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CHEVRIERS. (Fac-similé d'une gravure du Virgile du Vatican.)

CHAPITRE II

La composition des Bucoliques.

Les premières églogues. La plupart des biographes s'accordent à penser que les deux églogues les plus anciennes de Virgile (1) sont la II et la III

1. Nous rencontrons ici une difficulté à peu près insoluble, celle de savoir à quelles dates et dans quel ordre ont été composées les diverses églogues. Il est rare que l'une d'elles renvoie à une autre, et d'autre part les allusions certaines qu'elles contiennent sont trop peu fréquentes pour fournir des indices chronologiques bien précis. Une chose est à peu près sûre (quoiqu'un savant italien, M. Mancini, l'ait contestée récemment), c'est que l'ordre de composition n'est pas le même que l'ordre du recueil. Celui-ci a été adopté par Virgile pour une pure raison d'art, pour faire alterner les dialogues (I, III, V, VII, IX) et les églogues narratives (II, IV, VI, VIII, X); c'était une distinction de forme déjà connue dans les

(43 ou 42 av. J.-C.), et cela est

écoles alexandrines. Quant à l'ordre véritable de composition, les critiques diffèrent d'avis. Ribbeck propose II, III, V, VII, I, IX, VI, IV, VIII, X; M. Plessis, II, III, V, IV, VI, VII, VIII, I, IX, X; toutes ces opinions sont forcément conjecturales. L'églogue IV est certainement de la fin de 41 ou de 40, puisqu'elle parle du consulat de Pollion; la VIII" est de 39, puisqu'elle célèbre la victoire du même Pollion en Dalmatie. La IX est certainement postérieure à la Ire et à la Ve; puisqu'elle en rappelle certains vers, de même la Ve est postérieure à la II et à la III. En dehors de cela, tout ce qu'on peut dire, c'est que les églogues purement bucoliques semblent les plus anciennes, et que celles qui contiennent des al

en effet fort probable. Elles ont pour trait commun d'être purement artistiques, c'est-à-dire de n'avoir aucune relation, ou presque aucune, avec la réalité contemporaine. La II n'est qu'une poésie amoureuse et champêtre. La III contient quelques vers où le poète nomme son protecteur Pollion, ses adversaires Bavius et Maevius; mais, à part ces détails fugitifs, elle appartient dans l'ensemble au même genre que la II. Toutes deux sont remplies d'imitations de Théocrite; le souci de la forme y a plus de part que les sentiments personnels. Avec la VII, qui est probablement postérieure, mais qui procède du même esprit, elles représentent la première manière de Virgile, la manière alexandrine, qu'il faut d'abord définir.

L'alexandrinisme de Théocrite. L'art alexandrin, en général, est à la fois un art d'école et un art mondain. Les poètes du temps des Ptolémées sont des gens de lettres de profession, ce que n'étaient guère les auteurs grecs de la grande époque ; beaucoup d'entre eux sont même critiques, grammairiens, bibliothécaires. De là vient la place que l'érudition tient dans leurs œuvres ils ont beaucoup lu, ils savent beaucoup, et utilisent copieusement ce qu'ils savent; les réminiscences des poètes antérieurs, les allusions astronomiques, géographiques, historiques, mythologiques surtout, remplacent souvent chez eux l'inspiration originale. De là vient aussi leur application minutieuse au travail du style et de la versification : s'ils s'inquiètent peu des grandes lignes de la composition, ils polissent à loisir les détails de l'expression; tout ce qui concerne le choix des mots et leur arrangement, les coupes, les sonorités, est bien plus raffiné chez eux que chez leurs devanciers. Mais en même temps, pour plaire aux cercles aristocratiques, ils prennent volontiers comme matière les sentiments amoureux: seulement, c'est surtout l'amour élégant et délicat qu'ils représentent, la galanterie plutôt que l'amour proprement dit.

