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II

SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT BLAISE

SUR LE MYSTÈRE

DE LA PURIFICATION ET LE RENONCEMENT ÉVANGÉLIQUE

8 février 1614(1)

Nous celebrons aujourd'huy la feste du glorieux Martyr saint Blaise, et en cette maison l'on fait l'octave de la Purification de Nostre Dame. Il y a une telle conformité entre les Evangiles de ces deux festes, que j'ay bien voulu des deux en tirer la petite exhortation que je m'en vay faire. Nous trouvons en celuy d'aujourd'huy* * Matt., xvI, 24-27. que Nostre Seigneur dit ces trois mots auxquels sont comprises toute la doctrine et perfection chrestienne : Qui voudra venir apres moy, qu'il renonce à soy mesme, prenne sa croix et qu'il me suive. Mais expliquons un peu que signifie renoncer à soy mesme. Cela est autant à dire que se purifier ou purger soy mesme.

(1) La première phrase de ce sermon démontre qu'il a été prononcé une année en laquelle, par l'occurrence d'une solennité de rite supérieur, la fête de saint Blaise avait été transférée au jour où se faisaient les premières Vêpres de l'octave, ou l'octave même de la Purification. Or, c'est précisément ce qui eut lieu en 1613 et en 1614; mais plusieurs circonstances rapportées dans les Annales du 1er Monastère d'Annecy prouvent en faveur de cette dernière date.

Le lecteur s'étonnera peut-être de trouver la phrase sur laquelle nous nous appuyons en contradiction avec cette autre proposition énoncée plus tard par saint François de Sales dans l'Entretien De la Modestie : « La feste de la « Purification, je vous l'ay desja dit une fois, n'a point d'octave. » Pour concilier cette opposition, il faut se rappeler que cette octave, alors abolie pour le clergé, s'était faite de longues années dans le diocèse de Genève (un missel imprimé en 1499 la mentionne encore). Peut-être est-ce en souvenir de cet antique usage qu'elle fut, au début, introduite à la Visitation; toutefois on ne l'y conserva pas longtemps, car elle n'est pas prescrite dans la première édition du Coutumier imprimée en 1618.

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Nostre Dame nous en monstre un exemple admirable, car l'Evangeliste* dit que les jours estans venus ou passés de sa purification, selon la Loy de Moyse, elle vint au Temple pour offrir son Fils avec deux colombes ou tourterelles. Or, nostre chere Dame et Maistresse n'avoit point besoin de purification, elle qui estoit plus belle que le soleil, plus pure que la lune et plus admirable que l'aurore*. Mais comme en eust-elle eu besoin, veu qu'elle avoit produit son Fils plus purement que ne fait l'estoille son rayon, rayon qui rend l'estoille d'autant plus belle à nos yeux qu'elle le produit plus frequemment ? Elle vient donques, nostre sacrée Maistresse, non pour se purifier en elle mesme, ains seulement en l'imagination de plusieurs qui, ne sçachans pas qu'elle estoit exempte d'observer la Loy, eussent murmuré dequoy elle ne l'observoit pas.

Elle n'eut non plus besoin de purification dès cette heure là; mais nous autres, il est tres necessaire que nous sçachions cette verité, qui est que tant que nous serons en cette miserable vie nous aurons tousjours besoin de nous purifier et de renoncer à nous mesme, et cette vie ne nous est donnée pour autre fin. C'est un abus de croire pouvoir arriver à ce point de perfection de n'avoir plus rien à faire, car nostre amour propre va tousjours produisant quelques rejetons d'imperfection qu'il faut retrancher. Il se sert de nos sens, et il est si malicieux que dès que nous luy ostons le pouvoir de faire ses operations en celuy de la veüe, il se saisit de celuy de l'ouÿe, et ainsy des autres; bref, nous sommes au temps qu'il faut travailler.

Voyons un peu maintenant que veut dire Nostre Seigneur par cette parole: Qui veut venir apres moy, qu'il renonce à soy mesme. Nous avons deux nous mesmes, et avons desja veu que renoncer à soy mesme c'est se purifier soy mesme. Or, quel est ce nous mesme qu'il faut purifier, puisque nous en avons deux, lesquels neanmoins ne font qu'une seule personne? Nous avons un nous mesme qui est tout celeste *, lequel nous fait faire les bonnes œuvres; c'est cet instinct que Dieu nous

a donné pour l'aymer et pour aspirer à la jouissance de la Divinité en la gloire eternelle. Mais nous avons un autre nous mesme, et c'est celuy auquel il faut renoncer; ce sont nos passions, nos mauvaises inclinations, nos affections depravées, et pour dire en un mot, cet amour propre duquel nous avons desja parlé.

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Cf. S. Hieron., in Matt., xix, 28.

Il ne se faut point tromper, pensant pouvoir aller apres Nostre Seigneur sans renoncer tout à fait et sans reserve à ce nous mesme, car non seulement Nostre Dame nous a baillé exemple de le faire, mais le Sauveur mesme nous l'a enseigné en sa Mort et Passion, renonçant à l'inclination qu'il avoit de vivre, pour s'assujettir à la volonté de son Pere, en se rendant obeissant jusques à la mort et à la mort de la croix*; et c'est ainsy Philip., 1, 8. qu'il faut que nous fassions. Je veux dire qu'il faut renoncer à ce mauvais nous mesme pour l'assujettir à l'autre, qui est la rayson et partie superieure de l'ame, qui tend tousjours au vray bien par l'instinct que Dieu luy a donné; car il ne serviroit de rien de renoncer à soy mesme pour en demeurer là; les philosophes. d'autrefois l'ont fait admirablement, mais cela ne leur a de rien servi*. Il faut renoncer à l'homme terrestre pour fortifier le celeste *, et c'est une chose asseurée qu'à mesure que l'un s'affoiblira, l'autre sera renforcé *. C'est assez parler sur ce premier point, puisque nous sommes enseignés que renoncer à soy mesme n'est autre chose que se purifier et se purger de tout ce qui se fait par l'instinct de nostre amour propre, lequel, nous le sçavons, produira tousjours, tandis que nous serons en cette vie, des rejetons qu'il faudra couper et retrancher, tout ainsy qu'il faut faire à la vigne; car il ne se faut pas contenter d'y mettre une fois la main, mais il faut la couper en un temps, puis apres la despouiller de ses feuilles, et ainsy plusieurs fois l'année il faut avoir la main à la serpe pour retrancher les superfluités. Il ne reste rien à adjouster sur ce sujet sinon qu'il faut avoir bon courage pour ne se laisser jamais abattre ni estonner de nos imperfections, puisque tout le temps de nostre vie nous est donné pour nous en desfaire et purger.

