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le leur rende, mais hors d'état de les commanHer. Ce Confeil affreux prévalut: ce fut l'arrêt de Bélifaire.

Dès que le peuple le vit fortir de sa prison, les yeux crévés, ce ne fut qu'un cri de douleur & de rage. Mais Bélifaire l'appaifa. Mes enfans, leur dit-il, l'Empereur a été trompé : tout homme eft fujet à l'être: il faut le plaindre & le fervir. Mon innocence eft le feul bien qui me reste; laiffez - la moi. Votre révolte ne me rendroit pas ce que j'ai perdu; elle m'ôtetoit ce qui me confole de cette perte. Ces mots calmerent les efprits. Le peuple offrit à Bélifaire tout ce qu'il poffédoit; Bélifaire lui rendit grace. Donnez-moi feulement, dit-il, un de vos enfans, pour me conduire où ma famille m'attend.

Son avanture avec les Bulgares l'ayant détourné de fa route, Tibere l'avoit devancé. Le bruit d'un char, dans la cour du Château, avoit fait tréffaillir Antonine & Eudoxe : celle-ci avoit accouru, le cœur faifi & palpitant; mais hélas! au lieu de fon pere, ne voyant qu'un jeune in connu, elle retourne vers fa mere. Ce n'est pas lui, dit-elle en foupirant.

Un vieux Domestique de la maison, appellé Anfelme, ayant abordé Tibere, Tibere lui demande fi ce n'eft point là que Bélifaire eft retiré. C'est ici que fa femme & fa fille l'attendent, répondit le fidele Anfelme; mais leur espérance eft tous les jours trompée. Hé plut au ciel moi-même être à fa place, & le fçavoir en liberté ! Il eft en liberté, lui dit Tibere; il vient; vous l'allez bientôt voir; il devroit même être arrivé. Ah! venez donc, venez donner cette bonne nouvelle à fa famille. Je vais vous annoncer.

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Madame, s'écria-t-il, en courant vers Antonine, réjouiffez-vous. Mon bon Maître eft vivant; il eft libre; il vous eft rendu. Un jeu. ne homme est là qui laffure, & qui croyoit le retrouver ici. A ces mots toutes les forces d'Antonine fe ranimerent. Où est-il, cet étran ger, ce mortel généreux, qui s'intéreffe à nos malheurs? Qu'il vienne, ah! qu'il vienne, ditelle. Non, plus de malheurs, s'ecria Eudoxe, en fe jettant fur le lit de fa mere, & en la pref fant dans fes bras. Mon pere eft vivant; il est en liberté; nous l'allons revoir. Ah, ma mere! bublions nos peines. Le ciel nous aime; il nous réunit.

¡Me rendez-vous la vie, demanda Antonine à Tibere? Eft-il bien vrai que mon époux triomphe de fes ennemis ? Le jeune homme pénétré de douleur, de n'avoir à leur donner qu'une fauffe joie, répondit, qu'en effet Bélifaire étoit libre, qu'il l'avoit vu, qu'il lui avoit parlé; & que le croyant rendu auprès de fa famille, il venoit lui offrir les fervices d'un bon voifin.

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Eudoxe, qui avoit les yeux attachés fur Ti bere, fut frappée de l'air de trifteffe qu'il tå. choit de diffimuler. Vous portez, lui dit-elle, dans notre exil la plus douce confolation; & loin de jouir du bien que vous nous faites, vous femblez renfermer quelque chagrin profond! Eft-ce notre mifere qui vous afflige? Ah! que mon pere arrive, qu'il rende la fanté à cette moitié de lui-même; & vous verrez fi l'on a befoin de richeffe pour être heureux.

La nature dans ces momens eft fi touchante parelle-même, qu'Eudoxe n'eut befoin que de fes fentimens pour attendrir & pour charmer Ti

bere. Il ne vit point fi elle étoit belle; il ne vit qu'une fille vertueufe & tendre " que fon courage, fa piété, fon amour pour fon pere éle. voit au-deffus du malheur. Ne prenez point, Madame, lui dit-il, ce fentiment que je ne puis cacher, pour une pitié offenfante. Dans quelque état que Bélifaire & fa famille foient réduits, leur infortune même fera digne d'envie. Que parlez-vous d'infortune, reprit la mere? Si on a rendu à mon époux la liberté, on a re'connu fon innocence; il faut donc qu'il foit rétabli dans fes honneurs & dans fes biens.

