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XXVII

SERMON DE PROFESSION

POUR LA FÊTE DE SAINT AMBROISE

7 décembre 1619 (1)

( INÉDIT)

Matt., v, 3-13.

Nostre Seigneur ayant enseigné à ses Apostres la perfection de la loy evangelique, disant: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, bienheureux les debonnaires, bienheureux ceux qui pleurent, et la suite, il adjousta Vous estes le sel de la terre *; ce que l'on attribue non seulement aux Apostres, mais aussi à tous leurs successeurs, tel que fut le grand saint Ambroise duquel la sainte Eglise celebre aujourd'huy la feste. Cette mesme louange se peut donner aux Religieux et Religieuses, non comme estans successeurs immediats des Apostres quant à l'office, car tous ne preschent pas, mais ouy bien quant à la maniere de servir Dieu, en la pretention de suivre ses conseils et ses volontés, à fin de tascher d'acquerir la perfection.

Nostre Seigneur dit donques à tous les hommes apostoliques et aux Religieux et Religieuses: Vous estes le sel de la terre. Cecy ne se doit pas entendre materiellement ains spirituellement; et pour vous le mieux faire comprendre je considere trois qualités du sel, sur lesquelles nous nous arresterons principalement. La premiere est que le sel est composé de feu, et si neanmoins il esteint le feu; la seconde, qu'il donne goust et saveur

(1) Profession des Sœurs Marie-Françoise Bellet et Marie-Aimée de Sacconex. Cf. les notes pp. 170, 202.

à la viande; et la troisiesme, qu'il preserve de corruption et putrefaction la chair, le poisson et autres choses qui ne peuvent estre bonnement gardées sans estre salées. Cela estant donques ainsy, je ne m'arresteray pas à la premiere proprietė, car l'experience s'en fait journellement. Que le sel soit composé de feu, et qu'il esteigne neanmoins le feu, faites-en l'espreuve. Si vous en mettez un grain sur vostre langue, tout incontinent vous sentirez qu'il brusle, comme le poivre ou autres espiceries fortes; au contraire, jettez-en quelques grains dans le feu et vous verrez l'effect: s'il y a du feu à la cheminée vous le verrez tomber et s'esteindre. De mesme, si le feu du Saint Esprit, l'amour de Dieu, touche une ame et la choisit pour y faire sa demeure, vous appercevrez tout aussi tost que l'amour terrestre, caduc et perissable commencera à s'esteindre, à mourir et perir, en fin à luy quitter la place.

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Remarquez donques, je vous prie, combien il est vray que les Religieux et Religieuses sont le sel de la terre (s'entend pourveu qu'ils soyent bons Religieux), puisqu'ils ont cette premiere condition du sel. Car qui ne voit que non seulement ils ont esté touchés, mais esclairés et enflammés du feu du Saint Esprit, en sorte qu'ils n'ont autre attention que d'exterminer et aneantir l'amour charnel et perissable *? Qu'est-ce, je vous supplie, qui Cf. Rom., VIII, 13. auroit peu esteindre le feu de la convoitise des richesses ou des honneurs, que les Religieux et Religieuses renoncent pour jamais en faisant le vœu de pauvreté, s'ils n'eussent esté touchés de cette flamme sacrée et tres aymable de l'amour de Dieu, qui les a tirés d'entre le peuple pour les mettre ès lieux où plus à souhait ils. peussent monstrer les effects de son infinie misericorde exercée en leur endroit? O Dieu, qu'ils sont heureux d'avoir donné entrée à ce feu celeste! car tout ainsy que le feu du ciel esteint celuy de la terre, de mesme le feu sacré exterminera et consommera celuy de la concupiscence qui regne et domine en nostre chair. Ils seront à bonne enseigne nommés successeurs du grand Apostre, puisqu'ils pourront veritablement dire Jay reputé

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Philip., 1, 8.

* Lucæ, XII, 49.

toutes choses de ce monde comme ordure, puanteur et en fin comme fumier, pour mieux gaigner Jesus Christ et sa bonne grace *. C'est de ce feu dont Nostre Seigneur parloit lors qu'il dit*: J'ay apporté le feu du Ciel en terre, et que veux-je sinon qu'il brusle? O Dieu, quelle grace d'estre touché de ce feu tres beni, car jamais plus on ne se plaist ès ardeurs qui luy sont contraires. La seconde proprieté du sel c'est qu'il donne goust et saveur aux viandes lesquelles sans iceluy ne sont pas propres à nostre manger, ains meritent plustost d'estre abhorrées et rejettées; car elles sont insipides, sans goust et bonnes plustost à mortifier qu'à consoler et contenter le goust de celuy qui les mange. Or, ce sel qui assaisonne tout ce que nous faisons, c'est la sagesse et discretion. Quelle plus grande sagesse, je vous supplie, que celle des Religieux qui connoissans leur foiblesse pour demeurer dans le monde, emmi les continuelles occasions de se perdre, s'en retirent pour plus à souhait servir Dieu fidellement? Ils ont esté touchés de ce feu du Saint Esprit lequel leur a fait connoistre, par un petit rayon de sa lumiere, qu'ils ont plusieurs maladies spirituelles auxquelles il faut remedier pour ne point tomber au peril de la mort eternelle.