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Vide pag. præced. *Cf. II Cor., IV, 16.

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Rom., vi, ult.

Galat., ult., 17.

Passons au second point, qui est qu'il faut prendre sa croix apres que l'on a renoncé à soy mesme. Nostre Seigneur dit que l'on prenne sa croix. Voulez-vous sçavoir en un mot que cela signifie? C'est autant à dire que Prenez et recevez de bon cœur toutes les peines, contradictions, afflictions et mortifications qui vous arriveront en cette vie. Au renoncement de nous mesme nous faisons encor quelque chose qui nous contente, parce que c'est nous mesmes qui agissons, mais icy il faut prendre la croix telle qu'on nous l'impose; et en cecy il y a desja moins de nostre choix, c'est pourquoy c'est un point de perfection de beaucoup plus grand que le precedent. Nostre Seigneur et tres cher Maistre nous a tres bien monstré comme il ne faut pas que nous choisissions la croix, ains qu'il faut que nous la prenions et portions telle qu'elle nous est presentée. Lors qu'il voulut mourir pour nous racheter et pour satisfaire à la volonté de son Pere, il ne choisit point sa croix, ains receut humblement celle que les Juifs luy avoyent preparée.

*

Escoutons un peu son grand Apostre saint Paul, lequel nous asseure que rien ne le separera de son Maistre parce qu'il est marqué de sa marque*, et qu'en quelle part qu'il aille il sera tousjours reconneu pour estre des siens. Mais quelle est cette marque, sinon la souffrance? Il dit de luy mesme qu'il estoit comme un homme à qui l'on donne l'estrapade, car il souffroit en son interieur une peine insupportable, le vehement amour qu'il portoit à son Maistre le tirant puissamment du costé du II Cor., v, 2-8; Ciel par le desir de jouir de luy *. D'autre part, il estoit cruellement travaillé et tourmenté en son corps, car il nous asseure qu'il fut fouetté par trois fois, de sorte que les traces en paroissoyent sur ses espaules; apres, qu'il fut lapidé et que l'on remarquoit encores les coups; puis, qu'il fut submergé, et ainsy des autres * II Cor., XI, 23-27. tourmens qu'il endura *. Tout cela estoit la marque de Nostre Seigneur, par laquelle on le reconnoissoit pour estre des siens.

Philip., 1, 23.

Mais disons un peu, je vous supplie, un abus qui est en l'esprit de plusieurs, à sçavoir, qu'ils n'estiment et

ne veulent porter les croix qu'on leur presente si elles ne sont grosses et pesantes. Par exemple, un Religieux se sousmettroit volontiers à faire des grandes austerités, comme de jeusner, porter la haire, faire des rudes disciplines, et tesmoigneroit de la repugnance à obeir lors qu'on luy commande de ne pas jeusner, ou bien de prendre du repos, et telles choses auxquelles il semble y avoir plus de recreation que de peine. Vous vous trompez si vous croyez qu'il y ait moins de vertu à vous sousmettre en cela, car le merite de la croix n'est pas en sa pesanteur, ains en la façon avec laquelle on la porte. Je diray bien davantage : il y a quelquefois plus de vertu à porter une croix de paille que non pas une croix bien pesante, parce qu'il faut plus appliquer son attention, de crainte de la perdre. Je veux dire qu'il peut y avoir plus de vertu à retenir une parolle qui nous a esté defendue par nos Superieurs, ou bien à ne pas lever la veüe pour regarder quelque chose que l'on a bien envie de voir, que non pas de porter la haire, parce que dès qu'on l'a sur le dos il n'est plus besoin d'y penser; mais en ces menues obeissances il faut avoir une grande attention pour n'y pas faillir.

(1) Nous voyons donques assez que cette parolle de Nostre Seigneur qui ordonne qu'on prenne sa croix, se doit entendre de recevoir de bon cœur les contradictions et mortifications qui nous sont faites à tous rencontres, bien qu'elles soyent legeres et de peu d'importance. Je m'en vay vous donner un exemple admirable pour vous faire comprendre la valeur de ces petites croix, c'est à dire d'obeissance, condescendance et souplesse à suivre la volonté d'un chacun, mais specialement des Superieures. Sainte Gertrude fut faite Religieuse en un monastere où il y avoit une Abbesse ou Superieure laquelle reconnoissoit fort bien que la bienheureuse

(1) Cet alinéa ayant été inséré dans l'Entretien De la Volonté de Dieu, aucun des précédents éditeurs ne l'a réintégré dans le Sermon pour la fête de saint Blaise dont il a été extrait, ce que, suivant en cela les Manuscrits primitifs, nous nous croyons en devoir de faire. (Voir ci-devant, p. 13, note (1), et au tome VI de cette Edition, la p. 273, et la Table de correspondance.)

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