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demandai à l'hôte ce que c'étoit. « Un marchand << de Bâle, me dit-il, qui vient vendre ici des che« vaux; mais je crois qu'il n'en vendra guère de la «< manière qu'il s'y prend; car il ne fait que jouer. <«<- Joue-t-il gros jeu? lui dis-je. Non pas à pré<< sent, répondit-il; ce n'est que pour leur écot, en << attendant le souper. Mais, quand on peut tenir le << petit marchand en particulier, il joue beau jeu. «<-A-t-il de l'argent? lui dis-je.-Oh! oh! dit le « perfide Cerize, ( c'étoit le nom de l'aubergiste) <«< plût à Dieu que vous lui eussiez gagné mille pis<< toles, et moi en être de moitié! nous ne serions << pas long-temps à les attendre. » Il ne m'en fallut pas davantage pour méditer la ruine du chapeau pointu. Je me remis auprès de lui pour l'étudier. Il jouoit tout de travers écoles sur écoles, Dieu sait! Je commencois à me sentir quelques remords sur l'argent que je devois gagner à une petite citrouille qui en savoit si peu. II perdit son écot on servit et je le fis mettre auprès de moi. C'étoit une table de réfectoire, où nous étions pour le moins vingtcinq, malgré la promesse de mon hôte. Le plus mauvais repas fini, toute cette cohue se dissipa, je ne sais comment, à la réserve du petit Suisse qui se tint auprès de moi, et de l'hôte qui vint se mettre de l'autre côté. Ils fumoient comme des dragons, et le Suisse me disoit de temps en temps: «Demande. << pardon à monsieur de la liberté grande » ; là-dessus il m'envoyoit des bouffées de tabac à m'étouffer. Cérize, de l'autre côté, me demanda la liberté de me demander si j'avois été dans son pays, et parut surpris de me voir assez bon air sans avoir voyagé en Suisse. Le petit ragot, à qui j'avois affaire étoit aussi questionneur que l'autre il me demanda si je venois de l'armée de Piémont ; et, lui ayant que j'y allois, il me demanda si je voulois acheter des chevaux ; qu'il en avoit bien deux cents, dont il me feroit bon marché. Je commençois à être enfumé comme un jambon; et, m'ennuyant du tabac et des questions, je proposai à mon homme de jouer

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une petite pistole au trictrac, en attendant que nos gens eussent soupé. Ce ne fut pas sans beaucoup de façons qu'il y consentit, et me demandant pardon de la liberté grande. Je lui gagnai partie, revanche et le tout en un clin-d'oeil ; car il se troubloit et se laissoit enfiler, que c'étoit une bénédiction. Brinon (le gouverneur du comte), arriva sur la fin de la troisième partie, pour me mener coucher. Il fit un grand signe de croix, et n'eut aucun égard à tous ceux que je lui faisois de sortir. Il fallut me lever pour en aller donner l'ordre en particulier. Il commença par me faire des réprimandes de ce que je m'encanaillois avec un vilain monstre comme cela. J'eus beau lui dire que c'étoit un gros marchand qui avoit force argent, et qui ne jouoit non plus qu'un enfant : « Lui marchand, s'écria-t-il ! «ne vous y fiez pas, M. le comte; je ne sois pas << homme, si ce n'est quelque sorcier. Tais-toi, << vieux fon, lui dis-je ; il n'est non plus sorcier que « toi, c'est tout dire; et, pour te le montrer, je lui veux gagner quatre ou cinq cents pistoles avant << de me coucher. » En disant cela, je le mis dehors, avec défense de rentrer ou de nous interrompre. Le jeu fini, le petit Suisse déboutonne son haut-dechausses, pour tirer un beau quadruple d'un de ses goussets; et me le présentant, il me demande pardon de la liberté grande, et voulut se retirer. Ce n'étoit pas mon compte. Je lui dis que nous ne jouyons que pour nous amuser; que je ne voulois point de son argent; et que, s'il vouloit, je lui jouerois ses quatre pistoles dans un tour unique. Il en fit quelque difficulté; mais il se rendit à la fin, et les regagna. Je fus piqué. J'en rejouai une autre ; la chance tourna; le dé lui devint favorable, et les écoles cessèrent. Je perdis partie, revanche et le tout; les moitiés suivirent, le tout enfin. J'étois piqué; lui beau joueur, il ne me refusa rien, et me gagna tout, sans que j'eusse pris six trous en huit ou dix parties. Je lui demandai encore un tour pour cent pistoles; mais, comme il vit que je ne mettois pas

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au jeu, il me dit qu'il étoit tard, qu'il falloit qu'il allåt voir ses chevaux, et se retira, me demandant pardon de la liberté grande. Le sang-froid dont il me refusa, et la politesse avec laquelle il me fit la révérence, me piquèrent tellement, que je fus tenté de le tuer. La rapidité dont je venois de perdre jusqu'à la dernière pistole m'avoit tellement troublé, que je ne fis pas toutes les réflexions qu'il y a à faire sur l'état où j'étois réduit.

