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« l'honneur des dieux et les éloges des grands hommes (1). » En proscrivant Homère, Platon proscrivait le polythéisme, la religion de son temps et de son pays; il demandait que les livres d'Homère, à la fois épopée, histoire et poésie domestique des Grecs, ne fussent pas reçus dans sa république, c'est-à-dire qu'il fondait un État philosophique, novateur, révolutionnaire. Jamais utopie plus audacieuse n'a été offerte à un pays : aussi avec quel ménagement, avec quels artifices n'amène-t-il pas ses propositions les plus choquantes ! Au commencement, Socrate avait jeté en passant que tout devait être commun, la propriété, les femmes et les enfants. Un des interlocuteurs le tirant par le pan de sa robe : Socrate, tu n'iras pas plus loin; il faut t'expliquer là-dessus. C'est seulement sur cette provocation que Socrate expose la théorie de la communauté. De même il avait annoncé, dans les premiers chants du dialogue, qu'Homère et les poëtes devaient être bannis d'une république parfaite; on le ramène aussi là-dessus, et c'est encore une sommation nouvelle qui précède cette digression délicate. La morale est invoquée par Platon pour expliquer l'exil d'Homère; mais il y a une pensée plus profonde que la morale, la pensée religieuse. En condamnant les passions dramatiques des héros, Platon renversait la théologie grecque, qui est un indivisible mélange des dieux et des hommes, et dont ne pouvait s'accommoder une théodicée empruntée à l'Égypte (2).

Au surplus, dans tous les temps, toutes les théologies se sont élevées contre les arts d'imitation, quand ceux-ci ont cessé de les servir et de les célébrer exclusivement. Elles ont condamné la poésie dramatique, reflet orageux de toutes les

(1) Lib. X.

(2) Des études ultérieures m'ont confiriné dans ce point de vue. On trouvera dans la théorie que j'ai tracée de la religion grecque (Histoire des législateurs et des constitutions de la Grèce antique, t. I, chap. IV) la suite des révolutions traversées par le culte chez les Hellènes. (Note de la 5e édition.)

passions humaines. Bossuet tonne contre les spectacles et les défend aux catholiques; l'austère Genève ne souffre pas de théâtres dans ses murs, et Rousseau signifie à M. de Voltaire d'aller faire jouer ses tragédies ailleurs. Il n'y a pas de transaction possible entre les grandes ferveurs du spiritualisme religieux et la liberté de l'art. Accordez un peu, si vous pouvez, Bossuet et Molière, Aristophane et Platon.

Il y a si bien une pensée religieuse dans la proscription d'Homère, que Platon aussitôt après enseigne l'immortalité de l'âme, la rémunération de l'homme dans d'autres vies qui doivent suivre son existence actuelle, et que dans un mythe ingénieux, dans le récit de la vision de Her, Arménien, originaire de Pamphilie, il oppose la pureté de ses croyances à la frivole indifférence de son siècle sur la destinée future. « Cette histoire, mon cher Glaucon, s'est conservée jusqu'à «nous; et, si nous y ajoutons foi, elle est très-propre à « nous conserver nous-mêmes. Nous passerons heureusement « le fleuve d'oubli, et nous préserverons notre âme de toute << souillure; si nous nous en tenons à ce que j'ai dit, nous « croirons que notre âme est immortelle, et capable par sa « nature d'un grand bonheur ou d'un grand malheur. Nous « marcherons toujours par la route céleste; nous nous atta«cherons à la pratique de la justice et de la sagesse; par là << nous serons en paix avec nous-mêmes et avec les dieux; « et, après avoir remporté sur la terre le prix destiné à la « vertu, semblables à ces athlètes victorieux qu'on mène en « triomphe par toutes les villes, nous serons encore cou« ronnés là-bas, et nous goûterons une joie délicieuse dans. « ce voyage de mille ans dont nous avons parlé (1). »

C'est encore dans la République que, non content de montrer ainsi l'aurore d'un dogme nouveau, Platon, à travers de splendides images, laisse apercevoir les mystères de son ontologie. Il enseigne en substance que ce monde où

(1) Fin de la République, liv. X.

nous paraissons est contingent et périssable, et qu'il est l'émanation altérée, mais ressemblante, d'un monde supérieur. Ce monde au-dessus de nos têtes est le monde des idées et des essences; ces idées ne sont pas seulement des conceptions et des souvenirs de l'esprit (1), mais des types éclatants revêtus de gloire et de lumière, types dont les exemplaires dégénérés constituent le monde que nous habitons. Plus haut encore, par delà le monde idéal, est le un, bonté, vérité, beauté, qui n'est ni une idée, ni une essence, mais qui, supérieur aux essences et aux idées, les a toutes engendrées, raison universelle et dernière de tout ce qui est.

