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s'y établirent eux-mêmes peu de temps après. De ces habitans ramassés de différens endroits se forma une multitude fort nombreuse. Ceux d'Utique, qui les regardoient comme leurs compatriotes, et comme des gens qui avoient avec eux une origine commune, leur envoyèrent des députés avec de grands présens, et les exhortèrent à construire une ville dans l'endroit même où ils s'étoient d'abord établis Les naturels du pays, par un sentiment d'estime et de considération assez ordinaire pour les étrangers, en firent autant de leur côté. Ainsi, tout concourant aux vues de Didon, elle bâtit sa ville, qui fut chargée de payer aux Africains un tribut annuel pour le terrain qu'on avoit acheté oz hadtha.' d'eux, et qui fut appelée Carthada, * Carthage, nom qui, dans la langue phénicienne et dans la langue hébraïque, qui sont fort semblables, signifie la ville neuve. On dit que, lorsqu'on en creusoit les fondemens, il s'y trouva une tête de cheval; ce qui fut pris pour un bon augure, et comme une marque qu'un jour cette ville seroit fort belliqueuse.

Kartha,

Cette princesse, dans la suite, fut recherchée en mariage par Iarbas, roi de Gétulie, qui menaçoit de lui faire la guerre, si elle ne consentoit à sa proposition. Didon, qui s'étoit engagée par serment à ne passer jamais à de secondes noces, ne pouvant se résoudre à violer la foi qu'elle avoit jurée à Sichée, demanda du temps comme pour délibérer, et pour apaiser les mânes de son premier mari par des sacrifices qu'elle lui offriroit. Ayant donc fait préparer un bûcher, elle monta dessus, et tirant un poignard qu'elle avoit caché sous sa robe, elle se donna la mort.

Virgile a changé beaucoup de choses dans cette histoire en supposant qu'Enée, son héros, étoit contemporain de Didon, quoiqu'il se soit écoulé près de trois siècles entre l'un et l'autre, Carthage ayant été bâtie près de trois cents ans après la prise de Troie. On lui pardonne aisément celle licence, excusable dans un poëte, qui n'est point astrein

'Effodêre loco signum, quod regia Juno

Monstrârat, caput acris equi, sic nam fore bello
Egregiam, et facilem victu per secula gentem.

Virg. Æn. lib. 1, v. 447.

à l'exactitude scrupuleuse d'un historien; et l'on admire avec raison le dessein spirituel de Virgile, qui, voulant intéresser à sa poésie les Romains, pour qui il écrivoit, trouve le moyen d'y faire entrer la haine implacable de Carthage et de Rome, et en va chercher ingénieusement les semences dans l'origine la plus reculée de ces deux villes rivales.

Carthage, qui avoit eu de très-foibles commencemens, comme nous l'avons dit, s'accrut d'abord peu à peu dans le pays même; mais sa domination ne demeura pas longtemps enfermée dans l'Afrique. Cette ville ambitieuse porta ses conquêtes au-dehors, envahit la Sardaigne, s'empara d'une grande partie de la Sicile, soumit presque toute l'Espagne; et ayant envoyé de tous côtés de puissantes colonies, elle demeura maîtresse de la mer pendant plus de six cents ans, et se fit un état qui le pouvoit disputer aux plus grands empires du monde par son opulence, par son commerce, par ses nombreuses armées, par ses flottes redoutables, et surtout par le courage et le mérite de ses capitaines. La date et les circonstances de plusieurs de ces conquêtes sont peu connues. Je n'en dirai qu'un mot, pour mettre le lecteur au fait, et pour lui donner quelque idée pays dont il sera souvent parlé dans la suite.

des

Conquêtes des Carthaginois en Afrique.

