صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

la montagne de Papua. J'y fouffris des maux inouis (a). L'hiver, la famine, le fpectacle ef froyable de tout un peuple réduit au désespoir, & prêt à dévorer fes entans & fes femmes, l'in. fatigable vigilance du bon Pharas, qui, en m'affiégant, ne ceffoit de me conjurer d'avoir pitié de moi-même & des miens, enfin ma jufte confiance en la vertu de votre Général me firent lui rendre les armes. Avec quel air fimple & modefte il me reçut! Quels devoirs il me fit ren dre! Quels ménagemens, quels respects il eut lui-même pour mon malheur! Il y a bientôt fix luftres que je vis dans cette folitude; il ne s'eft pas écoulé un jour que je n'aie fait des vœux pour lui.

cette

[ocr errors]

Je reconnois bien là, dit Bélisaire, philofophie qui, fur la montagne où vous aviez tant à fouffrir vous faifoit chanter vos malheurs; qui vous fit fourire avec dédain, en paroiffant devant Bélifaire; & qui, le jour de fon triomphe, vous fit garder ce front inaltérable dont l'Empereur fut étonné. Mon camarade reprit Gelimer, la force & la foibleffe d'efprit tiennent beaucoup à la maniere de voir les chofes. Je ne me fuis fenti du courage & de la conftance, que du moment que j'ai regardé tout ceci comme un jeu du fort. J'ai été le plus voluptueux des Rois de la terre; & du fond de mon Palais, où je nageois dans les délices, des bras du luxe & de la moleffe, j'ai paffé tout-àcoup dans les cavernes du Maure (b), où, cou

Vid. Procop. de Bello Vandalico, L. II.

Vandali namque omnium funt quos fciam mol lifimi atque délicatissimi ; omnium verò miserrimi MaTfii, 1bid.

ché fur la paille, je vivois d'orge groffiérement pilé & à demi cuit fous la cendre, réduit à un tel excès de mifere, qu'un pain, que l'ennemi m'envoya par pitié, fut un préfent ineftimable. De-la je tombai dans les fers, & fus promené en triomphe. Après cela vous m'avouerez qu'il faut mourir de douleur, ou s'élever au- deffus des caprices de la fortune.

Vous avez dans votre fageffe, lui dit Bélifaire, bien des motifs de confolation; mais je vous en promets un nouveau, avant de nous féparer.

Chacun d'eux, après cet entretien, alla fe livrer au fomineil..

Gelimer, dès le point du jour, avant d'aller cultiver fon jardin, vint voir fi le vieillard avoit bien repofé. Il le trouva debout, fon bâton à la main, prêt à fe remettre en voyage. Quoi, lui dit il, vous ne voulez pas donner quelques jours à vos hôtes ! Cela m'eft impoffible, ré. pondit Bélifaire: j'ai une femme & une fille qui gémiffent de mon abfence. Adieu, ne faites point d'éclat fur ce qui me reste à vous dire: Ce pauvre aveugle, ce vieux Soldat, Bélifaire enfin n'oubliera jamais l'accueil qu'il a reçu de vous. Que dites-vous? Qui, Bélifaire? C'eft Bélifaire qui vous embraffe! O jufte !* ciel, s'écrioit Gelimer, éperdu & hors de luimême! Bélifaire dans fa vieilleffe, Bélifaire a veugle eft abandonné! On a fait pis, dit le vieillard: én le livrant à la pitié des hommes, on a commencé par lui créver les yeux. Ab, dit Gelimer, avec un cri de douleur & d'effroi, eft-il poffible? Et quels font les monftres?... Les envieux, dit Bélifaire: Ils m'ont accufé d'afpirer au trône, quand je ne penfois qu'au

tombeau. On les a cru, on m'a mis dans les fers. Le peuple enfin s'eft révolté & a demandé ma délivrance. Il a fallu céder au peuple; mais en me rendant la liberté, on m'a privé de la lumiére. Et Juftinien l'avoit ordonné! C'eft-là ce qui m'a été fenfible. Vous favez avec quel zele & quel amour je l'ai fervi. Je l'aime encore, & je le plains d'être affiégé par des méchans qui déshonorent fa vieilleffe. Mais toute ma conftance m'a abandonné, quand j'ai appris qu'il avoit lui-même prononcé l'arrêt. Ceux qui devoient l'exécuter n'en avoient pas le courage; mes bourreaux tomboient à mes pieds. C'en eft fait, je n'ai plus, grace au ciel, que quelques momens à être aveugle & pauvre, Daignez, dit Gelimer, les paffer avec moi, ces derniers momens d'une fi belle vie. Ce feroit pour moi, dit Bélifaire, une douce confolation; mais je me dois à ma famille, & je vais mourir dans fes bras. Adieu.

