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au devant de vous, lui répondit fon conducteur Dans ce moment un vieillard s'avance. Seigneur. dit-il à Bélifaire en l'abordant, pouvons-nous, fçavoir qui vous êtes? Vous voyez bien, ré. pondit Bélifaire, que je fais un pauvre, & non pas un Seigneur. Un pauvre, hélas ! C'est ce qui nous confond, reprit le payfan, s'il eft vrai comme on nous l'a dit, que vous foyez Bélifaire. Mon ami, lui dit le Héros, parlez plus bas; & fi ma mifere vous touche, donnez-moi l'hospitalité. A peine il achevoit ces mots, qu'il fe fentit embraffer les genoux; mais il releva bien vite le bon homme, & fe fit conduire fous fon humble toit.

Mes enfans, dit le payfan à fes deux filles & à fon fils, tombez aux pieds de ce Héros. C'est lui qui nous a fauvés du ravage des Huns. Sang lui le toit que nous habitons auroit été réduit en cendre; fans lui vous auriez vu votre pere égorgé & vos enfans menés en efclavage; fans lui, nes filles, vous n'auriez peut être jamais ofé lever les yeux: vous lui dévez plus que la vie. Refpectez le encore davantage dans l'état où vous le voyez; & pleurez fur votre patrie.

Bélifaire, ému jufqu'au fond de l'ame, d'entendre autour de lui cette famille reconnoiffante le combler de bénédictions, ne répondoit à ces 'tranfports qu'en preffant tour à tour dans fes bras le pere & les enfans. Seigneur, lui dirent les deux femmes, recevez aufli dans votre fein ces deux innocens dont vous êtes le fecond pere. Nous leur rappellerons fans ceffe le bonheur qu'ils auront eu de baffer leur libérateur, & de recevoir fes careffes. A ces mots, l'une & l'autre mere lui préfenta fon fils, le mit fur fes genoux; & ces deux enfans fouriant au Hé.

ros, & lui tendant leurs foibles mains fem bloient auffi lui rendre graces. Ah! dit Bélifaire à ces bonnes gens, me trouvez-vous encore à plaindre? Et croyez-vous qu'il y ait au mon. de en ce moment un mortel plus heureux que moi? Mais dites-moi qui m'a fait connoître. Hier, lui dit le pere de famille, un jeune Seigneur nous demanda fi nous n'avions pas vu paffer un vieillard qu'il nous dépeignit. Nous lui répondîmes que non. Hé bien, nous dit il, veillez à fon paffage, & dites - lui qu'un ami l'attend dans le lieu où il doit se rendre. Il manque de tout; ayez foin, je vous prie, de pourvoir à tous fes befoins. A mon retour je reconnoftrai ce que vous aurez fait pour lui. Nous répondîmes que chacun de nous étoit occupé, où du travail des champs, ou des foins du ménage, & que nous n'avions pas le loifir de prendre garde aux paffans. Quittez tout plutôt nous dit-il, que de manquer de rendre à ce vieillard ce que vous lui devez. C'est votre Défenfeur, votre Libérateur, c'est Bélifaire enfin que je vous recommande; & il nous conta vos malheurs. A ce nom, qui nous eft fi cher, ju gez de notre impatience. Mon fils a veillé toute la nuit à attendre fon Général, car il a eu l'honneur de fervir fous vos drapeaux quand vous avez délivré la Thrace; mes filles, dès le point du jour, ont été fur le feuil de la porte. A la fin nous vous poffédons. Difpofez de nous, de nos biens: ils font à vous. Le jeune Seigneur qui vous attend vous en offrira davantage, mais non pas de meilleur cœur, que nous le peu que nous avons.

Tandis que le pere lui tenoit ce langage, le fils, debout devant le Héros, le regardoit d'un

air penfif, les mains jointes, la tête baiffée, la confternation, la pitié, & le refpect fur le vifage.

Mon ami, dit Bélifaire au vieillard, je vous rends grace de votre bonne volonté. J'ai de quoi me conduire jufqu'à mon afyle. Mais di tes-moi fi vous êtes auffi heureux que bienfaifant. Votre fils a fervi fous moi; je m'intéreffe à lui. Eft-il fage? Eft-il laborieux? Est-il bon mari & bon pere? Il fait, répondit le vieillard attendri, ma confolation & ma joie. Il s'eft retiré du service, à la mort de fon frere aîné, cou• vert de bleffures honorables; il me foulage dans mes travaux; il eft l'appui de ma vieilleffe; il a époufé la fille de mon ami; le ciel a béni cette union. Il eft vif; mais fa femme eft douce. Ma fille, que voila, n'eft pas moins heureuse. Je lui ai donné un mari jeune, fage & homme de bien, qu'elle aime & dont elle eft aimée. Tout cela travaille à l'envi, & me fait de petits neveux, dans lefquels je me vois revivre. J'ap proche de ma tombe avec moins de regret, en fongeant qu'ils m'aimeront encore, & qu'ils me béniront quand je ne ferai plus. Ah mon ami, lui dit Bélifaire, que je vous porte envie! J'a' vois deux fils, má plus belle espérance; je les ai vu mourir à mes côtés. Dans ma vieilleffe il ne me refte qu'une fille, hélas, trop fenfible pour fon malheur & pour le mien. Mais le ciel foit loué: mes deux enfans font morts en combattant pour la patrie. Ces dernieres paroles du Héros acheverent de déchirer l'ame du jeune homme qui l'écouteit.

