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ce infaillible? Allez donc ferme devant vous: La calomnie & l'ingratitude vous attendent peutêtre au bout de la carriere; mais la gloire y eft avec elles; & fi elle n'y. eft pas, la vertu la vaut bien n'ayez pas peur que celle-ci vous manque dans le fein même de la mifere & de l'humiliation, elle vous fuivra; eh, mon ami! fi vous fçaviez combien un fourire de la vertu eft plus touchant que toutes les careffes de la for tune!

Vous me pénétrez. dit Juftinien attendri & confondu. Que mon fils eft heureux de pouvoir de bonne heure recueillir ces hautes leçons! Ah, pourquoi cette école n'eft-elle pas celle des Souverains! Laiffons les Souverains, dit Bélifaire; ils font plus à plaindre que nous. Ils ne font à plaindre, dit Juftinien, que parce qu'ils n'ont point d'amis, ou qu'ils n'en ont pas d'af fez éclairés, d'affez courageux pour leur fervit de guides. Mon fils eft né pour vivre à la Cour: peut-être un jour admis dans les Confeils, ou dans l'intimité du Prince, aura-t-il lieu de faire ufage de vos leçons pour le bonheur du monde. Ne dédaignez pas d'agrandir fon ame, en l'élevant à la connoiffance de l'art fublime de regner. Inftruifez-le, comme vous voudriez que fût inftruit l'ami d'un Monarque. Juftinien va defcendre au tombeau; mais fon fucceffeur plus heureux que lui aura peut-être pour ami le difciple de Bélifaire. Hélas, dit le vieillard, que ne puis-je encore une fois, être, avant de mourir, utile à ma Patrie! Mais ce que l'expérience & la réflexion m'ont fait voir, feroit pris pour les fonges de la vieilleffe. Et en effet, dans la fpéculation tout s'arrange le mieux du monde; les difficultés s'applaniffent; les circon

fances naiffent à propos & fe combinent à fou. hait; on fait tout ce qu'on veut des hommes & des chofes; foi-même on fe fupofe exempt de paffions & de foibleffes, toujours éclairé, toujours fage, auffi ferine que modéré. Douce & trompeufe illufion, qu'une légere épreuve auroit bientôt détruite, fi l'on tenoit en main les rênes d'un Etat. Cette illufion même a fon utilité, dit le jeune homme; car la chimere du mieux poffible devient le modele du bien. Je le fouhaite, dit Bélifaire, mais je n'ofe l'efpérer. Le plus mauvais état des chofes trouve partout des partifans intéreffès à le maintenir. Et moi, je vous réponds, dit l'Empereur, que les fruits de votre fagefle ne feront point perdus, fi Vous les confiez au zele de mon fils. Vous inéritez, dit le Héros, que je vous parle à cœur ouvert. Mais j'exige votre parole de ne rien divulguer, fous ce regne, de mes entretiens avec vous. Pourquoi, demanda Juftinien? Pour ne pas affliger de mes triftes réflexions, dit Béliaire, un vieillard qui ne fent que trop les maux qu'il ne peut réparer. Tel fut leur premier entretien.

Quelle honte pour moi, difoit l'Empereur en s'en allant, d'avoir méconnu un tel homme! Mon cher Tibere, voila comme on nous trompe, comme on nous rend injuftes malgré nous. La nuit, le jour fuivant, il ne vit dans fa Cour que l'image de Bélifaire; & vers le foir, à la même heure, il revint nourrir fa douleur.

B

CHAPITRE VIII.

ELISAIRE fe promenoit avec fon guide fur la route. Dès que l'Empereur l'apperçut, i! defcendit de fon char; & en l'abordart. Vous nous trouvez plongés, lui dit-il, dans de férieufes réflexions. Frappé de l'injuftice que l'on a fait commettre au malheureux vieillard qui vous a condamné, je méditois avec mon fils fur les dangers du rang fuprême; je lui difois qu'il étoit bien étrange qu'une multitude d'hommes libres eut jamais pu s'accorder à remettre son sort dans les mains d'un feul homme, d'un homme foible & fragile comme eux, facile à furprendre, fujet à fe tromper, & en qui t'erreur d'un moment pouvoit devenir fi funefte! Et croyez-vous, dit Bélifaire, qu'un Sénat, qu'un peuple affemblé foit plus jufte & plus infaillible? Eft-ce fous le regne d'un feul que les Camilles, les Thémiftocles, les Ariftides ont été profcrits? Multiplier les refforts du Gouvernement, c'eft en multiplier les vices, car chacun y apporte les fiens. Ce n'est donc pas fans raifon qu'on a préféré le plus fimple & foit que les Etats aient été conquis, ou fondés; qu'ils aient mis leur efpoir dans la bonté des loix, ou dans la force des armes; il eft naturel que l'homme le plus fage, le plus vaillant, le plus habile ait obtenu la confiance, & réuni les vœux du plus grand nombre. Ce qui m'étonne, ce n'eft donc pas qu'une multitude affemblée ait voulu confier à un feul le foin de commander à tous; mais qu'un feul ait jamais voulu fe charger de ce foin pénible. Voila, lui dit Tibere, ce que je n'entends pas. Pour l'entendre, dit le vieillard, mettez-vous à la place &

