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lard qui l'embraffoit fe fentoit baigné de fes pleurs. Tu te défoles. ma fille, lui dit-il, ce qui doit nous affermir & nous élever audeffus des difgraces. Après avoir expié les erreurs de fa vie, ta mere jouit d'une éternelle paix; & c'eft elle à préfent qui nous plaint d'être obligés de lui furvivre. Cette froide immobilité, où elle laiffe fa dépouille, annonce le calme où fon ame eft plongée. Vois comme tous les

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maux d'ici - bas font vains : un foufle un inftant les diffipe. La Cour & l'Empire ont difparu aux yeux de ta mere; & du fein de fon Dieu, elle ne voit ce monde que comme un point dans l'immenfité. Voila ce qui fait dans le malheur la confolation & la force du fage. Ah! donnez-la moi, cette force que la nature me refuse, pour résister à tant de maux. J'au rois fupporté la mifere; mais voir une mere ado. rée mourir de douleur dans mes bras! Vous voir, mon pere, dans l'horrible état où la cruauté des hommes vous a mis!.... Ma fille lui dit le Héros, en me privant des yeux, ils n'ont fait que ce que la vieilleffe ou la mort alloit faire; & quant à ma fortune, tu en aurois mal joui fi tu ne fçais pas t'en paffer. Ah, le ciel m'eft témoin, dit-elle, que ce n'eft pas fa perte qui m'afflige. Ne t'afflige donc plus de rien, lui dit fon pere; & de fa main il effuya fes pleurs.

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Bélifaire, inftruit qu'un jeune inconnu atten 'doit le moment de lui parler, le fit venir, & lui demanda ce qui l'amenoit. Ce n'eft pas le moment, lui dit Tibere, de vous offrir des confolations. Illuftre & malheureux vieillard, je refpecte votre douleur, je la partage, & je demande au ciel qu'il me permette de l'adoucir. Juf

que-là, je n'ai qu'à mêler mes larmes à celles que je vois répandre.

Bientôt vint le moment de rendre à Antonine les devoirs de la fépulture; & Bélifaire, appuyé fur fa fille, accompagna le corps de fa femme au tombeau. La douleur du Héros étoit celle d'un Sage: elle étoit profonde, mais fans éclat, & foutenue de majefté. Sur fon vifage étoit peint le deuil, mais un deuil filentieux & grave. Son front élevé, fans défier le fort, fembloit s'expofer à fes coups.

Tibere lui-même affista à cette triste cérémo⚫ nie. Il fut témoin des regrets touchans qu'Eudoxe donnoit à fa mere, & il en revint pénétré.

Bélifaire alors s'adreffant à lui, Brave jeune homme, lui dit-il, c'est vous, je le vois, qui avez pris foin de me recommander fur la route; apprenez moi qui vous êtes, & ce qui peut m'attirer cet empreffement généreux. Je m'appelle Tibere, répondit le jeune homme : J'ai fervi fous Narsès en Italie; j'ai fait depuis la guerre de Colchide. Je fuis l'un de ces Chaffeurs à qui vous avez demandé l'afyle, & dont vous avez fi bien réprimé l'imprudence. Je n'ai pas eu de paix avec moi-même, que je ne fois venu vous demander pardon, & une grace encore plus chere. Je fuis riche: c'eft un malheur peut-être; mais fi vouliez, ce feroit un bien. J'ai près d'ici une maison de campagne; & toute mon ambition ferait de la confacrer, en Faifant l'afyle d'un Héros. Ma tendre vénéra tion pour vous eft un titre fi fimple, que je n'oferois m'en prévaloir: il fuffit d'aimer la Patrie, pour partager la difgrace de Bélifaire & pour chercher à l'adoucir. Mais un intérêt di

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gne de vous toucher, c'est le mien, c'est celuj d'un jeune homme, qui défire paffionnément d'être admis dans l'intimité d'un Héros, & de puifer dans fon ame, comme à la fource de la fageffe, de la gloire & de la vertu.

heur.

Vous honorez trop ma vieilleffe, lui répondit Bélifaire; mais je reconnois une belle ame à la fenfibilité que vous témoignez pour mon malDans ce moment je défire d'être feul avec moi-même: mon ame ébranlée a befoin de fe raffermir en filence. Mais pour l'avenir, j'accepte une partie de ce que vous me propofez, le plaifir de vivre en bons voisins, & de communiquer enfemble. J'aime la jeunesse : l'ame encore neuve dans cet âge heureux, eft fufceptible des impreffions du bien; elle s'enflame & s'éleve au grand; & rien encore ne la ve tient captive. Venez me voir; je ferai bien aise de converfer avec vous.

