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elles s'étoient vues accablées de toutes sortes de malheurs. La secondé divinité honorée particulièrement chez les Carthaginois, et à qui l'on offroit des victimes humaines, c'est Saturne, connu sous le nom de Moloch dans l'Ecriture; et ce culte avoit passé de Tyr à Carthage. Philon cite un passage de Sanchoniat, où l'on voit que c'étoit une coutume à Tyr que dans les grandes calamités les rois immolassent leurs fils pour apaiser la colère des dieux, et que l'un d'eux, qui l'avoit fait, fut depuis honoré comme un dieu sous le nom de la constellation appelée Saturne: ce qui a sans doute donné occasion à la fable qui dit que Saturne avoit dévoré ses enfans. Les particuliers, quand ils vouloient détourner quelque grand malheur, en usoient de même, et n'étoient pas moins superstitieux que leurs princes; en sorte que ceux qui n'avoient point d'enfans en achetoient des pauvres, pour n'être pas privés du mérite d'un tel sacrifice. Cette coutume se conserva long-temps chez les Phéniciens et les Cananéens, de qui les Israélites l'empruntèrent, quoique Dieu le leur eût défendu bien expressément. On brûloit d'abord inhumainement ces enfans, soit en les jetant au milieu d'un brasier ardent, tel qu'étoient ceux de la vallée d'Ennon, dont il est si souvent parlé dans l'Ecriture; soit en les enfermant dans une statue Plut. de sude Saturne, qui étoit tout enflammée. Pour étouffer les perst. p. 171. cris que poussoient ces malheureuses victimes, on faisoit retentir pendant cette barbare cérémonie le bruit des tambours et des trompettes. Les mères se faisoient un honneur et un point de religion d'assister à ce cruel spectacle l'œil sec et sans pousser aucun gémissement; et s'il leur échappoit quelque larme ou quelque soupir, le sacrifice en étoit moins agréable à la divinité, et elles en perdoient le fruit. Tertul. in Elles portoient la fermeté d'âme, ou plutôt la dureté et Apolog. l'inhumanité, jusqu'à caresser elles mêmes et baiser leurs enfans pour apaiser leurs cris de peur qu'une victime offerte de mauvaise grâce et au milieu des pleurs ne déplût à Saturne: Blanditiis et osculis comprimebant vagitum, Minuc. Fel. ne flebilis hostia immolaretur. Dans la suite, on se contenta

Q. Curt.lib. 4, cap. 5.

tione deor.

de faire passer les enfans à travers le feu, comme cela paroît par plusieurs endroits de l'Ecriture, et très-souvent ils y périssoient.

Les Carthaginois retinrent jusqu'à la ruine de leur ville celte coutume barbare d'offrir à leurs dieux des victimes humaines; action qui méritoit bien plus le nom de sacrilege que de sacrifice sacrilegium veriùs quàm sacrum. Ils la suspendirent seulement pendant quelques années, pour ne pas s'attirer la colère et les armes de Darius Ier, roi de Perse, qui leur fit défendre d'immoler des victimes humaines, et Plut. de se- de manger de la chair de chien. Mais ils revinrent bientôt rá vindica- à leur génie, puisque, du temps de Xerxès, qui succéda à pag. 552. Darius, Gélon, tyran de Syracuse, ayant remporté en Sicile une victoire considérable sur les Carthaginois, parmi les conditions de paix qu'il leur prescrivit, y inséra celle-ci, qu'ils n'immoleroient plus de victimes humaines à Saturne; et sans doute que ce qui l'obligea à prendre cette précaution, fut ce qui avoit été mis en pratique dans cette occasion-là même par les Carthaginois; car pendant tout le combat, qui dura depuis le matin jusqu'au soir, Amilcar, fils d'Hannon leur général, ne cessa point de sacrifier aux dieux des hommes tout vivans, et en grand nombre, en les faisant jeter dans un bûcher ardent ; ' et voyant que ses troupes étoient mises en fuite et en déroute, il s'y précipita lui-même pour ne point survivre à sa honte, et, comme le dit saint Ambroise en rapportant cette action, pour éteindre par son propre sang ce feu sacrilége qu'il voyoit ne lui avoir servi de rien.

Herod. l. 7, cap. 167.

2 Dans des temps de peste ils sacrifioient à leurs dieux un grand nombre d'enfans, sans pitié pour un âge qui excite

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la compassion des ennemis les plus cruels, cherchant un remède à leurs maux dans le crime, et usant de barbarie

pour attendrir les dieux.

Diodore rapporte un exemple de cette cruauté qui fait Lib.2, pag. 756. frémir. Dans le temps qu'Agathocle étoit près de mettre le siége devant Carthage, les habitans de cette ville se voyant réduits à la dernière extrémité, imputèrent leur malheur à la juste colère de Saturne contre eux, parce qu'au lieu des enfans de la première qualité qu'on avoit coutume de lui sacrifier, on avoit mis frauduleusement à leur place des enfans d'esclaves et d'étrangers. Pour réparer cette faute, ils immolèrent à Saturne deux cents enfans des meilleures maisons de Carthage; et outre cela, plus de trois cents citoyens, qui se sentoient coupables de ce prétendu crime, s'offrirent volontairement en sacrifice. Diodore ajoute qu'il y avoit une statue d'airain de Saturne dont les mains étoient penchées vers la terre, de telle sorte que l'enfant qu'on posoit sur ces mains tomboit aussitôt dans une ouverture et une fournaise pleine de feu.

169-171.