Un autre dialogue du philosophe athénien, qu'il a pu écrire aussitôt après avoir visité l'Égypte, suivant l'ingénieuse conjecture de Tennemann, présente d'une manière plus resserrée, moins adoucie, la théorie de la monarchie theocratique. L'homme d'État doit se modeler sur Dieu, modérateur du monde et pasteur des hommes, se façonner autant que possible à cette divine ressemblance, et se sauver de toute analogie avec le peuple, qui est gouverné et non pas gouvernant. Semblable à Dieu, l'homme d'État est la loi vivante; il la constitue et se confond avec elle. Platon semble avoir concentré dans le Politique toute la substance de la sociabilité orientale. Ast, dans son essai sur la vie et les ouvrages de Platon (2), remarque fort bien que le philosophe a déposé dans ce dialogue le germe de ses derniers et plus beaux ouvrages. Ainsi il y fait découler sa politique de l'ordre de la nature; il met en présence l'univers et la sociabilité, et veut régler l'humanité sur l'harmonie divine qui vivifie le monde. Plus tard Platon a séparé ce qu'il réunit dans le Politique. Dans sa République, il développe à part sa morale et son utopie de l'État; dans le Timée, il chante la nature et en déroule la magnifique universalité pour en faire le type

(1) Voyez le Menon.

(2) Platons Leben und Schriften. Leipzig, 1816.

d'une sociabilité rationnelle à laquelle doit s'élever l'humanité. Enfin dans le Critias, il réunit de nouveau la nature et la société dans le mythe d'un monde primitif.

Il s'est donc trouvé un homme, contemporain de la guerre du Péloponèse et qui mourut vers le temps où Démosthènes prononçait sa première Philippique, qui, au sein de la démocratie athénienne, a fait la théorie philosophique de la monarchie, du sacerdoce, a innové contre le polythéisme, et s'est fait le chantre d'un dogmatisme plein de poésie et de mystères, entre Périclès et Philippe de Macédoine. Il a protesté avec génie contre la démocratie grecque et la corruption du paganisme, en ramenant dans la législation l'ordre, la morale et Dieu. Ces sociétés capricieuses et pétulantes de la Grèce oubliaient dans l'étourdissement de leur liberté arbitraire les idées immuables de l'humanité, sacrifiaient la raison à la volonté populaire et aux inépui sables sophismes du génie national. Platon, majestueux comme un prêtre de Saïs, oppose à cette légèreté des enseignements nouveaux, qui changeront la philosophie et prépareront le christianisme. Débarrassez cet Athénien des voiles brillants dont il couvre sa pensée, vous serez surpris de la trouver déjà si chrétienne, et tellement chrétienne (1), que plus tard les néoplatoniciens accuseront le christianisme de s'être emparé des doctrines du fondateur de l'Académie, et que de leur côté les chrétiens revendiqueront Platon pour le placer dans leur Église.

C'est en considérant ainsi toute la profondeur des nouveautés platoniciennes que l'on arrivera à ne plus s'étonner des étranges erreurs où est tombé ce grand homme. Platon est si fort préoccupé de Dieu, qu'il méconnaît l'homme; de l'ordre universel, qu'il outrage la liberté de l'individu ; de l'État, qu'il efface la famille; il assimile tellement l'humanité à la

(1) Voyez, entre autres détails, la célèbre peinture du juste et de sa destinée, au livre II de la République.

nature, qu'il veut faire vivre dans la société les hommes d'une vie commune, comme les arbres d'une vaste forêt, dont la végétation appartient à la fois au ciel et à la terre. Ainsi toutes les variétés inviolables de la liberté humaine seront étouffées dans ce despotisme novateur, qui semble n'avoir retrouver l'ordre qu'en demandant à la nature de l'homme les plus sanglants sacrifices.

pu

CHAPITRE II.

ARISTOTE.

Vers la cent troisième olympiade entrait dans Athènes un jeune Macédonien, sujet du roi Philippe. Aristote, fils de Nicomaque, apportait à l'école de Platon une raison vaste et sévère, disposée à faire peu de cas des images et des symboles, cherchant à se rendre compte de tout et ne voulant conclure qu'après avoir observé. Ce jeune homme commença par suivre les leçons d'un maître qu'il devait contredire et balancer au moins. L'idéal de Platon donna l'éveil à son génie, lui fit exercer dés qualités tout à fait contraires, qui le menèrent à substituer la réalité dans la philosophie sociale au poétique mysticisme du père de l'Académie.

Aristote ne réfléchit plus le siècle de Périclès; il introduit dans la philosophie l'esprit et la monarchie d'Alexandre: même dictature, mèmes conquêtes, et la Grèce ne devient assez forte pour envahir l'Orient qu'en laissant mourir Démosthènes, en faisant taire sa tribune et disparaître la richesse et la variété de son génie si mobile sous le despotisme puissant et uniforme d'Aristote et d'Alexandre.

Le philosophe macédonien apportait une indépendance facile dans l'examen de l'histoire et des constitutions politiques. Libre des préjugés et des liens de la démocratie athénienne, il put observer les différentes formes sociales, l'aristocratie, la monarchie, comme la démocratie, apprécier

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