Si vous me croyez digne de ce commerce reprit Tibere, pourquoi ne le ferois-je pas de vous pofféder tout-à-fait ? Mes ayeux feront honorés de voir leur héritage devenir votre bien, & leur demeure votre asyle. Vous y ferez révéré, fervi avec un faint respect par tout ce qui m'environne; & c'eft à mon exemple qu'on s'empreffera de remplir ce pieux devoir.

Jeune homme, lui dit Bélifaire, vous êtes bon; mais ne faifons point d'imprudence. Di. tes-moi, car il y a dix ans que je vis éloigné du monde, quel eft l'état de votre pere, & quelles vues il a fur vous. Nous fommes iffus, lui dit Tibere, de l'une de ces familles que Conftantin appella de Rome, & qu'il combla de bienfaits. Mon pere a fervi fous le regne de Justin avec affez de diftinction. Il étoit eftimé.

& chéri de fon Maître. Sous le nouveau regne, on obtint fur lui des préférences qu'il croyoit in juftes: il fe retira: il s'en eft repenti; & il a pour moi l'ambition qu'il n'eut pas aflez pour Îui-même. Il fuffit, lui dit Bélifaire: je ne veux mettre aucun obftacle à l'avancement de fon fils. En fuivant le mouvement de votre cœur, vous ne fentez que le plaifir d'être géné reux; & en effet c'eft une douce chofe. Mais je vois pour vous le danger de vous envelopper dans la difgrace d'un profcrit. Mon ami, que la Cour ait raison, ou qu'elle ait tort, elle ne revient pas. Elle oublie un coupable qu'elle a puni; mais elle hait toujours un innocent qu'elle a facrifié; car fon nom feul eft un reproche, & fon existence pese, comme un remord, à fes perfécuteurs.

Je me charge, dit le jeune homme, de juftifier ina conduite. L'Empereur a pu fe laiffer tromper; mais il fuffira qu'on l'éclaire.

Il ne faut pas même y penfer, dit le Héros: le mal eft fait: puiffe-t-il l'oublier pour le repos de fa vieilleffe!

Hé bien donc, infifta Tibere, foyez encore plus généreux. Epargnez lui le reproche éternel de vous avoir laiffé languir dans la mifere. L'indigue état où je vous vois, eft un spectacle déshonorant pour l'humanité, honteux pour le trône, révoltant pour vos pareils.

Ceux qu'il découragera, répondit Bélifaire, ne feront point mes pareils. Je crois au furplus, comme vous, que mon état peut infpirer l'indignation avec la pitié. Un pauvre aveugle ne fait point d'ombrage, & peut faire compaffion. Auffi mon deffein eft-il de me cacher; & fi je ime fuis fait connoître à vos compagnons, c'est

un mouvement d'impatience contre de jeunes étourdis, qui m'a fait commettre cette impru dence. Ce fera la derniere de ma vie ; & mon afyle fera mon tombeau. Adieu. L'Empereur peut ne pas fçavoir que les Bulgares font dans la Thrace; ne négligez pas de l'en fairé avertír. Le jeune homme fe retira bien affligé de n'avoir pas mieux réuffi; & il rendit à l'Empereur ce que lui avoit dit Bélifaire. Justinien fit marcher quelques troupes; & peu de jours après on l'affura que les Bulgares avoient été chaffés. A préfent, dit-il à Tibere, nous pouvons aller fans danger voir ce malheureux vieillard. Je pafferai pour votre pere; & vous aurez soin de ne rien dire qui puisse le défabufer. Une maison de plaifance, à moitié chemin de la retraite de Bélifaire, fut le lieu d'où l'Empereur fe dérobant aux yeux de fa Cour, alla le voir le lendemain.

CHAPITRE VIL

Vine de fois vainqueur! dit luftinien, en

OILA donc où habite celui qui m'a rendu

avançant fous un vieux portique en ruine. Be lifaire, à leur arrivée, fe leva pour les recevoir L'empereur, en voyant ce vieillard vénérable. dans l'état où il l'avoit mis, fut pénétré de hon te & de remords. Il jetta un cri de douleur, & s'appuyant fur Tibere, il fe couvrit les yeux avec fes mains, comme indigne de voir le jour que Bélifaire ne voyoit plus. Quel cri viens-je d'entendre, demanda le vieillard ? C'eft mon pere que je vous amene, dit Tibere, & que

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