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COMMENT LES ERREURS TOUCHANT L'ÉGALITÉ, LA LIBERTÉ ET LE DROIT DE RÉVOLTE DÉSORGANISENT LES RAPPORTS SOCIAUX ET REJETTENT SUR LES OUVRIERS LE POIDS DE LA SOUFFRANCE.

J'ai souvent indiqué, dans cet ouvrage, pourquoi la croyance à la perfection originelle de l'enfant et aux trois faux dogmes de 1789 fait naître la discorde au sein des familles et des sociétés envahies par ces erreurs. Je n'ai donc ici qu'à résumer sommairement ces nombreux détails.

y

L'erreur fondamentale et ses trois conséquences logiques n'ont été complètement repoussées jusqu'à ce jour que dans quatre oasis de vertu (Iv, 8) et dans l'empire ottoman. A partir de 1830, elles ont envahi les autres régions de l'Europe, à mesure que les chemins de fer ont pénétré. Cette invasion est survenue au milieu de circonstances sans précédents. Elle a introduit tout à coup les nouveautés de l'Occident, au milieu des populations patriarcales, à idées simples, avec une exagération qui ne s'est guère produite en Angleterre, en Néerlande, dans la plaine saxonne et même en France, au sein de sociétés où régnaient depuis longtemps la complication des idées et les débordements du luxe. Dans la transformation qui est accomplie en Europe par les nouveaux véhicules des hommes, des choses et de la pensée, la désorganisation Sociale est d'autant plus profonde que la transition du bien au mal est plus brusque et moins attendue. Ainsi, parmi les races qui conservaient le mieux, en Russie, la foi naïve des anciens âges, les novateurs les plus écoutés sont ceux qui admettent l'erreur fondamentale comme l'expression de la vérité absolue et qui en induisent, avec une impi

toyable logique, les conclusions fausses qui doivent nécessairement en découler (II, In, 7). Élevés à l'école du naturalisme allemand', ces novateurs professent que l'homme possède en naissant la perfection originelle propre à l'animal; que dans toute société d'hommes, comme dans celles des animaux sociables, l'individu trouve en luimême toutes les aptitudes nécessaires pour conquérir, dans le libre contact avec la nature, la jouissance de sa vraie destinée; qu'en conséquence la réforme n'a « rien » à conserver parmi les institutions traditionnelles qui, chez toutes les races, ont réglé les rapports de l'homme avec Dieu et avec ses semblables. Il convient de signaler l'existence de cette doctrine pour montrer la désorganisation intellectuelle que peut amener une erreur préconçue préchée au mépris de l'évidence, et démontrée en outre par la méthode d'observation; aussi n'y a-t-il pas lieu de la réfuter autrement que par la mention de cette évidence. Ses adeptes, d'ailleurs, se sont mis à l'abri de toute réfutation en déclarant qu'ils considèrent comme non avenue toute critique ayant pour bases non seulement la tradition de l'humanité, mais encore la moralité, l'utilité et la raison! Les adeptes du « nihilisme » se réfuteront eux-mêmes s'ils tentent jamais de créer une société d'hommes fondée sur leur principe.

Les deux autres classes de réformateurs contemporains ne donnent point dans ces exagérations. Ils s'adressent, en Occident, à des populations moins naïves que les disciples des «< nihilistes ». Ils se recrutent non seulement

4. Ceux de mes concitoyens qui ne connaissent pas la langue allemande pourront prendre une idée de cette doctrine en lisant l'ouvrage dont la traduction française a pour titre : Force et Matière, études d'histoire et de philosophie naturelle, par Louis Buchner, docteur en médecine; Paris, 4 vol. in-8°, 1865, C. Reinwald. Ils en trouveront les principales conclusions pratiques exprimées aux pages 257, 265 et 266.

parmi les lettrés que forment les universités, mais encore parmi les hommes qui ont acquis une certaine expérience de la vie dans les manœuvres compliquées de la politique, dans le rude travail du barreau ou dans les opérations lucratives du commerce (Iv, 10). Les plus influents se rattachent à la doctrine de « l'évolutionnisme ». Ils ne se mettent guère ostensiblement sous le drapeau de l'erreur fondamentale. Celle-ci existe toutefois à l'état latent dans tous leurs écrits, et elle apparaît souvent au lecteur attentif à travers une foule d'affirmations, qui ne sauraient être justifiées que dans le cas où la légitimité de cette croyance préconçue aurait été d'abord démontrée. La doctrine ne fait point table rase de toutes les institutions traditionnelles; elle n'est, à première vue, ni révolutionnaire, ni même passionnée pour la réforme; mais, au fond, elle tend à une transformation radicale des sociétés actuelles. Ainsi, en ce qui touche les religions établies, les évolutionnistes modérés laissent entrevoir qu'ils pourraient en créer une meilleure, et se passer de Dieu, en s'appuyant sur « la science ». Leur propagande a pour moyen principal, soit la négation des égalités ou des libertés nécessaires, soit la condamnation des inégalités ou des contraintes légitimes. Elle aboutit, en général, à briser les rapports qui unissaient précédemment les hommes; en sorte que le résultat définitif de cet enseignement serait le règne universel de la discorde1. En principe, l'évolu tionnisme ne réclame pas le droit de révolte; et, sous ce rapport, il n'excite pas les mêmes inquiétudes que la doctrine complète de 1789. En réalité, il n'est pas moins