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Parmi tous ces artistes ingénieux et froids, Théocrite, qui a été le modèle de Virgile, se distingue par des qualités particulières. Il n'est guère alexandrin que par la perfection de la forme, mais il s'élève souvent au-dessus de la galanterie, et s'affranchit de la fatigante érudition où s'attardent les autres. Il a eu l'excellente idée de consacrer son rare talent d'observateur à dé

lusions politiques paraissent plus récentes. Mais, comme l'a justement fait observer M. Paul Jahn, Virgile a fort bien pu, même après avoir commencé à écrire des églogues à allusions, revenir de temps en temps à son premier genre, et écrire de nouveau des églogues

purement champêtres. Aussi serait-il vain de prétendre étudier les Bucoliques dans leur ordre de dates. On peut seulement essayer de deviner cet ordre, et, pour le reste, il faut les prendre telles que Virgile lui-même a voulu les présenter.

peindre les mœurs des petites gens de la ville et de la campagne, principalement de la campagne, et il l'a fait avec une précision, une netteté, une franchise qu'on peut comparer à celle des peintres hollandais du dix-septième siècle. Très savante et très fine par la facture, son œuvre est en même temps très réaliste par le fond; cela fait un mélange fort savoureux.

Tel est le poète dont Virgile s'est inspiré pour ses églogues, et en particulier pour les plus anciennes. Comment l'a-t-il imité ? Virgile et Théocrite. Il règne à ce sujet, chez beaucoup de commentateurs modernes, surtout chez les philologues allemands, une opinion qui, sans être tout à fait fausse, est du moins très exagérée : c'est celle qui refuse à Virgile toute espèce d'originalité, qui en fait un simple traducteur (1). Elle se rattache à une théorie plus générale, qui supprime complètement le don de création chez les écrivains latins, et les réduit au rôle de plagiaires. Il est certain qu'il y a beaucoup d'imitations chez les poètes romains, notamment chez Virgile, mais voyons si elles sont aussi serviles qu'on le prétend.

D'abord, notons qu'on ne rencontre chez Virgile aucune églogue tout entière traduite, ou même imitée, de Théocrite. Des poètes français, Ronsard au seizième siècle, et, de notre temps, Jean Richepin, ont « traduit », dans toute la force du terme, certaines idylles du poète alexandrin: Virgile ne l'a jamais fait. Il use d'un autre procédé, qui est constant dans la littérature latine, de la « contamination ». Il réunit dans une seule églogue des éléments empruntés à deux ou trois idylles grecques. Par exemple sa II' églogue est imitée des idylles III, XI, XXIII; la III, des idylles IV et V; la VII, des idylles VI et VIII (2), absolument comme l'Andrienne de Térence réunit l'Andrienne et la Périnthienne de Ménandre, etc.

Si maintenant nous regardions en détail chacun des éléments empruntés, nous verrions qu'assez souvent l'imitation est littérale, mais que souvent aussi elle est libre. Citons-en au moins un exemple. Chez Théocrite, le berger qui sert de modèle au Corydon de Virgile dit simplement (II, 38): « La mer se tait, les vents se taisent, mais le chagrin ne se tait pas dans mon

1. Cette opinion est tellement ancrée dans l'esprit des commentateurs d'outre-Rhin, qu'elle les amène parfois à corriger systėmatiquement le texte de Virgile pour que l'imitation du grec soit plus littérale. Par exemple, vers la fin de la Ire églogue, les manuscrits donnent: Ante leves ergo pascentur in aethere cervi; un philologue allemand corrige ae

there en aequore, sous prétexte que ce passage est imité d'Archiloque, et que, chez Archiloque, il est question de la mer et non de l'air. Virgile serait, à ce compte, incapable de changer un mot à ce qu'il imite!

2. Et, dans les groupes que nous étudierons plus loin, la Ve églogue est imitée des idylles I et VII; la VIII, des idylles II et III.

cœur. » De cette antithèse brève et vigoureuse, Virgile a tiré deux effets différents au début, contraste entre le silence de la nature et l'agitation de l'âme du berger; vers la fin, contraste entre les feux du soleil qui s'apaiseront le soir, et l'ardeur de l'amour, qui restera inapaisée (II, 7-13, 66-68). Il est visible, dans cet endroit et dans plusieurs autres, que le poète latin s'applique à raffiner sur son devancier. Le résultat peut n'être pas très heureux, mais tout au moins y a-t-il une certaine recherche d'originalité.

