صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

l'objet de chaque Soldat en particulier, elle est l'objet de la multitude réunie. Un Légionnaire pense en homme, une légion pense en héros ; & ce qu'on appelle l'efprit du Corps, ne peut avoir d'autre aliment, d'autre mobile que la gloire.

On fe plaint que notre histoire eft froide & feche, en comparaison de celle des Grecs & des Romains. La raifon en eft bien fenfible: l'hiftoire ancienne eft celle des hommes, l'histoire moderne eft celle de deux ou trois hommes: un Roi, un Miniftre, un Général.

Dans le Régiment de Champagne, un Officier demande, pour un coup-de-main, douze hommes de bonne volonté: tout le Corps refte immobile, & perfonne ne répond. Trois fois la même de. mande, & trois fois le même filence. Hé quoi, dit l'Officier, l'on ne m'entend point! L'on vous entend, s'écrie une voix; mais qu'appellez-vous douze hommes de bonne volonté ? Nous le fommes tous; vous n'avez qu'à choisir.

La tranchée de Philisbourg étoit inondée, lo Soldat y marchoit dans l'eau plus qu'à demi-corps. Un très-jeune Officier, à qui fon âge ne permettoit pas d'y marcher de même, s'y faifoit porter main en main. Un Grenadier le préfentoit à fon camarade, afin qu'il le prêt dans fes bras: Mets. le fur mon dos, dit celui-ci; s'il y a un coup de fufil à recevoir, je le lui épargnerai.

Le militaire françois a mille traits de cette beauté, que Plutarque & Tacite auroient eu grand foin de recueillir (a). Nous les releguons dans

(4) Depuis que j'ai fait cette obfervation, un homme de lettres, qui penfe en Citoyen & qui voit en homme d'Etat, a été chargé par le Miniftere de raffembler,

des Mémoires particuliers, comme peu dignes de la majefté de l'hiftoire. Il faut efpérer qu'un Historien philofophe s'affranchira de ce préjugé.

Toutes les conditions qui exigent des ames réfolues aux grands facrifices de l'intéret perfonnel, doivent avoir pour encouragement la perfpective, du moins éloignée, de la gloire perfonnelle. On fçait bien que les Philofophes, pour rendre la vertu inébranlable, l'ont préparée à se passer de tout non vis effe juftus fine gloria; at, me bercule, fape juftus effe debebis cum infamia. Mais la vertu même ne fe roidit que contre une honte paffagere, & dans l'espoir d'une gloire à venir. Fabius fe laiffe infulter dans le camp d'Annibal, & deshonorer dans Rome, pendant le cours d'une campagne; auroit-il pu fe réfoudre à mourir deshonoré å P'être à jamais dans la mémoire des hommes? N'attendons pas ces efforts de la foibleffe de notre nature: la religion feule en eft capable; & fes facrifices mêmes ne font rien moins que défintéres fés. Les plus humbles des hommes ne renoncent à une gloire périffable, qu'en échange d'une gloire immortelle. Ce fut l'efpoir de cette immortalité qui foutint Socrate & Caton. Un Philofophe ancien difoit: comment veux-tu que je fois fenfible au blâme, fi tu ne veux pas que je fois fenfible à Péloge?

A l'exemple de la Théologie, la morale doit prémunir la vertu contre l'ingratitude & le mépris des hommes, en lui montrant, dans le lointain des tems plus heureux & un monde plus jufte.

[ocr errors]

,, La gloire accompagne la vertu, comme fon

pour l'école de nos Guerriers, ces faits intéreffans qu'on voit négligés. Ce recuci eft le meilleur Livre qu'on ait pu mettre dans les mains de la jeuneffe militaire,

[ocr errors]

, ombre, dit Seneque; mais comme l'ombre d'un ,, corps tantôt le précede, & tantôt le fuit, de même la gloire tantôt dévance la vertu, & ,, fe préfente la premiere, tantôt ne vient qu'à fa ,, fuite, lorfque l'envie s'eft retirée; & alors elle ,,eft d'autant plus grande qu'elle fe montre plus » tard".