Les premières guerres de Carthage furent pour se déli- Justin. lib. vrer du tribut qu'elle s'étoit engagée à payer tous les ans 29, cap. 1. aux Africains pour le terrain qui lui avoit été cédé. Une telle démarche ne lui fait guère d honneur. Ce tribut étoit le titre primordial de son établissement. Il semble qu'elle en vouloit couvrir l'obscurité en abolissant ce qui en étoit la preuve ; mais elle n'y réussit pas pour lors. Le bon droit étoit entièrement du côté des Africains: le succès répondit à la justice de leur cause, et la guerre se termina par le paiement du tribut.

Elle porta ensuite ses armes contre les Maures et les Id. cap. 2. Numides, sur, qui elle fit plusieurs conquêtes; et, devenue plus hardie par ces heureux succès, elle secoua entièrement

Val. Max.

le joug du tribut qu'elle payoit avec peine, et se rendit maîtresse d'une grande partie de l'Afrique.

Sallust. de Il y eut vers ce temps-là une grande dispute entre Carbel, jugurt. thage et Cyrène au sujet des limites. Cyrène étoit une ville lib. 5, cap.6. fort puissante, située sur le bord de la mer Méditerranée, vers la grande Syrte, qui avoit été bâtie par Battus, Lacédémonien.

Strab. lib.

On convint de part et d'autre que deux jeunes gens partiroient en même temps de chacune des deux villes, et que le lieu où ils se rencontreroient serviroit de limite aux deux états. Les Carthaginois ( c'étoient deux frères nommés Philènes) firent plus de diligence : les autres, prétendant qu'il y avoit de la mauvaise foi, et qu'ils étoient partis avant l'heure marquée, refusèrent de s'en tenir à l'accord, à moins que les deux frères, pour écarter tout soupçon de supercherie, ne consentissent à être ensevelis tout vivans dans l'endroit même où s'étoit faite la rencontre. Ils y consentirent. Les Carthaginois y élevèrent en leur nom deux autels, leur rendirent chez eux les honneurs divins, et depuis ce temps-là ce lieu a été appelé les autels de Philènes, Ara Philonorum, et a servi de borne à l'empire des Carthaginois, qui s'étendoit depuis cet endroit jusqu'aux colonnes d'Hercule.

Conquêtes des Carthaginois en Sardaigne, etc.

L'histoire ne nous apprend rien de précis, ni du temps 5, pag. 224. où les Carthaginois entrèrent en Sardaigne, ni de la maDiod. lib.5, nière dont ils s'en rendirent les maîtres. Elle fut pour eux pug. 296.

d'un grand secours, et, pendant toutes leurs guerres, elle leur fournit toujours des vivres en abondance: elle n'est séparée de l'île de Corse que par un détroit d'environ trois lieues. La partie méridionale, qui étoit la plus fertile, avoit pour capitale Caralis ou Calaris (maintenant Cagliari). A l'arrivée des Carthaginois, les naturels du pays se retirèrent sur les montagnes situées vers le nord, qui sont presque inaccessibles, et d'où on ne put les faire sortir.

Les Carthaginois s'emparèrent aussi des îles Baléares,

appelées maintenant Majorque et Minorque. Le PortMagon (Portus Magonis), qui est dans la dernière, fut ainsi appelé du nom d'un général carthaginois, qui, le premier, en fit usage et le fortifia. On ne sait point quel Liv. lib. 28, étoit ce Magon. Il y a assez d'apparence que c'étoit le frère d'Annibal. Encore aujourd'hui ce port est un des plus considérables de la mer Méditerranée.

n.

pag. 298; et

Liv. lib. 28.

Ces îles fournissoient aux Carthaginois les plus habiles Diod. lib.5, frondeurs de l'univers, qui leur rendoient de grands ser- lib. 19, pug. vices, et dans les batailles et dans les siéges de villes. Ils lan- 742 çoient de grosses pierres du poids de plus d'une livre, et n. 37. quelquefois même des balles de plomb, avec une telle force et une telle roideur, qu'ils perçoient les casques, les boucliers, les cuirasses les plus fortes; et de plus, avec tant d'adresse, que presque jamais ils ne manquoient l'endroit qu'ils avoient dessein de frapper. On accoutumoit dès l'enfance les habitans des îles Baléares à manier la fronde; et pour cela les mères plaçoient sur une branche d'arbre élevée le morceau de pain destiné au déjeuner des enfans, qui demeuroient à jeun jusqu'à ce qu'ils l'eussent abattu. C'est ce qui a fait appeler ces îles par les Grecs Baleares et Strab. lib. Gymnasia, parce que leurs habitans s'exerçoient de bonne 5, pag. 167. heure à lancer des pierres avec leurs frondes.

