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vers répétés à quelque distance avec une exactitude rigoureuse, les parenthèses, les comparaisons ou les métaphores, tous les ornements que les grammairiens avaient distingués et étiquetés dans la poésie d'Homère, Virgile se les est assimilés par une longue et patiente étude, et les a fort ingénieusement reproduits. Enfin et surtout le milieu dans lequel se déroule son récit, l'atmosphère qui le baigne, sont d'origine essentiellement homérique. Des dieux nombreux, actifs, passionnés, prenant parti pour ou contre les divers combattants, luttant ou rusant les uns avec les autres, et malgré cela, soumis aux ordres d'un maître suprême, dont la volonté se confond à peu près avec l'immuable destinée; - plus bas, des rois ou des chefs énergiques, infatigables dans la défaite comme dans le succès, dans les batailles comme dans les voyages, acharnés à la poursuite du but qu'ils se sont assigné, et pourtant, assez souvent, pitoyables aux faibles, par-dessus tout épris d'honneur et de gloire, avec quelque chose de déjà féodal ou de chevaleresque ; plus bas encore, des nations ou des troupes dociles aux ordres des dieux et des rois, simples de mœurs, frugales, d'une endurance toute primitive, non sans un certain luxe barbare quelquefois ; autour de ces êtres humains, une nature par endroits cultivée, mais encore tout près de sa liberté première, et, sinon sauvage, du moins jeune et indépendante; voilà le tableau que nous présente l'Énéide: dans ses lignes principales, il concorde très bien avec celui qui nous est tracé dans l'Iliade ou dans l'Odyssée.

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Autres sources de l'Énéide. Homère a donc fourni le premier fond de l'Énéide; mais sur ce terrain, comme autant d'alluvions, sont venus se superposer beaucoup d'autres emprunts. Pour les parties du cycle troyen que ne contenaient ni l'Iliade, ni l'Odyssée, Virgile s'est adressé aux poètes cycliques, continuateurs et imitateurs d'Homère, et sans doute aussi aux poètes érudits de l'époque postérieure. Notamment pour le II livre, où il fait le récit de la chute d'llion, on a conjecturé qu'il avait suivi le poème de Pisandre. Il y a aussi dans l'Énéide quelques réminiscences des tragiques grecs, surtout d'Euripide. Un au moins des Alexandrins, sans parler des autres, a été largement mis à contribution, c'est Apollonios de Rhodes. Le IV chant de l'Énéide, celui qui est spécialement consacré à la peinture de l'amour (sentiment à peu près absent de la poésie homérique), rappelle de très près le III livre des Argonautiques, et Didon a plus d'un trait de Médée. Dans ses conceptions religieuses aussi, Virgile paraît s'inspirer d'Apollonios assez souvent. Les poètes ne sont pas les seuls auteurs grecs auxquels il doive beaucoup : il est encore, en plus d'un endroit, le disciple des philosophes. Cela est visible surtout dans le VI livre, où il fait exposer par Anchise une théorie du monde et de la des

tinée, humaine. Cette théorie est d'ailleurs assez composite, comme le sont en général les doctrines des penseurs romains. L'idée des récompenses et des peines assignées aux hommes dans la vie future provient de Platon; celle de la transmigration des âmes dans d'autres corps, sans être étrangère à Platon, est surtout d'origine pythagoricienne; celle de l'âme unique et divine qui anime le monde entier, et dont chaque âme individuelle n'est qu'une émanation particulière, vient des stoïciens. En somme, toutes les grandes écoles de la Grèce ont. contribué à former la philosophie de l'Énéide, toutes, sauf une, l'école épicurienne, celle pour laquelle Virgile avait eu peut-être le plus de penchant dans sa jeunesse, mais à laquelle nous l'avons vu dire adieu dans les Géorgiques.

Les écrivains latins ne sont pas oubliés. Il est possible que, pour les légendes italiennes et pour les rites de la religion romaine, Virgile se soit documenté chez les historiens ou grammairiens de son pays : les anciens annalistes, Caton, Varron surtout, ont dû lui fournir plus d'un renseignement. Les poètes archaïques lui ont aussi rendu de précieux services, surtout les auteurs d'épopées, Naevius et Ennius. Outre des vers, quelquefois textuellement reproduits, il leur a emprunté maints développements intéressants sur des épisodes de l'histoire romaine. Dans le VIII livre entre autres, si rempli d'antiquités nationales, le commentaire de Servius met souvent en note ces mots significatifs locus plane Ennianus. Les scoliastes signalent quelques imitations de poètes plus récents, voire contemporains, tels que Varius. Quant à nous, nous voyons que les deux seuls poètes de la génération précédente que nous connaissions, Lucrèce et Catulle, ont apporté largement leur quote-part à la formation de l'Énéide. Pour Lucrèce, si Virgile n'est plus son disciple en philosophie, il est resté son admirateur en poésie, et il en imite de temps en temps les plus belles descriptions. Et Catulle, enfin, doit être nommé aussi, ne fût-ce que pour les analogies non fortuites qui rapprochent de son Ariadne la Didon virgilienne.

