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votre malheur touche fenfiblement. Où est-il, reprit Bélifaire, en tendant les mains? Qu'il ap proche, & que je l'embraffe; car il a un fils vertueux. Juftinien fut obligé de recevoir les embraffemens de Bélifaire; & fe fentant preffé contre fon sein, il fut fi violemment ému, qu'il ne put retenir les fanglots & fes larmes. Modé rez, lui dit le Héros, cet excès de compaffion: je ne fuis peut-être pas auffi malheureux qu'il vous femble. Parlons de vous, & de ce jeune homme, qui vous donnera de la confolation dans vos vieux ans. Oui, dit l'Empereur en s'interrompant à chaque mot, oui,... fi vous daignez permettre... qu'il vienne recueillir les fruits de vos leçons. Et que lui apprendrois-je, dit le vieillard, qu'un pere fage & homme de bien n'ait pu lui apprendre avant moi? Ce que peutêtre je connois le moins, dit l'Empereur, c'eft la Cour, c'est le pays où il doit vivre; & depuis longtems j'ai fi peu communiqué avec des hommes, que le monde eft pour moi prefque auffi nouveau que pour lui. Mais vous qui avez vu les chofes fous tant de faces diverfes, de quel fecours ne lui ferez-vous pas, fi vous voulez bien l'éclairer? S'il vouloit apprendre à fixer la fortune, dit Bélifaire, il s'adrefferoit mal, comme vous voyez; mais s'il ne veut être qu'un homme de bien à fes périls & rifques, je puis lui être de quelque utilité, il est bien né, c'eft l'effentiel. Ii eft vrai, dit Juftinien, que fa no. bleffe eft ancienne. Ce n'eft pas ce que j'ai voulu dire; mais cela même eft un avantage, pourvu qu'on n'en abuse pas. Sçavez-vous jeune homme, pourfuivit Bélifaire, ce que c'eft que la nobleffe? Ce font des avances que la Patrie vous fait, fur la parole de vos ancêtres, en

attendant que vous foyez en état de faire hor neur à vos garants. Et ces avances, dit l'Empereur, font quelquefois bien hazardées. N'importe, reprit le vieillard, ce n'en eft pas moins une très-belle inftitution. Je crois voir, lorsqu'un enfant de noble origine vient au monde, foible, nud, indigent, imbécile, comme le fils d'un Laboureur, je crois voir la Patrie qui va le recevoir, & qui lui dit: Enfant je vous falue, vous qui me ferez dévoué, vous qui ferez vaillant, généreux, magnanime comme vos peres. Ils vous ont laiffé leur exemple; j'y joins leurs titres & leur rang, double raison pour vous d'acquérir leurs vertus. Avouez, continua le vieillard, que parmi les actes les plus folem. nels ils n'y a rien de plus magnifique. Cela l'eft trop, dit juftinien. Quand on veut élever les ames, dit Bélifaire, il faut en agir grandement. Et puis, croyez-vous qu'il n'y ait pas de l'économie dans cette magnificence? Ah! quand elle ne produiroit que deux ou trois grands hommes par génération, l'Etat n'auroit pas à fe plainpre: il feroit bien dédommagé. Mon ami, dit-il au jeune homme, il faut que vous foyez l'un ce ceux qui le dédommagent. Là, s'adreffant à d'Empereur, Vous m'avez permis, lui dit-il, de lui parler en pere? Ah je vous en conjure, lui dit Juftinien. Hé bien, mon fils, commencez donc par vous perfuader que la nobleffe eft comme la flamme, qui fe communique, mais qui s'éteint dès qu'elle manque d'aliment. Souvenezvous de votre naiffance, puifqu'elle impofe des. devoirs; fouvenez-vous de vos aïeux, puifqu'ils font pour vous des exemples; mais gardez-vous de croire que la nature vous ait tranfmis leur gloire comme un héritage, dont vous n'ayez