Conquêtes des Carthaginois en Espagne.

Avant que de parler de ces conquêtes, je crois devoir donner une légère idée de l'Espagne.

L'Espagne se divise en trois parties, la Boetique, la Lu- Cluver. lib. sitanie, la Tarragonnoise.

La BŒTIQUE, ainsi appelée du fleuve Boetis (le Guadalquivir ), étoit au midi, et contenoit ce qu'on appelle maintenant le royaume de Grenade, l'Andalousie, une partie de la nouvelle Castille, et l'Estramadoure. Cadix, appelée par les anciens Gades et Gadira, est une ville située dans une petite île du même nom, sur la côte occidentale de l'Andalousie, à neuf lieues environ de Gibraltar. On sait

' Liquescit excussa glans fundâ, et attritu aeris, velut igne, distillat. Senec. nat. Quæst. lib. cap. 57.

27

2, cap. 2.

Strab. lib. 3, pag. 171.

qu'Hercule, ayant poussé jusque-là ses conquêtes, s'y arrêta, comme étant parvenu au bout du monde. Il y érigea deux colonnes pour servir de monumens à ses victoires, selon la coutume de ces temps-là. Le lieu en a toujours conservé le nom, quoique les colonnes aient été ruinées par l'injure des temps. Les sentimens des auteurs sont fort partagés sur l'endroit où l'on doit placer ces colonnes. La Strab. 1.3, Boetique étoit la partie de l'Espagne la plus fertile, la plus pag.159-142. riche et la plus peuplée. On y comptoit jusqu'à deux cents villes. C'étoit là qu'habitoient les peuples appelés Turdetani, ou Turduli. Sur le Boetis étoient situées trois grandes villes vers la source, Castulo; plus bas, Corduba (Cordouc), la patrie de Lucain et des deux Sénèques; enfin Hispalis ( Séville ).

La LUSITANIE est terminée au couchant par l'Océan, au nord par le fleuve Durius (le Duero), et au midi par le fleuve Anas (la Guadiana ). Entre ces deux fleuves est le Tage. C'est aujourd'hui le Portugal, avec une partie de la vieille et de la nouvelle Castille.

La TARRAGONNOISE renfermoit le reste de l'Espagne, c'est-à-dire les royaumes de Murcie et de Valence, la Catalogne, l'Aragon, la Navarre, la Biscaye, les Asturies, la Gallice, le royaume de Léon, et la plus grande partie des deux Castilles. Tarraco (Tarragone), ville très-considérable, a donné son nom à cette partie de l'Espagne. Assez près de cette ville est Barcino (Barcelonne ). Son nom fait conjecturer qu'elle a été bâtie par Amilcar, surnommé Barca, père du grand Annibal. Les peuples les plus célèbres de la Tarragonnoise étoient, Celtiberi, placés auAberus. delà de l'Ebre; Cantabri, maintenant la Biscaye; Carpetani, dont la capitale étoit Tolède; Oretani, etc.

L'Espagne, abondante en mines d'or et d'argent, et peuplée d'habitans belliqueux, avoit de quoi piquer en même temps et l'avarice et l'ambition des Carthaginois, plus marchands encore que conquérans, par la constitution même de leur république. Ils savoient sans doute ce que Diod. lib. Diodore rapporte des Phéniciens, leurs ancêtres, lesquels, pag.512. profitant de l'heureuse ignorance où étoient encore les Es

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