisait chanter vos malheurs; qui vous fit sourire avec dédain en paraissant devant Bélisaire; et qui, le jour de son triomphe, vous fit garder ce front inaltérable dont l'empereur fut étonné. Mon camarade, reprit Gélimer, la force et la faiblesse d'esprit tiennent beaucoup à la manière de voir les choses. Je ne me suis senti du courage et de la constance que du moment que j'ai regardé tout ceci comme un jeu du sort. J'ai été le plus voluptueux des rois de la terre ; et du fond de mon palais, où je nageais dans les délices, des bras du luxe et de la mollesse, j'ai passé tout à coup dans les cavernes du Maure (1), où, couché sur la paille, je vivais d'orge grossièrement pilé et à demi-cuit sous la cendre, réduit à un tel excès de misère, qu'un pain que l'ennemi in'envoya par pitié fut un présent inestimable.

(1) Vandali namque omnium sunt, quos sciam mollissimi atque delicatissimi; omnium vero miserrimi Marusii. (PROCOP. de Bello Vandalico, lib. 2.)

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