3. Alipe, jeune homme d'une des meilleures maisons de Tagaste en Afrique, patrie de S. Augustin', étoit allé à Rome pour y étudier le droit. Quelques jeunes gens de ses amis, et qui étudioient le droit comme lui, l'ayant rencontré par hasard, lui proposèrent de venir avec eux voir les combats des gladiateurs. Il rejeta avec horreur cette proposition, ayant toujours eu un extrême éloignement pour cet horrible spectacle où l'on voyoit répandre le sang humain. Sa résistance ne fit que les animer davantage; et, usant de cette sorte de violence qu'on se fait quelquefois entre amis, ils l'emmenèrent avec eux malgré lui. « Que faites-vous? leur disoit<«<il: vous pouvez bien entraîner mon corps, et me << placer parmi vous à l'amphithéâtre ; mais dispose« rez-vous de mon esprit et de mes yeux, pour les << rendre attentifs au spectacle? J'y assisterai comme << n'y assistant point; et j'en triompherai aussi-bien «que de vous. » Ils arrivent et trouvent tout l'amphithéâtre dans l'ardeur et dans les transports de ces barbares plaisirs. Alipe ferma ses yeux aussitôt, et défendit à son ame de prendre part à une si détestable fureur. Heureux, s'il avoit pu aussi fermer ses oreilles ! Elles furent frappées avec violence par un grand cri que jeta tout le peuple, à l'occasion d'un coup mortel porté à un gladiateur. Vaincu par la curiosité, se croyant supérieur à tout, il ouvrit les yeux, et reçut dans le moment une plus grande plaie dans l'ame, que celle que le gladiateur venoit de recevoir dans le corps. Dès qu'il eut vu couler le sang, loin d'en détourner ses yeux,

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comme il s'étoit flatté de le faire, il y fixa ses regards avides, et s'enivrant, sans le savoir, de ce plaisir sanguinaire, il sembloit boire à longs traits la cruauté, l'inhumanité, la fureur; tant il étoit hors de lui. En un mot, il contracta dans un instant cette funeste habitude : il sortit tout autre qu'il n'étoit venu, et avec une telle ardeur pour les spectacles, qu'il ne respiroit autre chose, et que c'étoit lui, depuis ce temps, qui y entraînoit ses compagnons. Mais Dieu, dont la Providence avoit de grands desseins sur lui, le tira de cet abîme, où l'avoit précipité son aveugle présomption: une réflexion de S. Augustin sur les combats de gladiateurs, échappée, ce semble, par hasard à ce grand homme dans une leçon de rhétorique, à laquelle assistoit Alipe, toucha vivement ce jeune homme, et lui fit détester la passion inhumaine qui s'étoit glissée dans son cœur.

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4. Tout un peuple étoit si disposé à la joie et à la gaieté, qu'il n'étoit plus capable d'aucune affaire sérieuse c'étoient les Tirinthiens. Comme ils ne pouvoient plus reprendre leur gravité sur quoi que ce fût, tout étoit parmi eux dans le plus grand désordre. S'ils s'assembloient, tous leurs entretiens rouloient sur des folies, au lieu de s'arrêter sur l'administration publique. S'ils recevoient des ambassadeurs, ils les tournoient en ridicule. S'ils tenoient le conseil de la ville, les avis des plus graves sénateurs n'étoient que de bouffonneries; et, en toutes sortes d'occasions, une parole ou une action raisonnable eût été un prodige chez cette nation. Ils se sentirent enfin fort incommodés de cet esprit de plaisanteries. Ils allèrent consulter l'oracle de Delphes, pour lui demander les moyens de recouvrer un peu de sérieux. L'oracle répondit que, s'ils pouvoient sacrifier un taureau à Neptune sans rire, il serait désormais en leur pouvoir d'être plus sages. Un sacrifice n'est pas une action si plaisante en ellemême cependant, pour le faire sérieusement, ils y apportèrent bien des précautions. Ils résolurent de n'y

point recevoir de jeunes gens, mais des vieillards, et non pas encore toute sorte de vieillards; mais seulement ceux qui avoient ou des infirmités ou beaucoup de dettes, ou des femmes fàcheuses et incommodes. Quand toutes ces personnes choisies furent sur le bord de la mer, pour iminoler la victime, il fallut encore, malgré leur âge et tous les sujets de déplaisir qu'ils pouvoient avoir, qu'ils composassent leur air, baissassent les yeux, et se mordissent les lèvres. Jusque-là, cependant, tout alloit le mieux du monde; mais par malheur il se trouva là un enfant qui s'y étoit glissé. On voulut le chasser, etilcria: «Quoi! avez<< vous peur que j'avale votre taureau?» Cette sottise déconcerta toutes ces gravités contrefaites : l'habitude triompha de la résolution; on éclata de rire; le sacrifice fut troublé, et la raison ne revint point aux Tirinthiens. 5. Le fameux Jean Ernest de Biron, duc de Courlande, étoit fils d'un orfèvre, et son père l'avoit destiné à la profession de notaire. Il avoit acquis toutes les qualités qu'elle demande, lorsque, s'ennuyant du séjour d'une petite ville, il eut occasion d'offrir ses services au baron de Goertz, qui avoit été forcé de s'y arrêter, par la mort imprévue de son secrétaire. Lejeune Biron se présenta d'assez bonne grace, pour faire agréer sa personne et ses talens. Il suivit le baron à Stockholm, où l'intelligence qu'il avoit des diverses langues, et sa facilité à lire et à copier toutes sortes de caractères, le rendirent aussi utile qu'il l'avoit fait espérer. Dans l'usage où il étoit depuis son enfance, de manier de vieux contrats, la plupart en parchemin, il s'étoit fait une habitude, en écrivant, d'en' tenir toujours quelqu'un entre les lèvres; et, quelque désagréable qu'on puisse s'en figurer le goût, il étoit parvenu insensiblement à s'en faire une sorte de plaisir, comme il arrive à ceux qui s'accoutument à mâcher du tabac. Ce penchant devenant une passion, il n'étoit jamais sans quelque morceau de vieux vélin, qu'il coupoit promptement pour le ronger; et ses nombreuses occupations le mettant continuellement au milieu de quantité de papiers, il trouvoit aisément de quoi se satifaire. Un jour qu'il avoit été retenu dans le cabinet du baron de Goertz, pour quelque expédition d'importance, son

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