صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

la catastrophe; et, à cet effet, elles étendent jusqu'aux moindres localités l'action répressive des pouvoirs publics. Toutefois, les tribunaux, la police et la force armée n'ont point assurément la vertu de guérir l'antagonisme social: par leur institution même, ils en révèlent tout au plus l'existence et les dangers. Leur rôle se réduit au fond à organiser pacifiquement les manifestations de ce mal. Mais, sous ces apparences de paix, se cachent des luttes lamentables. Dans le foyer et l'atelier, la discorde se fait jour par l'entente sourde des serviteurs avec les ennemis ou les concurrents que le maître peut avoir au dehors, par des habitudes d'infidélité qui dégradent les caractères, et surtout par l'instabilité dans les engagements réciproques sur lesquels repose le régime du travail et de la vie domestique. Au premier aperçu, les frottements qui accompagnent ces petites calamités semblent moins graves que les chocs violents des dissensions civiles; mais, en raison de leur continuité dans la vie journalière, ils troublent plus profondément le bonheur des familles. Ces souffrances intimes deviennent la préoccupation constante des intéressés. Elles paralysent singulièrement les forces qui, chez les races prospères, s'appliquent aux intérêts privés du voisinage et aux intérêts généraux de la nation. Quand on étudie ces souffrances dans leurs détails, selon la méthode exposée dans cet ouvrage, on en voit tout d'abord les caractères pernicieux. On est tout étonné d'apprendre que pour désigner ces détails, dans la vie usuelle des foyers et des ateliers, il se crée un langage spécial, qui se montre déjà ouver

4. « Le pouvoir, dans toute société, se partage entre la famille et l'État. entre la religion et le gouvernement; quand il en manque d'un côté, il en faut davantage de l'autre. » (DE BONALD: Pensées sur divers sujets, tome VI des QEuvres.)

tement à notre époque (VI, IX, 19), mais dont on ne retrouve pas la trace aux époques de paix sociale. Au surplus, les sociétés de l'Occident seraient sans excuse si elles s'abandonnaient plus longtemps aux illusions qu'un calme trompeur entretient chez les gouvernants et les riches. Les événements de 1830, de 1848 et de 1871 ont montré que chacun des édifices sociaux de cette région supporte déjà bien difficilement le contre-coup des ébranlements venus du dehors. Tout indique que ces avertissements redoutables se multiplieraient à de plus courts intervalles, si l'oeuvre de restauration n'était pas prochainement entreprise

On ne saurait dire que ces avertissements aient été inutiles. Les classes dirigeantes ne font pas encore tout leur devoir, mais la bonne volonté ne manque plus. Beaucoup d'hommes voient le mal: ils s'efforcent d'y porter remède; et la guérison serait déjà commencée, si la discorde déchaînée par l'erreur fondamentale de 1762 (v, 4), puis par onze révolutions violentes, ne troublait pas les esprits, et si la connaissance de la vérité éternelle (Vl, In. 2) était aussi commune que le dévouement. Je n'ignore pas que, dans l'Occident et surtout en France, les hommes livrés aux luttes de la politique attribuent généralement la persistance du mal à la corruption ou à la perfidie de leurs rivaux. Toutefois, en me tenant plus que jamais en dehors de ces luttes, et en ouvrant chaque jour ma maison aux hommes de tous les partis, je m'assure que ces accusations réciproques sont rarement fondées. Je vois de plus en plus que les principaux obstacles opposés à la guérison sont les idées fausses que les deux grandes catégories de gens de bien, les hommes de tradition et les hommes de nouveauté, ont conçues touchant la nature du remède. Les hommes de tradition sont souvent exclusifs dans

leurs opinions et peu judicieux dans leur conduite. Ébranlés à leur insu par l'instabilité des régimes qui se succèdent depuis 1789, ils tombent parfois dans l'erreur. Ils ne connaissent plus les anciennes coutumes qui assuraient la paix sociale aux grandes époques de prospérité; et, s'ils se montrent attachés au passé, c'est par esprit de système plus que par une conviction raisonnée'. Ils ne s'appliquent point assez à l'étude de ces époques prospères, d'abord pour s'éclairer eux-mêmes, puis pour dissiper les préjugés, qui se perpétuent avec les mauvais souvenirs qu'a laissés l'ancien régime en décadence. Enfin, ils ne s'adonnent pas davantage à l'observation des grands empires qui, en conservant les institutions traditionnelles de l'Europe, ont acquis la prépondérance que l'Espagne et la France possédèrent autrefois. Ils ne s'inquiètent même pas de nous apprendre comment les races prospères de notre temps concilient la soumission aux vieux principes avec les nouveautés utiles survenues, depuis un siècle, dans la nature des lieux, la condition des hommes, l'organisation des travaux et les moyens de subsistance. En résumé, les hommes de tradition, confiants dans l'excellence de leurs principes, se bornent à les rappeler, par des affirmations stériles, au milieu des débats journaliers de la politique. Ils laissent à la nation égarée le soin de remonter, par ses propres efforts, aux vérités éternelles, bien que celles-ci soient combattues sans relâche par une foule de talents et d'activités.