Madame, lui dit Tibere, ce feroit vous pré parer une furprise trop cruelle, que de vous flatter fur fa fituation. Il n'a dû fa délivrance qu'à l'amour du peuple. C'est à la crainte d'un foulévement qu'on a cédé; mais en y cédant, on a renvoyé Bélifaire autfi malheureux qu'il étoit poffible.

N'importe, ma mere, il eft vivant, reprit la fenfible Eudoxe; & pourvu qu'on nous laiffe ici un peu de terre à cultiver, nous ne ferons pas plus à plaindre que tous ces Villageois que je vois dans les champs. O ciel! la fille de Bélifaire s'écria le jeune homme, feroit réduite à cet indigne état! Indigne! & pourquoi, lui dit-elle ? Il n'étoit pas indigne des Héros de Rome vertueufe & libre. Bélifaire ne rougira point d'être l'égal de Régulus. Ma mere & moi, depuis notre exil, vous avons appris les détails & les petits travaux du ménage, mon illuftre pere fera vêtu d'un habit filé de ma main.

en

Tibere ne pouvoit retenir les larmes voyant la joie vertueufe & pure qui rempliffoit de cœur de cette aimable fille. Hélas! difoit-il en lui-même, quel coup terrible va la tirer

de cette douce illufion! Et les yeux baiffés į il reftoit devant elle, dans le filence de la douleur.

CHAPITRE VI.

BELISAIRE, en ce moment même,

entroit

dans la cour du Château. Le fidele Anfel. me le voit, s'avance, reconnoit son Maître, & transporté de joie, court au devant de lui. Mais tout-à-coup s'appercevant qu'il eft aveugle, O ciel, dit-il mon bon Maître! Eft-ce pour vous revoir dans cet état, que le pauvre Anfelme a vécu? A ces paroles entrecoupées de fanglots, Bélifaire reconnoit Anfelme, qui, profterné, embraffe fes genoux. Il le releve, il l'exhorte à modérer fa douleur, & fe fait conduire vers fa femme & fa fille.

Eudoxe en le voyant ne fait qu'un cri, & tombe évanouie. Antonine, qu'une fievre lente confumoit, comme je l'ai dit, fut tout-à-coup faifie du plus violent tranfport. Elle s'élance de fon lit avec les forces que donne la rage, & s'arrachant des bras de Tibere & de la femme qui la gardoit, elle veut fe précipiter. Eudoxe ranimée à la voix de fa mere, accourt, la faifit & l'embraffe: Ma mere, dit-elle, ah ma mère ! ayez pitié de moi. Laiffez-moi mourir, s'écrioit cette femme égarée. Je ne vivrois que pour le venger, que pour aller leur arracher le cœur. Les monftres! Voila fa récompenfe! Sans lui vingt fois ils auroient été enfévelis fous les cendres de leur Palais. Son crime eft d'avoir prolongé leur odieufe tyrannie... Il en est puni; les peuples

peuples font vengés.... Quelle férocité! quelle horrible baffeffe! Leur appui! leur Libérateur!... Cour atroce! Confeil de Tigres!.... O ciel! eft-ce ainsi que tu es jufte? Vois qui tu permets qu'on opprime; vois qui tu laifes profpérer.

Antonine, dans fes tranfports, tantôt s'arrachoit les cheveux & fe déchiroit le vifage; tantôt ouvrant fes bras tremblans, elle couroit vers fon époux, le preffoit dans fon fein, l'inondoit de fes larines; & tantôt repouffant fa fille avec effroi, Meurs, lui difoit-elle; il n'y a dans la vie de fuccès que pour les méchants, de bonheur que pour les infâmes.

De cet accès elle tomba dans un abatement mortel; & ces violens efforts de la nature ayant achevé de l'affoiblir, elle expira quelques heures après.

Un vieillard aveuglé, une femme morte, une fille au défefpoir, des larmes, des cris, des gémiffemens, & pour comble de maux, l'abandon, la folitude & l'indigence, tel est l'état où la fortune préfente aux yeux de Tibere une maifon trente ans comblée de gloire & de profpérité. Ah, dit-il, en fe rappellant les paroles d'un Sage, voila donc le fpectacle auquel Dieu fe complaît, l'homme jufte luttant contre l'adverfité & la domptant par fon courage!

Bélifaire laiffa un libre cours à la douleur de fa fille, & lui-même il s'abandonna à toute fon affliction; mais après avoir payé à la nature le tribut d'une ame fenfible, il fe releva de fon accablement avec la force d'un Héros.

Eudoxe étouffoit fes fanglots de peur de redoubler la douleur de fon pere. Mais le vieil

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