4. Les caractères que je viens d'indiquer peuvent être observés dans les écrits de M. Herbert Spencer, l'un des plus habiles écrivains de l'évolutionnisme. Pour apercevoir le danger de cette doctrine, il faut lire avec beaucoup d'attention la traduction suivante d'un livre de cet auteur: L'Introduction à la science sociale; 1 vol. in-8°, 4875; Paris, Germer-Baillière.

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dangereux, parce qu'il a pour objet essentiel la propagation lente des deux autres faux dogmes de cette époque. Cet enseignement fausse les notions légitimes de liberté et d'égalité établies par la tradition de toutes les races prospères. Il brise les liens sociaux les plus nécessaires, en lésorganisant les foyers domestiques et les ateliers de travail. Ce désordre se développe surtout dans les agglomérations d'hommes contiguës aux bassins houillers de l'Angleterre et de la France. Il expose les ouvriers à des souffrances qui étaient inconnues sous les anciens régimes européens.

En Angleterre, les idées et les mœurs ont exagéré, dans les ateliers de travail, l'application du principe de liberté. L'ouvrier imprévoyant ou peu habile souffre parce que le maître a été libéré des contraintes morales qui obligeaient l'ancien patron à garantir le bien-être de ceux qu'il avait une fois attachés à sa fortune (3). L'ouvrier habile et prévoyant conserve d'ailleurs la liberté fondamentale des pères de famille : il peut instituer un héritier (2) et s'assurer ainsi à lui-même, à l'heure de la mort, la satisfaction inexprimable de penser qu'il a fait ce qui dépendait de lui pour perpétuer, chez ses descendants, la connaissance de la loi morale et la jouissance du pain quotidien. L'inconvénient de la liberté accordée au maître, contrairement aux principes du Décalogue, a d'ailleurs été compensé par un avantage accordé à l'ouvrier. L'hypothèque légale qui, depuis 1601, grève la propriété foncière du riche pour assurer au pauvre son pain quotidien a été perfectionnée dans son application par l'établissement d'une nouvelle circonscription administrative, celle des « Unions de paroisses» (III, VI, 19).

En France, des lois écrites, contraires à la tradition des peuples prospères, ont exagéré, dans le régime du travail

comme dans la constitution de la famille, l'application du principe d'égalité. L'ouvrier imprévoyant souffre parce que le maître, déclaré l'égal de son serviteur, est dispensé envers lui de tout devoir moral d'assistance et de protection. L'ouvrier prévoyant souffre plus encore comme père de famille. La loi immorale et l'opinion égarée, qui proclament l'égalité des enfants devant l'héritage, lui enlèvent le pouvoir d'assurer l'avenir de ses enfants par la constitution d'un héritier. Ce régime disperse improductivement, à la mort du père de famille, les fruits de son dévouement (V, vi, 18). Il perpétue l'inégalité des conditions et il détruit les coutumes qui, dans l'ancienne France, permettaient aux classes inférieures de s'élever, par le talent et la vertu, aux premiers rangs de la société1. Les larges compensations fournies aux ouvriers par la charité publique et privée ne sont pas sans inconvénients: elles communiquent au corps social une vie factice qui est un nouveau moyen d'y maintenir l'inégalité. Les riches, groupés dans les villes, s'honorent assurément par les largesses que signale la presse périodique; mais ils donneraient un meilleur exemple, s'ils résidaient sur leur domaine, et

4. Voici, entre mille autres, un exemple de cette élévation lente des familles: « Ces Bissy s'appellent Thiard, sont de Bourgogne, ont été petits juges, puis conseillers aux présidiaux du Mâconnois et du Charolois, devinrent lieutenants généraux de ces petites juridictions, acquirent Bissy, qui n'étoit rien, dont peu à peu ils firent une petite terre, et l'accrurent après que leur petite fortune les eût portés dans les parlements de Dijon et de Dôle, où ils furent conseillers, puis présidents, et ont eu enfin un premier président en celui de Dôle. Leur belle date est leur Pontus Thiard, né à Bissy en 4524, qui se rendit célèbre par les lettres, et dont le père étoit lieutenant général de ces justices subalternes aux bailliages du Mâconnois et du Charolois. C'étoit au temps où les savants, ranimés par François Ier, brilloient. Celui-ci étoit le premier poëte latin de son temps, et en commerce avec tous les illustres. Cela lui valut l'évêché de Châlon-sur-Saône, qu'il fit passer à son neveu. Ce premier président du parlement de Dôle, dont les enfants quittèrent la robe, étoit le grand-père du vieux Bissy, père du cardinal. » (DUC DE SAINT-SIMON: Mémoires, t. XII.)

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