C'est donc une Philofophie auffi dangereufe que vaine, de combattre dans l'homme le preffentiment de la postérité & le défir de fe furvivre. Cette Philofophie a trouvé quelques ames fublimes qui ont fait le bien, dans la feule vue de remplir leur destination. Mais on ne doit jamais compter fur des caracteres de cette trempe. Il faut permettre à l'homme qui fait le bien d'aimer la gloire; il faut même la lui montrer au-delà du tombeau, afin que le tombeau ne foit pas l'écueil de fon courage & de fa conftance.

Celui qui borne fa gloire au court espace de fa vie, eft efclave de l'opionion & des égards du moment: rebuté, fi fon fiecle eft injufte; découragé, s'il eft ingrat; impatient fur-tout de jouir, il veut recueillir ce qu'il feme; il préfere une gloire précoce & paffagere, à une gloire tardive & durable: il n'entreprendra rien de grand.

Celui qui fe transporte dans l'avenir & qui jouit I de fa mémoire, travaillera pour tous les fiecles comme s'il étoit immortel. Que fes Contemporains lui refusent la gloire qu'il a méritée, leurs neveux l'en dédommagent: car fon imagination le rend préfent à la postérité.

C'eft un beau fonge, dira-t-on. Hé jouit-on jamais de fa gloire autrement qu'en fonge? Ce n'eft pas le petit nombre de fpectateurs qui vous environnent, qui forment le cri de la renommée. Votre réputation n'eft glorieufe qu'autant qu'elle vous

multiplie où vous n'êtes pas, où vous ne ferez jamais. Pourquoi donc feroit-il plus infenfé d'éten dre en idée fon existence aux fiecles à venir, qu'aux climats éloignés ? L'efpace réel n'eft pour vous qu'un point, comme la durée réelle. Si vous vous renfermez dans l'un ou dans l'autre, votre ame y va languir abattue, comme dans une étroite prifon. Le défir d'éternifer fa gloire eft un enthoufiafme qui nous aggrandit, qui nous éleve au-dessus de nous-mêmes & de notre fiecle; & quiconque ne raifonne, n'eft pas digne de le fentir.,, Mépri,, fer la gloire, dit Tacite, c'eft méprifer les vertus qui y menent": Contemptâ famâ virtutes con

[ocr errors]

temnuntur.

DES GRAND S.

ON donne en général le nom de Grands à ceux

qui occupent les premieres places de l'Etat, foit dans le Gouvernement, foit auprès du Prince.

On peut contidérer les Grands, ou par rapport aux mœurs de la fociété, ou par rapport à la conftitution politique. Nous prenons ici les Grands en qualité d'hommes publics.

Dans la démocratie pure il n'y a de Grands que les Magiftrats, ou plutôt il n'y a de Grand que le Peuple. Les Magiftrats ne font Grands que par le Peuple & pour le Peuple; c'eft fon pouvoir, fa dignité, fa imajefté, qu'il leur confie. De-là vient que dans les Républiques bien conftituées, on faifoit un crime autrefois de chercher à acquérir une autorité perfonnelle. Les Généraux d'armée n'étoient grands qu'à la tête des armées; leur autorité étoit de la difcipline; ils la dépofoient en mêmê tems que le Soldat quittoit les armes; & la paix les rendoit égaux.

Il eft de l'effence de la démocratie que les Grandeurs foient électives, & que perfonne n'en foit exclu par état. Dès qu'une feule claffe de Citoyens eft condamnée à fervir fans espoir de com❤ mander, le gouvernement eft ariftocratique. La moins mauvaise Ariftocratie eft celle où l'autorité des Grands fe fait le moins fentir. La plus vicieuse eft celle où les Grands font defpotes, & les Peuples efclaves. Si les Nobles font des tyrans, le mal eft fans remede. Un Sénat ne meurt point.

« السابقةمتابعة »