du peuple & du Prince dans cette premiere élec

tion.

Que rifquons-nous, a dû fe fe dire un peuple, que rifquons-nous en nous donnant un Roi? Du bien de tous nous faifons le fien; des forces; de l'état nous faifons fes forces; nous attachons fa gloire à nos profpérités; comme Souverain, il n'exiftera qu'avec nous & par nous; il n'a donc qu'à s'aimer pour aimer fes peu. ples & qu'à fentir fes intérêts pour être juste & bienfaifant. Telle a été leur bonre foi. Ils n'ont pas calculé, dit Juftinien, les paffions & les erreurs qui affiégeroient l'ame d'un Prince. Ils n'ont vu, reprit Bélifaire, que l'indivifible unité d'intérêt, entre le Monarque & la Nation: ils ont regardé comme impoffible que l'un fut jamais de plein gré & de fang froid l'ennemi de l'autre. La tyrannie leur a para une efpece de fuicide, qui ne pouvoit être que l'ef fet du délire & de l'égarement; & au cas qu'un Prince fût frappé de ce dangereux vertige, ils fe font munis de la volonté réfléchie & fage du Légiflateur, pour l'opposer à la volonté aveugle & paffionnée de l'homme ennemi de lui-même. Ils ont bien prévu qu'ils auroient à craindre un foule de gens intéreffés au mal; mais ils n'ont pas douté que cette ligue, qui ne fait jamais que le petit nombre, ne fût aifément réprimée par l'impofante multitude des gens intéreffés au bien, à la tête defquels feroit toujours le Prince. Et en effet avant l'épreuve, qui ja. mais auroit pu prévoir qu'il y auroit des Souve rains affez infenfés, pour faire divorce avec leur peuple, & caufe commune avec fes ennemis ? C'eft un renversement fi inconcevable de la nature & de la raison, qu'il faut l'avoir vu pour

le croire. Pour moi, je trouve tout fimple qu'on ne s'y foit pas attendu.

Mais à qui l'élection d'un feul, pour dominer fur tous, a dû infpirer de la crainte, c'est à ceJui qu'on avoit élu. Un pere de famille qui a cinq ou fix enfans à élever, à établir, à rendre heureux dans leur état, a tant de peine à dormir tranquille! que fera ce du chef d'une famille qui fe compte par millions?

Je m'engage, a-t-il dû fe dire, à ne vivre que pour mon peuple; j'immole mon repos à fa tranquillité; je fais vœu de ne lui donner que des loix utiles & juftes, de n'avoir plus de volonté qui ne foit conforme à ces loix. Plus il me rend puiffant, moins il me laiffe libre. Plus il fe livre à moi, plus il m'attache à lui. Je lui dois compte de mes foibleffes, de mes paffions, de mes erreurs; je lui donne des droits fur tout ce que je fuis; enfin, je renonce à moi-même, dés que je confens à regner; & l'homme privé s'anéantit, pour céder au Roi fon ame toute entiere. Connoiffez-vous de dévouement plus généreux, plus abfolu? Voila pourtant comme penfoient un Antonin, un Marc-Aurele. Je n'ai plus rien en propre, difoit l'un; mon Palais même n'est pas à moi, difoit l'autre ; & leurs pareils ont penfé comme eux.

La vanité du vulgaire ne voit dans le fuprême rang que les petites jouiffances qui la flatteroient, & qui lui, font envie, des palais, une cour, des hommages, & cette pompe qu'on a cru devoir attacher à l'autorité pour la rendre plus impofante. Mais au milieu de tout cela, il ne refte le plus fouvent que l'homme accablé de foins, & confumé d'inquiétude, victime de fes devoirs, s'il les remplit fidélement, expofé

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