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deux formes stables imposées par la nature des lieux et des travaux, reste le principal agent conservateur; et elle se perpétue elle-même, grâce à la stabilité du patrimoine d'où elle tire par le travail ses moyens d'existence.

En résumé, quelques traits caractérisent la constitution sociale des races simples: elles sont relativement éparses sur leur territoire; elles ont pour ressources, principales les productions spontanées du sol et des eaux, avec quelques compléments fournis par l'agriculture pastorale, par les forêts et par les mines. Ces peuples se montrent d'autant plus contents de leur sort qu'ils ont moins recours à l'intervention de l'industrie manufacturière, du commerce et des arts libéraux. Le caractère dominant de la constitution est la suprématie de la famille soumise au Décalogue, à la religion et à l'autorité paternelle. Partout, d'ailleurs, la famille est appuyée sur le domaine des ancêtres; et elle complète, par la fécondité et l'émigration, les éléments essentiels de la paix et de la stabilité. Par la fécondité, la famille se procure le choix d'un bon héritier; par l'émigration, elle dirige utilement vers les colonies les activités surabondantes, qui pourraient troubler la métropole.

Les sociétés simples doivent le bonheur dont elles jouissent aux institutions, non à une nature spéciale de leurs membres. Chez toutes les races, prospères ou souffrantes, les enfants naissent avec les mêmes tendances innées vers le mal'. Chez toutes les sociétés, simples ou compliquées, ces tendances, si elles ne sont pas promptement réprimées, engendrent bientôt la ruine. Sous les constitutions simples que je viens de définir, les pères tiennent lieu des autres autorités, et ils ont le pouvoir

1. « Ce n'est pas seulement dans les penchants honnêtes, c'est aussi dans les mauvais penchants qu'un air de famille est remarquable chez les hommes. » (CICERON : Des Lois, I, 14; traduction Nisard.)

d'opérer cette répression et d'assurer la paix. Ce régime laisse peu apercevoir l'action des gouvernants. Cependant le mot « liberté » de la phraséologie moderne ne lui convient aucunement, car la paix serait promptement détruite si l'on abandonnait les jeunes générations à leur libre arbitre. Ici le langage est imposé par la nature des choses: le vrai nom est « coaction paternelle » (1, 2).

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LA RÉVOLTE CONTRE LA

CONSTITUTION

ESSENTIELLE CHEZ LES

FAMILLES AGGLOMÉRÉES DE L'OCCIDENT.

Les grandes nations de l'Occident ont, en quelque sorte, perdu la notion suprême de la paix sociale : j'ai dû, en conséquence, recourir à quelques développements pour rappeler les traits principaux de la constitution qui procura ce grand bienfait à leurs ancêtres. Au contraire, ces mêmes nations ne connaissent que trop l'état de discorde où elles sont plongées; et elles sont ainsi préparées à comprendre une mention sommaire des causes qui ont amené cette triste situation.

L'histoire du mal date de la fin du moyen âge. A cette époque, deux causes principales commencèrent à ébranler l'ordre social, qui jusque-là avait été si solidement fondé sur la constitution essentielle. Le sol, presque partout défriché, ne fournissait plus des moyens d'établissement aux nombreux rejetons des familles rurales. Ceux-ci, puis leurs descendants, furent donc obligés de s'agglomérer dans les villes. Ils demandèrent leur subsistance à l'industrie manufacturière, servie par le commerce maritime; et, malheureusement, on ne tarda pas à constater que les populations vivant ainsi du travail de leurs bras,

sans l'aide des forces productives de la nature, avaient une existence moins assurée que ne l'avait été celle de leurs aïeux. D'un autre côté, les clergés, abusant des richesses qui avaient été le fruit des grands services rendus pendant neuf siècles par l'Église, tombèrent dans une corruption qui resta trop longtemps irrémédiable1. La discorde fut déchaînée dans le monde des âmes; et, pendant deux siècles, les guerres religieuses désolèrent l'Occident. Depuis lors une paix, en quelque sorte matérielle, a mis fin aux calamités les plus apparentes; mais des divisions profondes continuent à séparer les esprits. Les guerres internationales restent, comme dans le passé, la manifestation violente de la lutte éternelle du bien et du mal; mais les périodes de paix deviennent plus rares, et elles n'apportent plus le repos réparateur que les populations y trouvaient autrefois. Cet état de guerre sociale, qui persiste en chaque lieu, au milieu de la paix des nations, est devenu le fléau des constitutions sociales de l'Occident; et il prend chaque jour un caractère plus dangereux, sous les influences matérielles et morales que j'ai souvent signalées dans les cinq derniers tomes des Ouvriers européens.