Les hommes de nouveauté se chargent souvent de diriger ce combat. Ils ne se montrent, ni moins convaincus, ni moins exclusifs que leurs rivaux. Quand ils ne sont

4. « Une institution n'est pas bonne parce qu'elle est ancienne; mais elle est ancienne, lorsque et parce qu'elle est bonne. » (DE BONALD: Observations sur l'ouvrage de Mme de Staël: Considérations sur la révolution française.)

pas complètement dans l'erreur, ils sont plus éloignés de la vérité, mais ils apportent à leur propagande plus d'habileté et d'ardeur. Ceux qui, depuis un siècle, jouent un rôle prépondérant, ne sont pas seulement impuissants à conserver les vérités nécessaires : ils faussent les idées, les mœurs et les institutions, en exaltant les préceptes du Contrat social (v, 4) et les trois dogmes de la révolution. A mesure que les fondements de la vie privée s'ébranlent et que les vieux usages se perdent dans les foyers, les ateliers ou les voisinages, les novateurs trouvent moins de résistance et deviennent plus entreprenants. Frappés des changements utiles qui s'y accomplissent chaque jour dans l'ordre matériel, grâce à une succession rapide d'inventions ingénieuses, ils se laissent aller à une fausse assimilation. Ils se persuadent que des transformations correspondantes doivent se produire, en ce qui touche l'ordre moral, dans certains éléments immuables de la nature humaine. Autant vaudrait-il prétendre que la modification du vêtement doit impliquer la transformation de l'estomac. Au milieu de ce mouvement, qui est appelé « le progrès », et qui émane en partie du funeste empire de la mode1, les Français devancent les autres Européens; mais, en même temps, ils les corrompent par l'enseignement des erreurs, qui sont les préludes de la ruine des nations'. Selon l'enseignement journalier des novateurs, le génie de l'homme ne se bornera pas à créer les sciences physiques,

1. « Platon, en ses lois, n'estime peste au monde plus dommageable à sa cité que de laisser prendre liberté à la ieunesse de changer en accoustrements, en gestes, en danses, en exercices et en chansons, d'une forme à une autre. »> (MONTAIGNE: Essais, livre I, ch. XLIII.)

:

2. « Il y a grand doubte s'il se peult trouver si évident proufit au changement d'une loy receue, telle qu'elle soit, qu'il y a de mal à la remuer d'autant qu'une police, c'est comme un bastiment de diverses pieces joinctes ensemble d'une telle liaison qu'il est impossible d'en esbranler une, que tout le corps ne s'en sente. » (MONTAIGNE: Essais, liv. I, ch. xxii )

"

qui agglomèrent si aisément les familles sur un lieu donné, en y décuplant les moyens de subsistance. Il se montrera plus fécond encore, en ce qui concerne les autres éléments du bonheur. Chacun a donc le devoir de contribuer à l'invention de «< la science sociale », qui procurera aux hommes le moyen de conquérir, dès la présente vie, tous les biens et en première ligne la paix et la stabilité'. Lorsqu'ils sont décidément engagés dans cette voie, les esprits ne peuvent être contenus par aucun frein; et ils deviennent enclins à tout oser. C'est en vain qu'on tenterait de les arrêter sur cette pente dangereuse en faisant appel aux écrits des sages, aux faits contemporains et à l'expérience universelle: ils ne veulent, ni lire, ni voir, ni écouter. En repoussant ces objections, ils s'inspirent surtout de leur idée préconçue. Tous sont d'ailleurs plus ou moins animés par le mépris, la haine et la méfiance, parce qu'ils attribuent aux hommes de tradition un esprit de routine, des intentions perfides et des arrière-pensées. Ceux qui passent de l'invention aux actes ne sont point découragés par l'insuccès persistant de leurs efforts. Au contraire, chaque nouvel échec développe en eux l'esprit de violence et les irrite davantage contre les idées qu'affectionnent les peuples prospères. C'est ainsi que l'indolence des hommes de tradition et le zèle des hommes de nouveauté étend chaque jour le règne de la souffrance parmi les sociétés de l'Occident.

1. « L'esprit d'innovation est en général le résultat combiné de vues intéressées et de vues bornées. Ceux qui ne tiennent aucun compte de leurs ancêtres en tiendront bien peu de leur postérité. » (BURKE : Réflexions sur la révolution de France, traduit sur la 5 édition; Paris, sans date, p. 65.)

2. << Tenez-vous sur les voies, considérez et demandez quels sont les anciens sentiers, pour connaître la bonne voie, et marchez-y; et vous trouverez le rafralchissement de vos âmes. Mais ils m'ont répondu Nous n'y marcherons point. (JÉRÉMIE VI, 16.)

« السابقةمتابعة »