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plus qu'à jouir; gardez-vous de cet orgueil impatient & jaloux qui, fur la foi d'un nom, pré. tend que tout lui cede, & s'indigne des préfé rences que le mérite obtient fur lui. Comme l'ambition a un faux air de nobleffe, elle fe gliffe aisément dans le cœur d'un homme bien né; mais cette paffion, dans fes excès, a fa baffeffe tout comme une autre. Elle fe croit haute, parce qu'elle range au deffous d'elle tous les devoirs de l'honnête homme; & fi vous voulez fçavoir ce qu'elle en fait, regardez un oifeau de proie, planer le matin fur la campa gne, & choifir d'un œil avide, entre mille animaux tremblans, celui dont il lui plaira de faire fa pâture: C'eft ainfi que l'ambition délibere à fon réveil, pour fçavoir de quelle vertu elle fera fa victime. Ah, mon ami, la perfonnalité, ce fentiment fi naturel, devient atroce dans un homme public, fitôt qu'elle eft pasfionnée. J'ai vu des hommes qui, pour s'avancer, auroient jetté au hazard le falut d'une armée & le fort d'un Empire. Envieux des fuccès qui ne leur font pas dûs, ils ont toujours peur qu'on ne leur enleve l'honneur d'une action d'éclat: s'ils ofoient même, ils feroient échouer celle dont ils n'ont pas la gloire: le bien public eft un malheur pour eux, s'il ne leur eft pas attribué. Voila l'efpece d'hommes la plus dangereufe, foit dans les Confeils, foit dans les armées. L'homme de bien fait fon devoir fans regarder autour de lui. Dieu & fon ame font les témoins dont il va mériter l'aveu. Une bonne volonté franche, un courage délibéré, un zele prompt à concourir au bien, voila les fignes d'une grande ame. L'envie, la vani té, l'orgueil, tout cela eft petit & lâche, C'eft

peu même de ne pas prétendre à ce que vou s ne méritez pas; il faut fçavoir renoncer d'avance à ce que vous mériterez; il faut fuppofer votre Souverain fujet à fe tromper, car il eft homme, regarder comme très-poffible que votre Patrie & votre fiecle vous jugent auffi mal que lui, & que l'avenir ne foit pas plus jufte. Alors il faut vous confulter, & vous demander à vous-même: Si j'étois réduit au fort de Bélifaire, m'en confolerois-je avec mon innocence, & le fouvenir d'avoir fait mon devoir ? Si vous n'avez pas eette résolution bien décidée & bien affermie vivez obscur: vous n'avez pas de quoi foutenir

votre nom.

Ah! c'est trop exiger des hommes, reprit Juftinien avec un profond foupir; & votre exemple eft effrayant. eft effrayant au premier coup d'œil, dit le vieillard, mais beaucoup moins quand on y penfe. Car enfin fuppofons que la guerre, la maladie, ou la vieilleffe m'eût privé de la vue; ce feroit un accident tout naturel, dont vous ne feriez point frappé. Hé quoi, les vices de l'humanité ne font-ils pas dans l'ordre des chofes, comme la pefte qui a défolé l'Empire? Qu'importe l'inftrument que la nature emploie à nous détruire? La colere d'un Empe reur, la fleche d'un ennemi, un grain de fable, tout eft égal (a). En s'expofant fur la fcene du monde, il faut s'attendre à fes révolutions. Vousmême, en deftinant votre fils au métier des armes, n'avez-vous pas prévu pour lui mille événemens périlleux? Hé bien comptez-y les affauts

(a) Democritum pediculi, Socratem aliud pedículorum genus, mequiffimi bipedes interemerunt. Quorfum hæc ? ingreffus es vitam; navigasti; večtus es; difede. M. Antonin. Imper, De fe ipfo, L. 31

de l'envie les embuches de la trahifon, les traits de l'imposture & de la calomnie; & fi votre fils arrive à mon âge fans y avoir fuccombé, vous trouverez qu'il a eu du bonheur. Tout eft compensé dans la vie. Vous ne me voyez qu'aveugle & pauvre, & retiré dans une mafure; mais rappellez-vous trente ans de victoires & de profpérités, & vous fouhaiterez à votre fils le deftin de Bélifaire. Allons, mon voisin, un peu de fermeté: vous avez les allarmes d'un pere; mais je me flatte que votre fils me fait encore l'honneur de me porter envie. Affurément, s'écria Tibere! Mais c'eft bien moins à vos pros. pérités, dit l'Empereur, qu'il doit porter envie, qu'à ce courage avec lequel vous foutenez Jadverfité. · Du courage, il en faut fans doute, dit Bélifaire; & il ne fuffit pas d'avoir celui d'affronter la mort : c'est la bravoure d'un Soldat. Le courage d'un Chef confifte à s'élever audeffus de tous les événemens. Sçavez vous quel eft pour moi le plus courageux des hommes? Celui qui perfifte à faire fon devoir, même aux périls, aux dépens de fa gloire; ce fage & ferme Fabius, qui laiffe parler avec mépris de fa lenteur, & ne change point de conduite; & non ce foible & vain Pompée, qui aime mieux hazarder le fort de Rome & de l'univers, que d'effuyer une raillerie. Dans mes premieres campagnes contre les Perfes, les mauvais propos des étourdis de mon armée me firent donner une bataille, que je ne devois ni ne voulois rif quer. Je la perdis. Je ne me le pardonnerai jamais. Celui qui fait dépendre fa conduite de l'opinion, n'eft jamais fûr de lui-même. Et où en ferions-nous, fi, pour être honnêtes gens, il falloit attendre un fiecle impartial & un Prin

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