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chans, les ennemis communs. Quiconque eft, intéreffé au maintien de l'ordre & du repos public, eft le défenseur né de la Puiffance qui les protege; & chaque Citoyen, dans l'ennemi du Prince, voit fon ennemi perfonnel. Dèslors il n'y a plus au-dedans deux intérêts qui fe combattent; & le Souverain, ligué avec fon -peuple, eft riche & fort de toutes les richesses & de toutes les forces de l'Etat. C'eft alors qu'il eft libre, & qu'il peut être juste, sans avoir de rivaux à craindre, ni de partis à ménager. Sa puiffance affermie au dedans, en est d'autant plus impofante & plus refpectable au-dehors; & comme l'ambition, l'orgueil, ni le caprice ne lui mettent jamais les armes à la main, fes forces qu'il ménage, ont toute leur vigueur, quand il s'agit de protéger fon peuple contre l'oppreffeur domeftique ou l'ufurpateur étranger. O mon ami! fi la juftice eft la base du pouvoir fuprême, la reconnoiffance en eft l'ame & le reffort le plus actif. L'efclave combat à regret pour fa prifon & pour fa chaine; le Citoyen li bre & content, qui aime fon Prince, & qui en eft aimé, défend le fceptre comme fon appui, le trône comme fon afyle; & en marchant pour la Patrie, il y voit partout fes foyers.

Ah! vos leçons, lui dit Tibere fe gravent dans mon cœur avec des traits de flamme. Que ne fuis je digne moi-même d'en pénétrer l'ame des Rois!

Vous voyez donc bien, reprit Bélifaire, que leur grandeur, que leur puiffance est fondée fur la juftice, que la bonté y ajoute encore, & que le plus abfolu des Monarques eft celui qui eft le plus aimé. Je vois, dit le jeune homme, que la faine politique n'est que la faine raifon,

& que l'art de regner confifte à fuivre les mouvemens d'un efprit jufte & d'un bon cœur. C'est ce qu'il y a de plus fimple, dit Bélifaire, de plus facile & de plus für. Un bon payfan d'Illyrie, Juftin a fait chérir fon regne. Etoit - ce un politique habile? Non; mais le ciel l'avoit doué d'un fens droit & d'une belle ame. Si j'étois Roi, ce feroit lui que je tâcherois d'imiter. Une prudence oblique & tortueufe a pour elle quelques fuccès; mais elle ne va qu'à travers les écueils & les précipices; & un Souverain qui s'oublieroit lui même, pour ne s'oc cuper que du bonheur du monde s'expoferoit mille fois moins que le plus inquet, le plus foupçonneux, & le plus adroit des Tyrans. Mais on l'intimide, on l'effraie, on lui fait regarder fon peuple comme un ennemi qu'il doit craindre; & cette crainte réalife le danger qu'on lui fait prévoir: car elle produit la défiance, que fuit de prés l'inimitié,

Vous avez vu que dans un Souverain les befoins de l'homme ifolé se réduisent à peu de cho fe; qu'il peut jouir à peu de frais de tous les vrais biens de la vie; que le cercle lui en est pres crit, & qu'au-delà ce n'eft que vanité, fantaisie & illufion. Mais tandis que la nature lui fait une loi d'être modéré, tout ce qui l'environne le preffe d'être avide. D'intelligence avec fon peuple, il n'auroit pas d'autre intérêt, d'autre parti que celui de l'Etat; on feme entr'eux la défiance; on perfuade au Prince de fe tenir en garde contre une multitude indocile, remuante & féditieufe; on lui fait croire qu'il doit avoir des forces à lui oppofer. Il s'arme donc contre fon peuple; à la tête de fon parti marchent l'ambition & la cupi