Voilà, pour l'Énéide, bien des sources ou des modèles. Cette énumération, probablement incomplète (tant notre connaissance des littératures antiques offre de lacunes), montre déjà avec quel soin Virgile a préparé son poème. Quoique ce soit une œuvre d'imagination, il ne s'est pas donné libre carrière; il s'est astreint à conserver le plus possible des trésors que les époques précédentes lui avaient légués. Pour les faits qui constituent la trame de son récit, il a consulté, presque avec autant de scrupules qu'aurait pu le faire un historien, les auteurs qui en avaient parlé ; et, s'il ne les a pas toujours suivis en tout point 1, ç'a

1. Nous touchons ici à une des questions les plus discutées. Les

érudits modernes, surtout les Allemands, veulent à tout prix que

été pour des raisons profondes, non par ignorance ou négligence. D'autre part, pour la forme, il a tàché de faire passer dans ses vers, les beautés qu'il admirait chez les maîtres grecs et latins. L'Enéide renferme ainsi, en abrégé, presque toute la substance de la poésie antique; c'est une synthèse, une « somme »>, comme on dira plus tard. Nul doute que ce mérite n'ait été très grand aux yeux des anciens nous voyons les commentateurs de l'époque impériale, Aulu-Gelle, Macrobe, Donat, Servius, expliquer les vers de l'enéide, comme ils le feraient pour un texte historique. Tantôt ils discutent le bien-fondé de telle assertion, l'exactitude de tel détail de rites ou de mœurs; plus généralement ils approuvent le poète pour sa fidélité aux traditions les plus autorisées. Ils examinent aussi les mots dont Virgile se sert, les rapprochent de ceux des poètes qu'il a traduits ou imités. Toute cette perpétuelle confrontation, qui parfois nous impatiente par sa puérilité, a au moins l'avantage de nous faire connaître à quel point de vue les lecteurs d'alors se plaçaient pour apprécier l'Énéide: Virgile doit une grande partie de son

succès à son érudition.

Avec nos habi

L'art de la composition dans l'Énéide. tudes modernes, nous sommes tentés de trouver cette érudition un peu inquiétante; elle nous semblerait, plutôt qu'un mérite, un fardeau, qui risque de surcharger le poète. Mais Virgile la porte légèrement, et s'en sert sans en être gêné. Déjà, dans les Bucoliques et les Géorgiques, on avait pu admirer son aisance à fondre ensemble des éléments divers, après se les être, les uns et les autres, profondément assimilés. Cet art est peutêtre plus remarquable encore dans l'Énéide, car les matériaux y sont plus nombreux, et de provenances plus différentes, et pourtant ils sont aussi étroitement unis. Dans l'ensemble de l'œuvre, on ne découvre guère de disparates: grecques ou latines, poétiques ou historiques, les données avec lesquelles Virgile a bâti son récit ont bien l'air de lui appartenir toutes, et de faire corps ensemble. Dans le détail, parfois, le raccord est un peu insuffisant il y a des incohérences, des contradictions ou des superfétations, mais jamais elles ne sont graves, et elles peuvent s'expliquer par l'état d'inachèvement où l'Énéide est demeurée. Si Virgile avait eu le temps d'y mettre partout la dernière main, comme il l'a fait dans la plupart des endroits, il serait à peu près

Virgile n'ait rien inventé. Cependant, parfois, les scoliastes signalent une divergence entre ses rẻcits et ceux de ses prédécesseurs, des Grecs et de Varron. Dans ces cas-là, au moins, il faut bien que Virgile ait inventé, à moins

qu'il ne soit allé chercher en quelque endroit obscur une source inconnue, ce qui serait encore une espèce d'invention, et une preuve de cette indépendance qu'on s'obstine à lui refuser.

impossible de trouver en défaut son habileté de composition. Pour bien l'apprécier, le meilleur moyen est d'étudier une partie déterminée de l'ouvrage. Prenons, par exemple, le livre VI, qui peut sembler le moins strictement lié au reste du récit. Outre sa valeur intrinsèque, résultant des thèmes mythologiques et des idées philosophiques qu'il renferme, il est dans un rapport étroit avec ce qui précède et ce qui suit. Avec ce qui précède la rencontre de Palinure nous ramène au V livre, celle de Didon au IV, celle de Déiphobe au II. Avec ce qui suit: Anchise prédit à Énée les épreuves qu'il va rencontrer en Italie, et la gloire qui l'attend une fois qu'il les aura surmontées. Ainsi ce qu'on serait tenté au premier abord de juger une éclatante digression, est en fait une pièce nécessaire de l'action. On pourrait faire l'expérience sur n'importe quel chant: aucun n'apparaîtrait comme inutile ou isolé.