On fervit un repas champêtre: Bélifaire y ré. pandit la joie, en faifant fentir à ces bonnes gens le prix de leur obfcurité tranquille. C'eit,

difoit-il, l'état le plus heureux, & pourtant le moins envié, tant les vrais biens font: t peu connus des hommes.

Pendant ce repas le fils de la maison, muet, rêveur, préoccupé, avoit les yeux fixés fur Bé lifaire; & plus il l'obfervoit, plus fon air deve noit fombre, & fon regard farouche. Voila mon fils, difoit le vieux bon homme, qui fe rap.. pelle vos campagnes. Il vous regarde avec des yeux ardens. Il a de la peine, dit le Héros, à, reconnoître fon Général. On a bien fait, cequ'on a pu, dit le jeune homme, pour le rendre méconnoillable; mais fes Soldats l'ont trop préfent pour le méconnoître jamais.

Quand Bélifaire prit congé de fes hôtes, Mon Général, lui dit le même, permettez-moi de; vous accompagner à quelques pas d'ici. Et dès qu'ils furent en chemin, Souffrez, lui dit-il que votre guide, nous devance: j'ai à vous par ler fans témoin. Je fuis indigné, mon Général, du miférable état où l'on vous à réduit. C'eft un exemple effroyable d'ingratitude & de lâche-. té. Il me fait prendre ma patrie en horreur; &i autant j'étois fier, autant je fuis honteux d'avoir verfé mon fang pour elle. Je bais les lieux où je fuis né, & je regarde avec pitié les enfans, que j'ai mis au monde. Hé, mon ami, lui dit le Héros, dans quel pays ne voit on jamais les gens de bien victimes des méchans? Non, dit le Villageois, ceci n'a point d'exemple. Il y ai ya dans votre malheur quelque chofe d'inconceva ble, Dites moi quel en eft l'auteur. J'ai une femme & des enfans; mais je les récommande à Dieu, & à mon pere; & je vais arracher le cœur au traître qui... Ah! mon enfant, s'écria Bélifaire, en le ferrant dans fes bras, la putis

L'aveugle & t'égare. Moi, je ferois d'un brave. homme un perfide! d'un bon Soldat un affaffin! d'un pere, d'un époux, d'un fils vertueux & fenfible un fcélérat, un forcené! C'eft alors que je ferois digne de tous les maux que l'on m'a faits. Pour foulager ton pere & nourrir tes enfans, tu as abandonné la défenfe de ta patrie; & pour un vieillard expirant, à qui ton zele eft inutile, tu veux abandonner ton pere, & tes enfans! Dismoi, crois-tu qu'en me baignant dans le fang de mes ennemis, cela me rendit la jeuneffe & la vue? En ferois-je moins malheureux quand tu ferois criminel?. Non, mais du moins, dit le jeune homme, la mort terrible d'un méchant ef fraiera ceux qui lui reffemblent; car je le pren drai, s'il le faut, au pied du trône ou des au, tels, &, en lui enfonçant le poignard dans le fein, je crierai: c'eft Bélifaire que je venge. Et de quel droit me vengerois- tu, dit le vieillard d'un ton plus impofant? Eft ce moi qui te l'ai donné, ce droit que je n'ai pas moi même ? Veux-tu l'ufurper fur les loix ? Qu'elles l'exer cent, dit le jeune homme; on s'en repofera fur elles. Mais puifqu'elles abandonnent l'homme innocent & vertueux, qu'elles ménagent le cou pable, & laiffent le crime impuni, il faut les abjurer, il faut rompre avec elles & rentrer dans nos premiers droits. Mon ami, reprit Bés lifaire, voila l'excufe des brigands. Un hom me jufte, un honnête homme gémit de voir les loix fléchir; mais il gémiroit encore plus. de les voir violer avec pleine licence. Leur foi bleffe eft un mal, mais un mal paffager; & leur deftruction feroit une calamité darable. Tu veux effrayer les méchans; & tu vas leur donner l'ex emple! Abt bon jeune homme, veux-tu rendre

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