dité: & c'est pour affouvir cette hydre infatiable qu'il croit devoir fe réserver des moyens qui ne foient qu'à lui. Telle eft la caufe de ce partage que nous avons vu dans l'Empire, entre les Provinces du peuple & les Provinces de Céfar, entre le bien public & le bien du Monarque. Or dès qu'un Souverain fe frappe de l'idée de propriété, & qu'il y attache la fûreté de fa couronne & de fa vie, il eft naturel qu'il devienne avare de ce qu'il appelie fon bien, qu'il croie s'enrichir aux dépens de fes peuples, & gagner ce qu'il leur ravit; qu'il trouve même a les affoiblir l'avantage de les réduire; & de-là les rufes & les furprifes qu'il emploie à les dépouiller ; delà leurs plaintes & leurs murmures; de-là cette guerre inteftine & fourde qui, comme un feu caché, couvé au fein de l'Etat, & fe déclare çà & là par des éruptions foudaines. Le Prince alors fent le besoin des fecours qu'il s'est ména. gés: il croit avoir été prudent: il ne voit pas qu'en étant juste, il se seroit miș au deffus de ces précautions timides, & que les paffions ferviles & cruelles qu'il foudoie & tient à fes gages lui feroient inutiles s'il avoit des vertus. C'eft là: Tibere, ce qu'un jeune Prince doit entendre de votre bouche. Une fois bien perfuadé que l'Etat & lui ne font qu'un, que cette unité fait fa force, qu'elle eft la bafe de fa grandeur, de fon repos & de fa gloire, il regardera la propriété comme un titre indigne de la couronne; & ne comptant pour fes vrais biens que ceux qu'il affure à fon peuple (a), il fera jufte par

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(a) Trajan comparoit le tréfor du Prince à la rate, dont l'enflure caufe l'affoibliflement de tout le refte du corps.

intérêt, modéré par ambition, & bienfaisant pár amour de foi-même. Voila dans quel fens, mes amis, la vérité eft la mere de la vertu. Il faut du courage fans doute pour débuter par elle avec les Souverains; & quand de lâches complaifans leur ont perfuadé qu'ils regnent pour eux-mêmes, que leur indépendance confitte à vouloir tout ce qui leur plaît, que leurs capri ces font des loix fous lefquelles tout doit fléchir; un ami fincere & courageux eft mal reçu d'abord à détruire ce faux fyftême. Mais fi une fois on l'écoute, on n'écoutera plus que lui; la premiere vérité reçue, toutes les autres n'ont qu'à venir en foule, elles auront un libre accès; & le Prince, loin de les fuir, ira lui-même au devant d'elles.

La vérité lui aura fait aimer la vertu; la ver. tu, à fon tour, lui rendra la vérité chere. Car le penchant au bien que l'on ne connoît pas, n'est qu'un instinct confus & vague; & défirer d'être utile au monde, c'est défirer d'être éclairé. Or la vérité que doit chercher un Prince, eft la connoiffance des rapports qui intéreffent l'humanité. Pour lui le vrai; c'est le jufte & l'utile; c'eft dans la fociété, le cercle des befoins, la chaîne des devoirs, l'accord des intérêts, l'échange des fecours, & le partage le plus équitable du bien public entre ceux qui l'operent. Voila ce qui doit l'occuper & l'oc. cuper toute fa vie. S'étudier foi-même, étu dier les hommes (a), tâcher de démêler en eux le fond du naturel, le pli de l'habitude la

(a) Quanam funt eorum mentes. quibus rebus ftudent, qua habent in honore, quæ amant. Cogita te nudas ipferum mentes intueri. Marc. Antonin. L. 9.

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trempe du caractere, l'influence de l'opinion, le fort & le foible de l'efprit & de l'ame, s'inftruire, non pas avec une curiofité frivole & paffagere, mais avec une volonté fixe & impofante pour les flatteurs, des mœurs des facultés, des moyens de fes peuples, & de la conduite de ceux qu'il charge de le gouverner; pour être mieux inftruit, donner de toutes parts un libre accès à la lumiere, en déteftant une délation fourde, encourager, protéger ceux qui lui dénoncent hautement les abus commis en fon nom: voila ce que j'appelle aimer la vérité; & c'est ainsi que l'aimera, dit-il, s'adreffant à Tibere, un Prince bien perfuadé qu'il ne peut ê. tre grand qu'autant qu'il fera jufte. Vous lui aurez appris à fe rendre indépendant & libre au milieu de la Cour; c'eft à préfent de fa liberté même qu'il doit favoir fe défier; c'est avec elle que je vous mets aux prifes, & c'eft encore ici que votre zele a befoin d'être courageux. II le fera, dit le jeune homme, & vous n'avez qu'à l'éclairer. A ces mots ils fe féparerent.

C'est une chofe étrange, dit l'Empereur, que par-tout & dans tous les tems, les amis du peu. ple aient été haïs de ceux qui, par état, font les peres du peuple. Le feul crime de ce Héros eft d'avoir été populaire : c'est par-là qu'il a donné prife aux calomnies de ma Cour, & peutêtre à ma jaloufie. Hélas! on me le faifoit craindre! j'aurois mieux fait de l'imiter.

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