C'est là, dira-t-on peut-être, un mérite un peu inférieur, une habileté purement technique. Mais, d'abord dans une œuvre d'art, la technique n'est jamais négligeable. De plus, les artifices ingénieux dont Virgile s'est servi pour assembler ses matériaux lui ont permis de les faire tous concourir à un même dessein, de les subordonner à une pensée maîtresse. Par là, ces procédés prennent une valeur bien plus considérable. Ils deviennent les auxiliaires de l'intention générale qui anime tout le poème, qui lui donne son unité, non plus extérieure et factice mais profonde et vivante. Le « métier » est mis au service de l'inspiration.

Unité d'inspiration de l'Énéide: le patriotisme. Cette inspiration, nous savons déjà où il faut la chercher : dans le sentiment national. 11 est partout visible que Virgile n'écrit que pour exalter la gloire du « peuple roi » (c'est en effet une de ses plus saisissantes formules). Les scoliastes qui appelaient l'Énéide une « histoire romaine », res gestae populi romani, ne se trompaient que pour la forme extérieure, non pour l'âme, pour la pensée, bien plus importante.

Une difficulté se présentait à l'écrivain: comment introduire Rome, autrement que comme un nom magnifique, comme une glorieuse promesse, dans un poème dont l'action se passe plusieurs siècles avant Romulus, alors que ni Rome n'existe, ni même Albe, sa métropole, ni même Lavinium, métropole d'Albe? Virgile n'a pas reculé devant cette difficulté. Rome est sans cesse présente dans ses vers, la vraie Rome, avec son histoire, ses héros et ses moeurs. Il y a autant, plus même de réalité romaine dans l'Énéide que dans les vieilles épopées de Naevius et d'Ennius, qui racontaient directement les grands faits des annales nationales. Virgile a trouvé le moyen de faire entrer dans un récit légendaire toute l'histoire de son pays, même la plus récente. Il y a mis une précision, une assiduité, une finesse, qui

décèlent un artiste tout à fait adroit, mais qui en même temps sont rehaussées et soutenues par la grandeur de l'intention patriotique.

Les origines » des choses romaines dans l'Énéide. Pour donner à son poème ce puissant intérêt national, Virgile a pris soin, entre autres choses, de le rattacher à l'époque actuelle, en y représentant, le plus souvent possible, les origines lointaines de ce que connaissaient et aimaient ses contemporains. Ce n'est pas seulement le peuple romain dans son ensemble qui a ses titres de noblesse dans l'Énéide, ni la dynastie impériale, la gens Julia, sortie d'Iule, ni quelques familles troyennes, réputées issues des compagnons d'Énée (les Sergii de Sergeste, les Memmii de Mnesthée, les Cluentii de Cloanthe). Un nombre infini d'usages, surtout dans les rites religieux, sont présentés par le poète, soit expressément, soit tacitement, comme remontant à l'époque troyenne. L'avertissement que les Nymphes donnent à Énée, Vigilasne, Aenea? Vigila, est textuellement la formule qu'employaient, en un jour de fète, les Vestales s'adressant au roi des sacrifices. L'habitude d'ouvrir les portes du temple de Janus au moment d'une guerre, si connue à Rome, est attribuée au roi Latinus. Les jeux célébrés par les compagnons d'Enée au livre V sont les mèmes que les « jeux troyens » d'Auguste, et, pour que la ressemblance soit plus frappante, le poète introduit dans ces jeux un carrousel, qui n'existait pas dans le récit homérique dont il s'est inspiré, mais qui figure dans les jeux de son époque. Le sacrifice en l'honneur d'Hercule, avec le sacerdoce des Potitii et des Pinarii, rappelle le culte de l'Ara Maxima. Souvent, quand nous cherchons la raison d'un détail qui nous semble extraordinaire dans l'Énéide, nous la pouvons trouver dans le désir qu'a Virgile de conformer son récit aux habitudes consacrées de son pays. Par exemple, si vandre, au livre VIII, montre à née certains endroits de l'emplacement de la future Rome, et pas tous, le choix n'est pas laissé au hasard: la promenade des deux héros a le même itinéraire que les processions triomphales, les plus solennelles peut-être de toute la religion romaine. Si Amata, femme de Latinus, est en proie au délire orgiaque, c'est que Virgile a voulu décrire par avance les Bacchanales latines, les Liberalia, qui étaient encore en honneur de son temps. On pourrait multiplier indéfiniment les exemples, mais ceux-là suffisent pour montrer l'incessante analogie que Virgile a maintenue entre les scènes de l'Énéide et celles de la vie romaine, analogie destinée à éveiller, à stimuler la ferveur patriotique de ses lecteurs.

Un

Transformation des épisodes empruntés à Homère. autre moyen dont Virgile s'est servi avec beaucoup de bonheur est celui qui consiste à transformer, dans un sens national, les

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