La souffrance matérielle a pour origine principale les

1. « Saint Bernard, » dit Bossuet, « a gémi toute sa vie des maux de l'Église. Il n'a cessé d'en avertir les peuples, le clergé, les évêques, les papes même... L'Église romaine qui, durant neuf siècles entiers, en observant avec une exactitude exemplaire la discipline ecclésiastique, la maintenait de toute sa force par tout l'univers, n'était pas exempte de mal; et, dès le concile de Vienne, un grand évêque, chargé par le pape de préparer les matières qui devaient y être traitées, disait qu'il fallait réformer l'Église dans le chef et dans les membres. Le grand schisme, arrivé un peu après, mit plus que jamais cette parole à la bouche, non seulement des docteurs particuliers, d'un Gerson, d'un Pierre d'Ailli, des autres grands hommes de ce temps-là, mais encore des conciles.» (BossUET : Histoire des variations, p. 30; Œuvres complètes, t. XIX; Paris, 1846.)

innovations qui, en transformant les régimes manufacturiers du moyen âge, ont enlevé aux populations la sécurité relative qui leur était donnée par ce régime et qui reste leur premier besoin. Cette sécurité fut rarement compromise jusqu'à la fin du siècle dernier, sous les trois organisations du travail (Iv, 9), qui se superposèrent peu à peu, et qui n'ont point tout à fait disparu sous les régimes nouveaux de l'Occident. Depuis le moyen âge, les corporations d'arts et métiers pourvoyaient assez bien à leur propre bien-être. Depuis la renaissance, les propriétaires des grandes usines hydrauliques, des mines et des forêts étendaient aux ouvriers de ces usines le patronage que la coutume leur imposait pour les ouvriers agriculteurs. Enfin, à partir du xvIIe siècle, les particuliers et les compagnies qui fondèrent les grandes manufactures avec les encouragements des souverains se croyaient également tenus de remplir les devoirs du patronage. Au contraire, on ne saurait trop le redire, les erreurs du Contrat social (VI, 6) ont donné, depuis 1762, une impulsion différente aux idées, aux mœurs et aux institutions. La diffusion de ces erreurs a coïncidé avec l'invention de la machine à vapeur, qui remplace l'effort des bras, avec celle de la machine à filer et des autres engins mécaniques qui rendent inutile l'adresse des mains, enfin, avec l'ensemble des nouveautés qui concentrent sur les bassins carbonifères de l'Occident certains travaux manufacturiers. Les effets de cette révolution s'aggravent rapidement, à mesure que les chemins de fer et les bateaux à vapeur s'établissent pour transporter, jusqu'au bout du monde, les hommes, les idées et les produits des agglomérations urbaines, manufacturières et commerciales de l'Occident. Sous la pression de ces nouveautés, les ouvriers restent de plus en plus exposés sans protection aux souffrances émanant des transfor

mations brusques, dont l'effet est souvent aggravé par les calamités publiques et par l'imprévoyance des populations. On s'explique ainsi que l'antagonisme social croisse, dans l'esprit des sociétés nouvelles, plus rapidement encore que les agglomérations d'hommes, sur les bassins houillers.

La souffrance morale provient d'une cause moins compliquée et plus redoutable : c'est la corruption des mœurs et des idées qui, dans tous les temps, a provoqué la décadence, puis souvent la ruine des nations. Toutefois le mal actuel présente un caractère particulier : il réside dans les idées plus que dans les mœurs, dans l'erreur plus que dans le vice. C'était le contraire dans l'antiquité. Babylone, Ninive et Sodome périrent surtout par le débordement des appétits sensuels; et ce même caractère du mal apparaît, dans notre histoire, au début des deux époques de décadence qui correspondent, l'une, aux règnes des derniers Valois, l'autre, aux règnes de Louis XIV et de ses successeurs immédiats. Mais si l'origine du mal fut la même aux deux époques, les moyens de réforme et surtout les résultats ont été très différents. Ce contraste peut être décrit en termes sommaires : il démontre que l'erreur, alors même qu'elle est propagée avec de bonnes intentions, peut devenir plus funeste que le vice. Au surplus, si je m'attache à ce détail de l'histoire moderne de la France, c'est qu'il abonde en faits utiles à l'étude des constitutions sociales. Aucun pays n'a fait à ce sujet autant d'expériences aucun ne fournit donc, en cette matière délicate, autant de lumières sur la distinction du bien et du mal.

La corruption des mœurs qui signala l'époque des derniers Valois eut pour origine les germes pernicieux importés par les armées de Charles VIII et de Louis XII, qui avaient séjourné en Italie Ces germes grandirent à

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