Les Religieux ont esté appellés d'un nom grec qui a deux significations, dont l'une vaut autant à dire que *Vide supra,p.50. remediateur, medecin, remede et medecine *. L'Eglise n'est autre chose qu'un hospital où il y a plusieurs sortes. d'infirmeries pleines de malades; car les pecheurs ne *Cf. supra, p. 217. sont-ce pas des malades *? Mais comme aux hospitaux il y a tousjours quelque infirmerie ou chambre pour les convalescens, de mesme les Religions sont destinées aux ames relevées qui desirent grandement de se rendre quittes des maladies qu'elles ont apportées du monde et que Nostre Seigneur par sa grace leur a fait connoistre. Ces bigearreries, ces propres volontés qui ne se veulent point sousmettre, ces jugemens particuliers, ces intentions impures qui ruinent et gastent toutes nos meilleures actions, ces laschetés et cette negligence d'esprit qui n'a point de cœur pour la pretention de la perfection,

qu'est-ce autre chose que des maladies contractées par nostre ame en la communication que nous avons euë avec le peché ?

Or, les Religieux et Religieuses recherchent la guerison de ces maladies, car si bien ils ne sont pas tenus d'estre parfaits, ils sont neanmoins obligés de tendre à la perfection, puisque en faisant des vœux, nous autres tant ecclesiastiques que Religieux, nous nous obligeons quant et quant de tascher de tout nostre pouvoir d'acquerir la perfection et de vivre selon icelle. C'est en cette façon que tous peuvent estre appellés et estre par consequent dignes successeurs des Apostres; car si bien tous ne preschent pas et n'administrent pas les Sacremens, qui sont les remedes dont se sert la sainte Eglise pour la guerison de ses malades, tous neanmoins peuvent et doivent prescher d'exemple; et cette predication ne sera peut estre pas moins utile que l'autre. Et comme les medecins jugent que le repos et la tranquillité aydent beaucoup à recouvrer plus promptement la santé, de mesme les Religieux se retirent au port de la tranquillité qui est la Religion, pour plus aysement acquerir la santé de leurs ames qui est la sainteté.

L'autre explication ou signification du nom qu'on leur a donné est cultivateur, qui est autant à dire que laboureur *. Certes, c'est à bon droit qu'on leur a donné ce nom, car il est fort conforme à leur office. (1) Qu'est ce que l'office du Religieux sinon de bien cultiver son esprit, pour en desraciner toutes les mauvaises productions que nostre nature depravée fait bourgeonner tous les jours, si qu'il semble qu'il soit tousjours à refaire? Et comme il ne faut pas que les laboureurs se faschent, puisqu'ils ne meritent pas d'estre blasmės, pour n'avoir recueilli une bonne prise, pourveu neanmoins qu'ils ayent eu soin de bien cultiver la terre et de bien ensemencer, de mesme le Religieux ne doit point se fascher s'il ne recueille pas si tost les fruits de la perfection et des

(1) La suite de cet alinéa est insérée dans l'Entretien De la Pretention religieuse. (Voir ci-devant, p. 13, note (1), et au tome VI de cette Edition, la page 375.)

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vertus, pourveu qu'il aye une grande fidelité pour bien. cultiver la terre de son cœur en retranchant ce qu'il apperçoit estre contraire à la perfection à laquelle il est obligé de pretendre, et faisant ce qu'il voit devoir estre fait pour l'acquisition des vertus.

Mais, je vous supplie, considerez un peu la folie des mondains lesquels estans fort malades n'estiment pourtant pas l'estre, ains ils se louent de la meilleure santé du monde, bien que leurs maladies soyent telles qu'ils sont prests à tomber dans la fosse de la mort eternelle. La convoitise de l'honneur brusle les uns, celle de l'avarice les autres, et d'autres le sont par la convoitise des playsirs vilains, brutaux et deshonnestes; cependant ils ne sont point malades! ou du moins ils se vantent de ne l'estre pas. Voyons, je vous prie, en quoy ils constituent leur sagesse. Ils estiment estre sages de conserver ou d'acquerir leur liberté, d'estre maistres de leur volonté ; et qui a plus de cette miserable liberté est consideré comme le plus sage et le plus heureux. De là vient qu'ils tiennent pour malheureux les serviteurs parce qu'ils sont sujets à leurs maistres, et plus encores les esclaves, d'autant qu'ils ne sont pas maistres de leur liberté.

Mais, o Dieu, que leur folie est grande de se vouloir * Ubi supra, p. 95. gouverner eux mesmes! Escoutez le grand saint Bernard* qui demande à l'un de ceux cy: Dis-moy, je te prie, qui est ton maistre ? Je le suis moy mesme. O pauvre miserable, respond-il, tu es « gouverné par un grand fol; » puisque tu es maistre de toy mesme, tu es par consequent disciple d'un sot. Les Religieux ne veulent pas estre si insensés que ceux cy, lesquels le sont d'autant plus qu'ils ne le pensent pas estre, ains s'estiment si sages* qu'ils ne tiennent nul compte des autres hommes, ne les croyant pas mesme capables de leur servir de planche, eu esgard à leur grande sagesse et preudhommie. Les Religieux ayans esté esclairés par le Saint Esprit constituent toute leur sagesse en la tres sainte sousmission, sujetion, humilité et mespris d'eux mesmes, car ils ont fort bien consideré que c'est l'abus de leur liberté qui a fait

Cf. Rom., I, 22.

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