Gelimer l'embrasfoit, l'arrofoit de fes larmes, & ne pouvoit fe détacher de lui. Il fallut enfin le laiffer partir; & Gelimer le fuivant des yeux, O profpérité! difoit-il, o profpérité! qui peut donc fe fier à toi? Le héros, le jufte, le fage, Bélifaire!... Ah! c'eft pour le coup qu'il faut fe croire heureux en béchant fon jardin. Et tout en difant ces mots, le Roi des Vandales reprit fa beche.

B

CHAPITRE IIL

ELISAIRE approchoit de l'afyle où fa famille l'attendoit, lorsqu'un incident nouveau lui fit craindre d'en être éloigné pour jamais. Les peuples voisins de la Thrace ne ceffoient d'y faire des courfes; un parti de Bulgares venoft d'y pénétrer, lorfque le bruit fe répandit que Bélifaire, privé de la vue, étoit forți de fa prifon, & qu'il s'en alloit, en mendiant, joindre fa famille exilée. Le Prince des Bulgares fentit tout l'avantage d'avoir ce grand homme avec lui, ne doutant pas que, dans fa douleur, il ne faisît avidement tous les moyens de fe venger. Il fut la route qu'il avoit prife; il le fit tuivre par quelques-uns des fiens; & vers le déclin du jour Bélifaire fut enlevé. Il fallut céder à la violence, & monter un courfier superbe qu'on avoit amené pour lui. Deux des Bul• gares le conduifoient; & l'un d'eux avoit pris fon jeune guide en croupe. Tu peux te fier à nous, lui dirent-ils. Le vaillant Prince qui nous envoie honore tes vertus, & plaint ton infortune. Et que veut-il de moi, demanda Bé̟lifaire? Il veut, lui dirent les Barbares, t'abreuver du fang de tes ennemis. Ah! qu'il me laiffe fans vengeance, dit le vieillard: fa pitié m'eft cruelle. Je ne veux que mourir en paix au fein de ma famille; & vous m'en éloignez, Où me conduifez vous? Je fuis épuifé de fatigue, & j'ai befoin de repos. Auffi vastu, lui dit-on, te reposer tout à ton aife, à moins que le Maître du Château voifin ne foit fur fes gardes, & ne foit le plus fort.

Ce Château étoit la maifon de plaifance d'un vieux Courtifan appellé Beffas, qui, après avoir commandé dans Rome affiégée, & y avoir exercé les plus horribles concuffions, s'étoit retiré avec dix mille talens (a). Belifaire avoit demandé qu'il fût puni felon les loix; mais ayant pour lui à la Cour tous ceux qui n'aiment pas qu'on examine de fi près les chofes, Beffas ne fut point pourfuivi; & il en étoit quitte pour vivre dans fes terres, au sein de l'opulence & de l'oifiveté.

Deux Bulgares, qu'on avoit envoyés reconnoître les lieux, vinrent dire à leur Chef que dans ce Château ce n'étoient que feftins & que réjouiffances; qu'on n'y parloit que de l'infor tune de Bélifaire; & que Beffas avoit voulu qu'on la célébrât par une fête, comme une vengeance du ciel. Ah le lâche, s'écrierent les Bulgares! Il n'aura pas long-tems à fe réjouir de ton malheur.

Beffas, au moment de leur arrivée, étoit à table, environné de fes complaifans; & l'un d'eux chantant fes louanges, difoit dans fes vers, que le ciel avoit pris foin de le juftifier, en condamnant fon accufateur à ne voir jamais la lumiere. Quel prodige plus éclatant, ajoutoit le Flatteur, & quel triomphe pour l'innocence! Le ciel eft jutte, difoit Beffas, & tốt ou tard les méchans font punis. Il difoit vrai. A l'inftant même les Bulgares, l'épée à la main, entrent dans la cour du Château, laiffant quelques Soldats autour de Bélifaire, & penetrent avec des cris terribles jufqu'à la falle du feftin. Beffas pâlit, fe trouble, s'épouvante; & comme;

(^) Six millions,

« السابقةمتابعة »