Est-ce là, dit Plutarque, adorer les dieux? Est-ce avoir Plut.de sud'eux une idée qui leur fasse beaucoup d'honneur, que de perstit. pag. les supposer avides de carnage, altérés du sang humain, et capables d'exiger et d'agréer de telles victimes? La religion, dit cet auteur sensé, est environnée de deux écueils Id. in Caégalement dangereux à l'homme, également injurieux à mil.pag.152. la Divinité : savoir, de l'impiété et de la superstition. L'une, par affectation d'esprit fort, ne croit rien; l'autre, par une aveugle foiblesse, croit tout. L'impiété, pour secouer un joug et une crainte qui la gêne, nie qu'il y ait des dieux; la superstition, pour calmer aussi ses frayeurs, se forge des dieux selon son caprice, non-seulement amis, mais protecteurs et modèles du crime. Ne valoit-il pas De superstit. mieux, dit-il encore, que Carthage, dès le commencement, prît pour législateurs un Critias, un Diagoras, athées reconnus et se donnant pour tels, que d'adopter une si étrange et si perverse religion? Les Typhons, les géans, ennemis déclarés des dieux, s'ils avoient triomphé du ciel,

auroient-ils pu établir sur la terre des sacrifices plus abominables?

Voilà ce que pensoit un païen du culte carthaginois tel que nous l'avons rapporté. En effet, on ne croiroit pas le genre humain susceptible d'un tel excès de fureur et de frénésie. Les hommes ne portent point communément dans leur propre fonds un renversement si universel de tout ce que la nature a de plus sacré. Immoler, égorger soi-même ses propres enfans, et les jeter de sang-froid dans un brasier ardent! Des sentimens si dénaturés, si barbares, adoptés cependant par des nations entières, et des nations trèspolicées, par les Phéniciens, les Carthaginois, les Gaulois, les Scythes, les Grecs mêmes, et les Romains, et consacrés par une pratique constante de plusieurs siècles, ne peuvent avoir été inspirés que par celui qui a été homicide dès le commencement, et qui ne prend plaisir qu'à la dégradation, à la misère et à la perte de l'homme.

§. III. Forme du gouvernement de Carthage.

Le gouvernement de Carthage étoit fondé sur des principes d'une profonde sagesse ; et ce n'est point sans raison Arist. lib.2, qu'Aristote met cette république au nombre de celles qui de Rep.c.11. étoient les plus estimées dans l'antiquité, et qui pouvoient servir de modèles aux autres. Il appuie d'abord ce sentiment sur une réflexion qui fait beaucoup d'honneur à Carthage, en marquant que, jusqu'à son temps, c'est-àdire depuis plus de cinq cents ans, il n'y avoit eu ni aucune sédition considérable qui en eût troublé le repos, ni aucun tyran qui en eût opprimé la liberté. En effet, c'est un double inconvénient des gouvernemens mixtes, tel qu'étoit celui de Carthage, où le pouvoir est partagé entre le peuple et les grands, de dégénérer ou en abus de la liberté par les séditions du côté du peuple, comme cela étoit ordinaire à Athènes et dans toutes les républiques grecques; ou en oppression de la liberté publique du côté des grands, par la tyrannie, comme cela arriva à Athènes, à Syracuse, à Corinthe, à Thèbes, à Rome même du temps

de Sylla et de César. C'est donc un grand éloge pour Carthage d'avoir su, par la sagesse de ses lois, et par l'heureux concert des différentes parties qui composoient son gouvernement, éviter pendant un si long espace d'années deux écueils si dangereux et si communs.

Il seroit à souhaiter que quelque auteur ancien nous eût laissé une description exacte et suivie des coutumes et des lois de cette fameuse république. Faute de ce secours, on n'en peut avoir qu'une idée assez confuse et imparfaite, en ramassant différens traits qu'on trouve épars dans les auteurs. C'est un service qu'a rendu à la république des lettres Christophe Hendreich. Son ouvrage m'a été d'un grand secours.

Le gouvernement de Carthage réunissoit, comme celui de Sparte et de Rome, trois autorités différentes qui se balançoient l'une l'autre et se prêtoient un mutuel secours : celle des deux magistrats suprêmes, appelés a suffetes; celle du sénat, et celle du peuple. On y ajouta ensuite le tribunal des cent, qui eurent beaucoup de crédit dans la république.

Suffètes.

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Le pouvoir des suffètes ne duroit qu'un an, et ils étoient à Carthage ce que les consuls étoient à Rome. Souvent même les auteurs leur donnent les noms de rois, de dictateurs, de consuls, parce qu'ils en remplissoient l'emploi. L'histoire ne nous apprend point par qui ils étoient choisis. Ils avoient droit et étoient chargés du soin d'assembler le sénat : ils en étoient les présidens et les chefs: y proposoient les affaires et recueilloient les suffrages. 4 Ils présidoient aussi aux jugemens qui se rendoient sur les affaires importantes. Leur autorité n'étoit pas renfer

ils

1 Carthago, sive Carthaginiensium respublica, etc. Francofurti ad Oderam. An 1664.

Ce nom est dérivé d'un mot qui, chez les Hébreux et les Phéniciens, signifie juges : shophetim

gine quotannis aunui bini reges crea-
bantur. Corn. Nep. in Annib. cap. 7.

3 Senatum itaque suffetes, quod
velut consulare imperium apud eos
erat vocaverunt. Liv. lib. 30, n. 7.

Cùm suffetes ad jus dicendum con

2 Ut Romæ consules, sic Cartha- sedissent. Liv. lib. 34, n. 62.

Polyb. lib.

6. pag. 495.

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