D'une façon plus générale, et en dépit des nombreux vers plus ou moins fidèlement traduits, les églogues de Virgile ne produisent pas le même effet que les idylles de Théocrite. Elles leur sont supérieures sur certains points, inférieures sur beaucoup d'autres, mais en tout cas différentes. Le réalisme y est beaucoup moins vif et, disons-le en passant, beaucoup moins cru que chez l'auteur grec. Théocrite avait pris à cœur de représenter de vrais paysans, grossiers, malembouchés et malodorants, prêts à échanger force coups de gueule et coups de poing les bergers de Virgile sont beaucoup mieux élevés; leurs querelles se réduisent fréquemment à être des concours de chansons ou des échanges de fines épigrammes; leur amour est le plus souvent une galanterie précieuse et romanesque. Comme peintre de la nature, Théocrite était également très précis; il appelait volontiers les arbres et les fleurs par leurs noms particuliers. Virgile en fait quelquefois autant, mais alors il tombe dans l'accumulation surchargée, comme dans la II églogue, où il énumère pêle-mêle un nombre invraisemblable de fleurs. Ce n'est pas son défaut habituel il est plutôt vague; ses paysages ne sont ni siciliens ni italiens, ce sont des paysages indéterminés, qu'on n'a envie de situer nulle part. En un mot, il a beaucoup moins de netteté et de relief que son modèle.

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Mais peut-être a-t-il plus d'émotion. Il sent plus vivement les impressions de joie ou de fatigue que la nature peut faire éprouver à l'homme. Il sent mieux encore les impressions proprement humaines, les espérances et les douleurs de l'amour, qu'il place par tradition dans un cadre bucolique, mais qui l'intéressent par elles-mêmes. Son âme délicate et tendre, qui n'a pas le sang-froid un peu sec de Théocrite, s'associe aisément à la vie sentimentale des personnages qu'il met en scène. C'est là son don propre, un don qui n'est pas encore aussi développé qu'il le sera plus tard: Corydon ne vaut ni Didon, ni même Gallus, mais déjà il les fait pressentir. Et ainsi les plaintes des bergers virgiliens, malgré ce qu'elles ont de fade et de conventionnel, ne laissent pas d'être très touchantes, et de promettre quelque chose de plus touchant encore.

La forme, dès ces premières églogues, est très achevée. Les phrases sont bien coupées, bien balancées; les vers sont d'un

rythme harmonieux, berceur, sans mollesse pourtant. Les couplets symétriques ou « amébées », qui sont de tradition dans le genre bucolique, sont traités avec une sûreté remarquable. Virgile a profité à merveille de la lecture de Théocrite et des leçons des poètes romains de l'école de Catulle.

La cinquième églogue. Malgré ces qualités, les premières églogues restent un peu minces de matière et un peu factices de ton; il semble que le poète l'ait senti, et qu'il se soit d'assez bonne heure mis en devoir de s'affranchir de ces étroites limites. La Véglogue, qui est très probablement un peu postérieure à la II et à la III, représente assez bien l'effort de Virgile, non pas pour sortir du genre bucolique, mais plutôt pour introduire dans le genre bucolique quelque chose qui le dépasse.

Par le cadre, la V églogue, comme le seront toutes celles qui viendront ensuite, reste champêtre; c'est encore un dialogue entre bergers, et les mots, les détails, les scènes de la vie rustique y reviennent sans cesse. Mais, au lieu de se renvoyer des couplets symétriques de 2 ou 3 vers, comme dans la III' églogue, les personnages de la V, dans leur joute poétique, débitent chacun une longue tirade, beaucoup plus développée que les petites strophes amébées antérieurement employées, et d'un style beaucoup plus relevé; la poésie de Virgile acquiert ainsi une ampleur et une vigueur oratoire dont elle était jusqu'ici dépourvue.

JULES CÉSAR couronné (d'après un buste antique).

Il y a aussi beaucoup plus d'unité dans la composition. Le dialogue pastoral de la III' églogue roulait sur toute espèce de sujets, d'une manière assez décousue: ici, les deux interlocuteurs s'inspirent d'une même idée, dont ils dépeignent, si l'on peut dire, les deux faces, Mopsus décrivant le deuil de la nature à la mort de Daphnis, Ménalque la joie de l'univers devant l'apothéose du même Daphnis.

Enfin, quoique ce Daphnis soit parfois représenté comme un berger ou un chanteur, il est, dans l'ensemble, salué comme un personnage très supérieur aux interlocuteurs habituels des Bucoliques. Les commentateurs anciens ne sont pas d'accord sur l'intention de Virgile pour les uns, Daphnis est le demi-dieu inventeur de la poésie pastorale; pour les autres, c'est César,

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